Se défaire d’une anxiété apparue tardivement, c’est possible. Les clés? Volonté et contrôle de soi!
C’est arrivé en faisant nos courses. Un plancher mouillé, notre pied droit qui glisse, puis paf! Une chute aussi spectaculaire que douloureuse. Depuis, on ne sort que par nécessité, tétanisé par la crainte de tomber de nouveau, même si on ne s’est rien cassé. Ou alors, on refuse de prendre le volant parce qu’on a peur de se perdre, comme l’autre jour, en allant visiter notre fils dans son nouveau quartier, alors qu’on avait, comble de malheur, oublié notre cellulaire. Parlant d’oubli, la fois où on a raté notre avion parce que notre passeport était resté à la maison, en 2012? Elle a marqué la fin de nos voyages à l’étranger. Si ces scénarios nous sont familiers, c’est peut-être qu’on laisse la peur dicter notre conduite. Et qu’il est temps d’y remédier.
Inévitable, avoir les quételles?
Tout d’abord, est-il normal, avec l’âge, de devenir plus craintif devant des situations qui, auparavant, nous laissaient indifférent? La réponse courte: oui et non. «L’anxiété est générée par deux grands facteurs: l’inconnu et le sentiment de ne pas avoir le contrôle, explique Rose-Marie Charest, psychologue et conférencière. En vieillissant, il y a plus de choses sur lesquelles on a moins de contrôle, par exemple les petits oublis, chercher ses mots, les forces qui déclinent. On est aussi plus fragile physiquement, ce qui fait qu’une chute peut avoir des conséquences plus lourdes que lorsqu’on avait 30 ans.»
Pour Sébastien Grenier, psychologue et chercheur au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, c’est avant tout une question de tempérament: «Il est plutôt rare de devenir anxieux seulement parce qu’on prend de l’âge. En général, on l’a toujours été, ce sont simplement les causes qui changent. À 40 ans, on s’inquiète de ses finances, à 75 ans, de la maladie. Par contre, oui, il peut y avoir des déclencheurs, des événements précis qui font naître l’anxiété.»
En effet, comme l’explique Camillo Zacchia, psychologue clinicien spécialisé dans le traitement des troubles anxieux et vice-président du conseil d’administration de Phobies-Zéro, «la peur est une alarme qui sonne pour nous protéger d’une menace, et certains ont une alarme plus sensible que d’autres». Cet instinct assure notre survie, d’où le fait qu’on redoute les serpents, même si on ne s’est probablement jamais fait mordre par un reptile. Ce qui est anormal, et ce, quel que soit l’âge, c’est de s’empêcher de vivre en raison de dangers imaginés et non réels, s’accordent à dire nos trois experts.
Les stratégies à mettre en pratique
Lorsque notre peur découle d’une mauvaise expérience, une réaction courante sera de pratiquer l’évitement. Dans le cas de notre exemple d’une vilaine chute, «la personne se met à ne plus sortir pour éviter de tomber, ce qui peut conduire à l’isolement et à la dépression, en plus de favoriser le déconditionnement moteur, note Sébastien Grenier, aussi professeur au département de psychologie de l’Université de Montréal. Les muscles s’affaiblissant, la personne est alors plus à risque de tomber si elle sort. Ce cercle vicieux peut s’installer assez facilement.» Et ça s’applique à n’importe quelle autre peur. Voici donc comment s’aider à en sortir.
• Je reste dans l’action.
C’est le même principe que pour un accident de voiture ou de cheval. «Plus on évite longtemps ce qui nous fait peur, plus on en aura peur, dit Sébastien Grenier. Il faut poursuivre l’activité qu’on craint malgré notre inconfort, affronter plutôt que fuir, tout en respectant bien sûr sa condition physique.» L’idée, c’est d’y aller graduellement, de se donner de petits objectifs. Car, comme le rappelle Rose-Marie Charest, «la confiance en soi se bâtit et se rebâtit dans l’action, pas en restant chez soi et inactif. C’est en multipliant les expériences et les rencontres avec des personnes qui nous renvoient une image positive de nous-même qu’on y arrivera, peu importe notre âge.»
Dans un premier temps, on peut agir sur les éléments qu’on contrôle, conseille la psychologue. «Si on évite de voyager par crainte d’oublier l’adresse de notre hôtel, on peut la noter et garder l’information dans notre poche, ou encore s’acheter un sac doté de plusieurs compartiments où glisser tous nos documents importants, de façon à toujours les avoir à portée de la main. Si on se remet d’une chute, on ne sort pas si les trottoirs sont glacés et on traverse la rue seulement quand le feu piéton vient de s’allumer, pas quand il ne reste que sept secondes sur l’afficheur.»
Et pour réapprivoiser les chiens après avoir subi une morsure? On commence par regarder des photos et des vidéos de canins, puis on reste du même côté de rue si on croise un chien, puis on va en voir d’autres à l’animalerie, puis on en flatte un, et ainsi de suite.
• Je laisse passer la peur.
Gérer son anxiété, c’est apprendre à en tolérer les vagues, relève Camillo Zacchia: «À moins d’avoir un bus qui nous fonce dessus, on a toujours le luxe d’attendre quelques minutes avant de réagir à notre peur. Une vague d’émotion nous submerge, on la laisse venir, on ne fait rien, on attend. Elle finira par passer. Ensuite, on fait appel à notre côté raisonnable et on lui demande ce qui s’est passé. “Avais-je une vraie bonne raison de m’inquiéter? Faisais-je face à un risque important?” La voix de la sagesse en nous est capable de reconnaître les vrais dangers. Si on croise un ours en forêt et qu’on croise des randonneurs par la suite, on leur dira d’être prudents, mais on n’avertira personne qu’il est dangereux de prendre l’ascenseur parce qu’on les craint soi-même.» Bref, chaque fois qu’on ne cède pas à la peur et qu’on réalise du même coup qu’on s’en est sorti indemne, on fait un pas de plus pour s’en libérer.
• Je me détends.
Toutes les techniques qui aident à relaxer, comme le yoga et la méditation, sont recommandées. «Même dans l’action, on peut apprendre à se détendre, confirme Rose-Marie Charest. Peu importe ce qu’on est en train de faire, on se concentre sur sa respiration, on inspire et on expire lentement, calmement.» Cela permet de ne pas focaliser sur la peur.
• Je dédramatise.
Avec l’âge viennent les trous de mémoire et, même s’ils sont désagréables, ils font partie de l’ordre naturel des choses. «Comme on perd entre 5 % et 8 % de nos neurones à chaque décennie après l’adolescence, c’est normal d’avoir moins la capacité de se souvenir de tout quand on vieillit, souligne Camillo Zacchia. On ne doit pas s’empêcher de fonctionner pour autant.» Bref, rien ne sert de dramatiser, estime Rose-Marie Charest: «On peut désamorcer ce genre de situation en recourant à l’humour. Si on retourne aux études avec des jeunes de 20 ans, bien sûr qu’on sera moins vite qu’eux, quelle que soit notre intelligence.» On peut alors mentionner notre âge, en prenant ça à la légère, ajoute-t-elle. «Ça normalise les choses. Il faut s’attarder à ce qui nous reste et non à ce qu’on considère avoir perdu.»
• Je consulte.
La stratégie qui fonctionne le mieux pour vaincre une peur est de s’y exposer, rappelle Sébastien Grenier. Si on n’y arrive pas seul, on demande de l’aide professionnelle. «En thérapie cognitivo-comportementale, on va par exemple décrire un scénario catastrophique comme s’il se réalisait, le mettre sur papier, et le faire lire plusieurs fois par le patient en s’imaginant qu’il se concrétise, afin de tolérer l’anxiété qu’il suscite. Grâce à l’habituation, il finira par être désensibilisé.» Un médecin peut aussi prescrire des antidépresseurs, «qui baissent le thermostat des réactions émotionnelles, ce qui aide à surmonter nos peurs», illustre Camillo Zacchia.
• Je trouve des ressources.
«Un groupe d’entraide fournit quelque chose qu’un psy ne peut jamais donner à son patient, soit l’occasion de discuter avec des gens qui ont vécu ou qui vivent la même chose, souligne Camillo Zacchia. Entendre d’autres dire des phrases qui tournent dans notre tête, savoir qu’on n’est pas seul à vivre ce genre de situation, c’est une expérience très riche. En outre, ça aide à briser l’isolement et à établir des contacts sociaux.» On cherche donc des organismes communautaires dans notre région ou des groupes d’entraide comme Phobies-Zéro, qui dispose d’une ligne d’écoute (1 866 922-0002).
Très belle lecture, merci.