Simon Boulerice: Auteur de cœur

Simon Boulerice: Auteur de cœur

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Collaboration spéciale

Télé, web, librairies: le touche-à-tout coqueluche du public sera partout cet automne. Discussion avec un passionné de création à l’âme sensible.

Votre première série télé pour adultes, Chouchou, est diffusée à Noovo cet automne. Chanelle (Evelyne Brochu) est une enseignante de 37 ans qui succombe aux avances d’un élève de 17 ans, Sandrick (Lévi Doré). Qu’est-ce qui vous a donné envie d’explorer ce sujet délicat?

Je travaille souvent à partir de faits divers, c’est un moteur pour écrire. Il y en a un qui m’avait marqué, celui de l’enseignante Mary Kay Letourneau, tombée amoureuse d’un de ses élèves de 12 ans dans les années 90 et qui, à sa sortie de prison, est retournée avec lui, l’a marié et a eu ses enfants. J’aime explorer les zones grises, tout ce qui est en demi-teinte. Dans Chouchou, on est dans une relation abusive parce que la prof est en position d’autorité. Mais comme Sandrick débarque vers la fin de l’année scolaire, si leur histoire avait commencé trois mois plus tard, il n’y aurait pas eu d’abus selon la loi. Ce qui unit Chanelle, qui a un club de lecture avec sa classe, et Sandrick, c’est la littérature. Au départ, la pulsion de la prof est de lui donner un élan, parce qu’elle voit tout son potentiel. Mais sa pulsion évolue…

Dans votre websérie Géolocaliser l’amour, sur ICI TOU.TV, le personnage principal s’appelle Simon Boulerice... Vous brouillez souvent les frontières entre réalité et fiction, qu’est-ce qui vous plaît dans ce procédé?

C’est une façon de me dévoiler sans tout dire sur moi. Ce flou m’intéresse beaucoup. Moi-même, comme lecteur ou spectateur, j’aime ne pas pouvoir distinguer le vrai du faux, sentir que tout est plausible. Je suis allé chercher des acteurs moins connus, sauf bien sûr Josée Deschênes et Luc Senay, qui jouent mes parents, pour qu’on y croie encore plus. Jocelyn Lebeau, qui incarne mon meilleur ami, est vraiment mon meilleur ami dans la vie! Et j’avais envie que cette série soit aussi protéiforme: il y a du dessin, de la poésie, de la danse. L’avantage en web, c’est qu’on a une plus grande liberté. J’aimerais beaucoup qu’il y ait une suite!

Vous venez aussi de publier Déjeuner avec papa, dans lequel vous abordez les thèmes de la séparation, de l’homoparentalité… Qu’est-ce que vous aimeriez que les lecteurs retiennent de ce livre?

La tendresse entre un père qui ne parle pas beaucoup, mais n’en pense pas moins, et son fils. Tout ne passe pas toujours par les mots. J’ai eu l’idée d’un recueil de napperons que dessine l’enfant après avoir vu un homme peu bavard avec son fils dans un diner. Gaspard a 12 ans, il va entrer au secondaire à l’automne. Ses parents sont séparés, mais encore aimants l’un envers l’autre. Le père a refait sa vie avec un homme qui est, tout comme lui, mécanicien de manèges dans les parcs d’attractions. Ça a été un moment-charnière dans ma vie, cet été après mon primaire. J’ai vécu un grand vertige parce que j’avais l’impression que je m’en allais dans la gueule du loup au secondaire. D’ailleurs, mon angoisse était justifiée! (rires)

Durant votre adolescence, vous avez d’ailleurs écrit une phrase que vous avez mise dans la bouche de Léon dans votre série Six degrés: «Je vais cotiser tous ceux qui m’ont fait souffrir et je vais me racheter une vie.» Jugez-vous l’avoir fait, symboliquement?

Tout à fait. Quand je relis cette phrase, ça me ramène à la douleur que je vivais. Il y avait une soif de vengeance envers ceux qui n’ont pas su me lire, m’apprécier à la hauteur de ce que je méritais. Mais je suis rendu ailleurs aujourd’hui, je suis un gars serein. Mon dieu que l’écriture m’a fait du bien! Elle m’a permis de dire ce que je ne parvenais à verbaliser avec personne. J’étais un garçon très solitaire, je n’avais pas beaucoup d’amis. Donc, le dessin, le théâtre et l’écriture m’ont vraiment aidé. J’avais très peu confiance en moi, en ma valeur, alors que je me sens bien plus solide maintenant.

Sur votre Instagram, vous avez partagé un mot d’Yvette, 78 ans, qui vous félicitait pour Six degrés. C’est précieux pour vous de toucher toutes les générations avec une série étiquetée jeunesse?

Complètement. Je n’ai jamais été à l’aise avec les carcans, je n’ai jamais aimé me faire mettre dans une case. Je me sens libre à plein de niveaux dans ma vie. Alors, les œuvres qu’on qualifie de jeunesse, je dis toujours que c’est «à partir de». Si c’est pour 12 ans et plus, alors une personne de 70 aussi peut la lire! Je considère qu’on a tous les âges en soi. Cela dit, j’ai reçu plein de messages concernant Six degrés qui commençaient ainsi: «Je n’ai pas l’âge moyen du téléspectateur visé, mais…» Comme si les gens se justifiaient de regarder une série qui, sur papier, ne leur était pas destinée! Mais cette série parle d’une famille, les Fournier-Espinoza, et tout le monde peut s’identifier à Léon, qui vit une perte de repères. De recevoir des messages comme celui d’Yvette, c’est le plus beau cadeau au monde. Je suis très choyé, c’est un carburant qui me donne envie de continuer à écrire. Cette série me ressemble beaucoup, il y a de moi dans chacun des personnages. Je suis du reste en train de terminer l’écriture de la troisième saison…

Avez-vous toujours vu votre sensibilité et votre bienveillance comme des qualités, ou auriez-vous parfois préféré être fait autrement?

Pour moi, la vulnérabilité sera toujours une force. L’empathie s’inscrit là-dedans. Rapidement, j’ai compris que je suis une éponge dans la vie, et c’est la meilleure posture pour un artiste parce que tu es perméable: tout est susceptible de te faire vibrer. L’empathie est donc un atout créatif qui me permet de donner vie à plein de personnages, et aussi d’avoir une grande curiosité envers autrui. Je sais que c’est cliché, mais je pense qu’on manque collectivement d’empathie et que ça changerait bien des choses si on pensait aux plus vulnérables, si on essayait de comprendre ce que les autres vivent, au lieu de les tourner en ridicule. Safia Nolin en est un bel exemple. J’ai simplement écrit «Je t’aime» sous une de ses publications, et j’ai reçu, je pense, 100 messages dans la même journée de gens qui me disaient: «Simon, je t’aimais, mais là, tu me déçois!» Sérieusement, parce que j’ai envoyé de l’amour à quelqu’un? C’est hallucinant de voir à quel point on est polarisés.

Dans Six degrés comme dans toute votre œuvre, il y a cette volonté de donner une voix à ceux qui sont différents. Pourquoi c’est important pour vous?

Parce que ça change tout de savoir qu’on n’est pas seul à vivre une réalité. Plus jeune, je ne me trouvais pas représenté à la télé. Je ne réalisais pas que j’en souffrais. Je regardais Watatatow, et le seul gai était une vraie brute. Je ne pouvais pas me projeter. Heureusement, la télé est vivante, en mouvance, et de plus en plus inclusive. Avec ce qu’on me donne à moi de lumière, j’aimerais continuer à faire rayonner des personnes qui ne se sentent pas vues.

Vous qui êtes d’ailleurs co-porte-parole de l’organisme Interligne depuis plusieurs années, quel constat posez-vous sur la place que notre société fait à la communauté LGBTQ+?

Je trouve que l’avenir est plus reluisant que le présent, en partie grâce à la nouvelle génération. Je reçois des commentaires de gens qui me disent qu’ils étaient homophobes avant, que je les dérangeais quand ils me voyaient à la télé, mais qui ont appris à m’apprécier avec le temps. Les gens peuvent changer, je pense que c’est possible. Les mentalités se transforment.

Vous habitez depuis plus de 15 ans dans un triplex de Saint-Henri, où vos parents, votre sœur et vous avez chacun vos quartiers. Vous avez toujours été une famille tricotée serrée?

On l’a été beaucoup quand j’étais au primaire et au secondaire, même si mes parents travaillaient énormément. Mon père, surtout, qui avait deux boulots. Il n’a pas fini son secondaire et a commencé dans une usine jeune. Ma sœur et moi, on a été des ados très sages, pas rebelles. Mais à 17 ans, quand j’ai fait mon coming out, ça les a beaucoup déstabilisés. Ça coïncidait avec le moment où j’ai quitté Saint-Rémi pour venir vivre à Montréal pour mes études. Donc, j’avais pris un peu de distance par rapport à eux, même si je les aimais toujours. Je me suis créé une famille choisie. Des amitiés très fortes, qui colmataient les tristesses que j’ai connues avant. J’ai l’impression que je me suis affirmé plus que jamais. En 2005, mes parents se sont sentis très loin de ma sœur et de moi, et ils savaient qu’on habiterait à Montréal pour un bout, et comme on n’a ni l’un ni l’autre notre permis de conduire… ils ont proposé d’acheter un triplex. Je n’étais vraiment pas friand de cette idée au départ, mais aujourd’hui, je n’y vois que des avantages. Ça nous a rapprochés à tous les niveaux.

Qu’est-ce que vos parents vous ont transmis de plus précieux?

Ma mère m’a transmis l’amour de l’art. Je l’ai toujours vue, même si on n’allait pas au musée ou au théâtre, lire des livres, écouter de la musique. C’était un exutoire pour elle, ça la sortait de son quotidien. Mes deux parents ont toujours adoré le cinéma, ils avaient un club vidéo. Ils m’ont transmis l’idée que la fiction était une échappatoire, comme une deuxième vie en parallèle. Et ils m’ont toujours encouragé et donné de l’élan, de l’espace à ma créativité. Je dansais dans le sous-sol, et mon père n’a jamais passé de commentaires! Lui m’a transmis l’amour du travail, et son côté volontaire, qui dit toujours oui. Ça m’a servi professionnellement, même si parfois ça peut nuire. Je profite du privilège que j’ai de faire de la télé, mais je suis aussi très à l’aise dans l’ombre. Je suis un peu casanier et agoraphobe, alors je pourrais être loin des projecteurs et heureux quand même.

Comment vous voyez-vous vieillir?

Je n’ai pas du tout peur de vieillir. Premièrement, j’ai la santé, et ça, c’est le talon d’Achille de tout le monde. Peut-être que, quand je vois des photos de moi plus jeune, j’ai la nostalgie d’un physique que je n’ai plus. En même temps, je me trouve encore beau. Je ne me déprécie pas facilement, ce que j’ai tellement fait plus jeune! Alors, comme je suis bien chez moi, je n’ai pas le rêve de voyager partout dans le monde dans les années à venir, mais plutôt de tout lire ce que j’ai envie de lire! (rires) Je suis davantage dans le voyage intérieur.

Vite de même

Ce qui vous fait rire
La surprise. Les enfants, souvent, ont des accidents poétiques. Pour moi, ça fait partie des plus belles affaires drôles.

Ce qui vous fait fondre
La vulnérabilité. Autant en amour qu’en amitié.

Ce qui vous enrage
L’injustice, même si ce n’est pas original. L’iniquité. Les gens bornés, qui sont convaincus d’avoir raison et ne se remettent jamais en doute. L’absence de souplesse.

Ce que vous ne regrettez pas
D’être venu habiter avec mes parents dans leur triplex. Une décision lumineuse pour toute la famille.

Ce qui vous rend le plus fier
De toucher à tout, et de pouvoir en vivre tout en restant moi-même. L’enfant artistique s’incarne dans un adulte qui a aujourd’hui une tribune pour exprimer toutes ses passions, dans toute sa queerness.

Ce à quoi vous ne pouvez résister
Quand mon chum me dit: «On joue-tu une petite game de Dr. Mario?»

Ce que vous réussissez bien en cuisine
Mon dieu, pas grand-chose! Je peux faire cuire des œufs. (rires)

Ce que vous n’oublierez jamais
La puissance de la lecture. Quand tu as un livre dans les mains, tu n’es jamais seul. Donc, je ne serai jamais seul.

 

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