L’appétit de vivre de Marina Orsini

L’appétit de vivre de Marina Orsini

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Laurence Labat

L’automne s’inscrit sous le signe de la cuisine pour la comédienne et animatrice adorée du public: son émission 5 chefs dans ma cuisine est de retour et elle vient de lancer Gourmande!, son tout premier livre de recettes.

Tout d’abord, Marina, comment allez-vous après deux ans et demi de pandémie?

Je compare souvent la pandémie au 11 Septembre, dans le sens où notre planète n’a plus été la même après. Ç’a changé mon regard sur l’humain, le côté précieux de la vie, du ici et maintenant. Ç’a joué sur notre patience, notre résilience, notre générosité, notre humanité. Mais je vais bien. Je me considère très chanceuse: ma famille est en santé, je n’ai perdu aucun proche, j’ai pu me permettre de rester chez moi pendant les mois où l’industrie télévisuelle a été mise en pause. Et quand les activités ont repris, il a fallu inventer de nouvelles façons de faire. C’est ainsi qu’est née 5 chefs dans ma cuisine, avec un plateau pensé en fonction de la distanciation. Pour cette troisième saison, on garde le même espace, mais je vais enfin pouvoir me rapprocher de mes chefs pour cuisiner avec eux.

On aura aussi droit à votre premier livre de recettes, Gourmande! Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser ce projet?

Je suis une véritable gourmande, ce n’est pas pour rien que j’ai tant de bonheur à animer 5 chefs, qui est comme un dérivé du segment culinaire de Marina. Chez moi, je cuisine en majorité des classiques, dont beaucoup me viennent de ma mère. Quand elle est décédée, il y a neuf ans, on a cherché et cherché son livre de recettes, qui avait quatre ou cinq pouces d’épaisseur et qui contenait les siennes, écrites à la main, et d’autres qu’elle avait découpées. On ne l’a jamais retrouvé. C’est une vraie énigme! Alors, il y avait ce désir de rapailler les recettes de ma mère et de rendre pérenne notre patrimoine culinaire pour mon fils Thomas, pour les enfants de notre famille, mais aussi pour tous ces gens qui me demandent mes recettes familiales.

Tous ces gens qui vous ont vue faire la fameuse lasagne de votre mère à l’émission Ricardo...

Oui! (rires) On m’en parle encore quelque 25 ans plus tard. Et je répète avec beaucoup de fierté ce que Ricardo lui-même a dit: aucun autre invité n’a fait une recette en deux épisodes. Parce qu’elle est longue à exécuter, mais elle en vaut largement la peine. Ma mère, comme bien d’autres, cuisinait à l’œil. Elle savait, par exemple, que si elle recevait 30 invités, c’était un œuf par personne pour faire ses pâtes fraîches. Comme Ricardo a dû quantifier les mesures pour son émission, j’ai été chanceuse de pouvoir les récupérer pour mon livre. Et il y a ma tante Marguerite, la plus jeune sœur de ma mère, qui cuisine comme une reine et qui a souvent repris ses recettes, qui m’en a transmis. J’en ai retrouvé certaines que j’avais moi-même transcrites.

Votre livre est d’ailleurs divisé en cinq sections, consacrées à autant de femmes...

Sans faire une biographie, je voulais raconter un peu mes origines, à la fois italiennes par mon père et québécoises par ma mère. Il y a donc les recettes de quatre femmes très chères à mes yeux: ma mère, ma tante Marguerite, Nana – mon ex-belle-mère, qui fut pour moi une grand-mère de cœur –, et ma cousine Josée. Il y a aussi mes recettes coups de cœur, que j’ai accumulées au fil du temps et qui vont du poulet au beurre au végépâté, en passant par le tiramisu et la tarte au sucre à la crème.

Les yeux de lynx remarqueront aussi dans les crédits du livre que vous signez les mandalas qui ornent certaines pages. Un talent caché?

C’est surtout un plaisir. Le dessin me vient par vagues, je peux être un an sans toucher à mes crayons feutres, puis m’y remettre. J’aime les couleurs, il faut que ça vibre. C’est aussi ça, l’idée du rose dans le livre: c’est un symbole d’énergie et j’en ai beaucoup. Je ris fort, je parle fort, je peux être exubérante et je suis rassembleuse. Alors, il me ressemble ce livre, et je suis très fière de ça.

Vous avez souvent dit, et on le comprend en lisant Gourmande!, que vous venez d’une famille matriarcale, de survivantes. Qu’est-ce que votre mère et vos tantes vous ont appris comme leçons de vie?

Ça me touche beaucoup que vous me demandiez ça. Ce qu’elles m’ont inculqué, c’est une grande résilience, une capacité à rebondir, leur amour de la vie, leur curiosité. Ce sont des femmes qui se sont réinventées sans cesse, qui sont parties de rien. Ma mère n’avait même pas une 7e année. Ma tante Marguerite a eu ses enfants très jeune et, au début de la quarantaine, elle est retournée à l’université, puis elle a travaillé avec des avocats pendant 30 ans. Ma tante Rose, à sa retraite, est partie en mission en Haïti pour aider dans des orphelinats. J’ai toujours été entourée de femmes extrêmement inspirantes pour qui il n’y avait pas de limites. Je dis toujours que ma mère était une féministe, même si elle n’a jamais brandi son soutien-gorge. Elle a fait son chemin dans la vie sans demander de permission à personne et elle a réussi dans ce qu’elle entreprenait. C’était une passionnée, une acharnée; elle était curieuse, intelligente, ouverte, aimée de tous. À la fin, elle était pédicure auprès des personnes âgées dans les résidences, elle les aimait. Ma tante Rose faisait déjà la même chose, alors elle a inspiré ma mère et Marguerite à suivre ses traces.

Quand on vient d’une lignée de femmes fortes, est-ce qu’on se donne le droit d’être faible, d’être vulnérable?

Je dirais plutôt que, parfois, les autres ne nous donnent pas le droit de l’être, parce qu’on est capables d’en mener large. Il faut donc se l’accorder, ce droit. Je comprends et j’accepte ça davantage en vieillissant. Ce n’est pas que je ne me l’accordais pas avant, c’est qu’on ne se rend pas compte qu’on est forte ou résiliente; quand on a grandi dans ce terreau, c’est dans notre ADN. Et ç’a été un moteur exceptionnel dans ma vie.

Partant de là, qu’est-ce que vous aviez à cœur de transmettre comme valeurs à votre fils?

Thomas est un bon gars, un bel humain, un bon amoureux. Je trouve qu’il a vraiment pris des choses de son père et de sa mère. Il a du feu en lui, j’en suis pleine aussi, je peux même être caractérielle. Son père est plus doux, je suis plus prompte et impatiente. Thomas est solide, il a sa propre identité. On a eu nos défis, mais notre lien d’attachement est immense, et pour moi, c’est important de le préserver. Je suis une travaillante, j’exige beaucoup de moi-même, alors, j’en exige aussi des autres. Je lui ai donc transmis ce que j’ai reçu: l’amour du travail, le respect, la sensibilité, l’ouverture et la capacité à accueillir l’autre, à en prendre soin. Comme humains, on a une responsabilité les uns envers les autres. On doit éviter de trop s’isoler, connaître nos voisins, s’entraider à travers le tourbillon de la vie et des technologies.

Vous avez accompagné votre mère pendant presque cinq ans de maladie. Est- ce l’envie de redonner au suivant qui vous a incitée à animer Des histoires qui résonnent – Le balado des proches aidants?

Oui. J’ai accepté de l’animer parce que je l’ai moi-même vécu. Le but du balado est de montrer les différentes réalités de la proche aidance, de faire connaître les services et l’aide disponibles, et de mettre le sujet sur la place publique. Nos élus et décideurs doivent aider les proches aidants, parce qu’ils font économiser des milliards au gouvernement. J’y fais des rencontres exceptionnelles. On sera d’ailleurs de retour pour une troisième saison.

Quelle est votre définition du bonheur?

Chanter, danser, être avec ma famille. On finit souvent par danser autour de la table pour aucune raison! Ma tante Shirley, qui a aujourd’hui près de 80 ans, danse encore sans fin avec ses talons hauts! Je me rends compte à quel point, malgré les épreuves et le milieu d’où je viens, il y a un grand sentiment de joie qui continue à nous habiter dans ma famille, qui ne meurt jamais et ne nous a jamais quittés. Et ça, c’est un des plus grands cadeaux que j’ai reçus de ma famille. Le gène de la joie! De la joie vient le bonheur.

En rafale

Ce qui vous fait rire? Mon fils.

Ce qui vous enrage? L’absurdité, l’injustice, l’irrespect.Le manque de bienveillance.

Ce qui vous émeut? La beauté. Je suis allée pêcher le saumon à Gaspé cet été, je longeais la route 132 au bord du fleuve et j’avais des bouffées d’émotion qui montaient en moi tellement c’était beau! Je suis aussi émue par les enfants, les personnes âgées, la générosité.

Ce à quoi vous ne pouvez résister? Des huîtres. La nourriture en général.

Une lecture marquante? Tout l’univers de Grégoire Delacourt. Dès que lui et David Foenkinos sortent un livre, je l’achète.

Un récent coup de cœur culturel? Le film Lignes de fuite et la comédie musicale Annie, que j’ai tous deux adorés.

Un endroit qui vous apaise? Ma famille... et mon nid en Estrie.

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