Ce que la vie m’a appris: rencontre avec France Castel

Ce que la vie m’a appris: rencontre avec France Castel

Par Sandrine Champigny et Anne-Marie Chicoine

Crédit photo: Marc-Antoine Charlebois

Elles ont toutes trois relevé des défis, rencontré des obstacles et changé plusieurs fois de carrière. France Castel et Sylvie Bernier et Marie-Lise Pilote se sont confiées en trois temps pour partager avec nous ce que l’expérience leur a apporté. Dans ce premier volet, France Castel se confie sur ce qui lui reste à accomplir: «devenir un meilleur être humain».

C’est quoi «avoir de l’expérience» pour vous?

Ça veut dire avoir vécu beaucoup de choses, quel que soit le domaine, et en avoir tiré des façons de faire ou des leçons pour continuer, se dire: «Ah ça, j’ai déjà fait, j’en ai l’expérience, je sais comment régler telle ou telle dynamique à l’intérieur de moi, ou à l’extérieur, dans mon métier ou en famille.» De l’expérience, c’est du vécu, avoir une somme de faits vécus dans différents domaines. 

Considérez-vous que vous en avez? 

Je considère que j’en ai même beaucoup! (rire) 

Des modèles vous ont-ils inspirée tout au long de votre parcours?

J’ai eu plusieurs modèles, même chez les jeunes. France Beaudoin, par exemple: elle est dans la fleur de l’âge, avec un parcours extraordinaire. La voir aller me garde vivante, jeune, allumée. Mes modèles changeaient selon les besoins, les années, pour des raisons différentes. J’ai de la misère à nommer des personnes, parce qu’il y en a trop!

Vous êtes un modèle pour d’autres aussi. Qu’aimeriez-vous leur transmettre?

Assumer, c’est la clé. Si tu assumes tout ton vécu, tout ce qui se passe, tous les changements du corps et les changements en général, tu restes allumée. Mais si tu n’assumes pas et que tu combats ça, tu restes dans le rattrapage… Et certaines choses ne se rattrapent pas. (rire) 

Vous êtes-vous toujours sentie assumée à ce point?

Non, c’est un vrai travail! Chaque fois qu’on voit des choses se défaire, dans le métier, l’argent, dans le corps, le visage, dans les expériences différentes, l’amour, les enfants… c’est un travail. On assume après avoir travaillé sur soi. Travailler, c’est un bien grand mot, mais c’est ça: pour assumer quelque chose, il faut le travailler. Vieillir à l’écran, ce n’est pas si évident. La seule raison pour laquelle je ne fais pas de petites corrections, c’est parce que je suis compulsive. Si je commence avec des retouches, où ça s’arrête? Je me mets un zip en dessous des pieds? (rire). J’avais fait enlever des taches, mais ça revient. Alors, pourquoi me battre avec ça? 

Pensez-vous avoir eu un parcours différent parce que vous étiez une femme?

Oui, beaucoup. Aujourd’hui, les hommes sont beaucoup plus concernés, beaucoup plus conscients. Leurs préoccupations deviennent à peu près les mêmes. Mais pour ma génération en tout cas, ça a été et c’est plus difficile, ne serait-ce que pour les rôles:  il y en a beaucoup moins pour les femmes de mon âge que pour les hommes. C’est rare qu’on joue des bandits ou des policiers, par exemple, alors qu’on pourrait! Plein de castings n’appartiennent qu’aux hommes dans le fond. Le théâtre réserve par contre de grands rôles aux femmes qui vieillissent, il y en a toujours eu. En tant que femme, c’est plus d’ouvrage. En plus, tu es une mère, le corps, le poids, la ménopause… Là j’attends l’ostéoporose comme dirait Clémence! (rire) Mon chum a le même âge que moi, et oui, il doit aussi dépasser certaines choses, mais il n’a pas les mêmes préoccupations. 

Avez-vous connu des échecs plus difficiles à surmonter au cours de votre carrière?

Je crois que tout est nécessaire, tout ce qu’on vit, même les échecs. Plus jeune, une très, très mauvaise critique par rapport à un show m’avait enlevé l’envie de faire de la scène et d’avoir un show solo. Depuis ce temps-là, je ne tiens pas à être en avant dans un show. Mais ça ne m’a pas tuée, ça m’a juste donné une autre vision des choses, ça m’a appris à être plus polyvalente. Le plus important, c’est ce que la vie apporte. Que va-t-elle m’offrir? Qu’est-ce que je peux apprendre de différent? On ne peut pas tout dépasser dans la vie, mais ce n’est pas nécessaire non plus Par exemple, j’ai très peur de l’avion, je n’aime pas du tout, je suis obligée de prendre une semaine juste pour me reposer après. (rire) Suis-je obligée de continuer de me battre avec ça? Eh bien non. Je ne le prends plus, merci bonsoir! À un moment donné, on ne peut pas toujours être en lutte, dans le dépassement coûte que coûte. Accrochons-nous à ce qui nous est donné de vivre et non à ce qu’on pense qu’on devrait vivre! C’est ça, la liberté. 

Quelles valeurs importantes à vos yeux avez-vous toujours gardé?

L’ouverture, le non-jugement, l’acceptation de ce tout ce qui existe et est. Le respect, évidemment aussi, ça va avec le reste 

Vous avez tellement porté de chapeaux différentes. Comment faites-vous pour toujours vous réinventer?

On se réinvente chaque jour. Dans le sens où chaque jour, une perception nouvelle arrive. En restant vivant et allumé, tu te réinventes, même si ce n’est pas le but premier. Le but est peut-être plus de renouveler ses passions, ses intérêts. Je n’ai vraiment plus les mêmes passions qu’avant, elles évoluent. À un moment donné, tu te dis: «OK, been there, done that», j’ai compris, ça ne m’allume plus, allons ailleurs! Une de mes amies me disait qu’on était dans l’ultime voyage. Je trouve ça beau, c’est comme le dernier grand voyage. Il ne faut pas se leurrer. J’ai 75 ans, je sais qu’il me reste beaucoup moins d’années à vivre que j’en ai vécues. Pourquoi ne pas regarder ça en face et le vivre avec un certain dépassement? Pour moi, il est beaucoup plus intérieur qu’extérieur, rendue où je suis.

Gardez-vous quand même des projets?

Des choses extérieures encore à faire? Non, vraiment pas. Il me reste à devenir un meilleur être humain, à rester vivante et à rester disponible à ce que l’énergie me demande de faire. Oui, il me reste à faire ça. Et peut-être à rayonner, à véhiculer une permission pour les femmes qui veulent se sentir vivantes jusqu’à la fin. (rire) À mon âge, on doit avoir une parole, parce que les femmes de mon âge ont changé, on a besoin de modèles! D’autres sont encore là, comme Béatrice Picard ou Denise Filiatrault, et c’est important. Si on s’en va aussitôt qu’on ne veut plus se regarder, qu’est-ce qu’il va se passer? (rire) 

Quelle qualité vous a le plus servie dans votre parcours?

Mon courage. En tout cas, la qualité que je n’ai pas, c’est la patience, c’est sûr!

Et le défaut qui vous a le plus nuit? 

J’ai une naïveté assez étonnante, mais ça m’a servie. Je veux croire à tout ce qu’il y a de beau, de fin. J’ai un peu le cœur d’un enfant, je suis restée enfant. C’est ce qui me garde vivante. 

France Castel sera à l’affiche du film Les Fleurs oubliées, d’André Forcier (sortie le 6 octobre) et en tournée dans différentes villes du Québec avec la pièce Tanguy dès le 11 octobre.

Photos: Marc-Antoine Charlebois | Stylisme: Claude Laframboise | Maquillage: David Vincent | Coiffure: Dany Cournoyer

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