Mario Jean: Bon vivant

Mario Jean: Bon vivant

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Laurence Labat

Durant l’été qui s’achève, l’humoriste et comédien a réalisé le rêve de plusieurs: être à deux endroits à la fois. En plus d’assurer la mise en scène d’une de ses pièces, il a joué dans une deuxième, qu’il signe aussi! Entretien avec Mario Jean, un vrai bon gars, heureux de reprendre le collier.

 

Marc-André Coallier, propriétaire du Théâtre La Marjolaine, vous a proposé d’écrire une pièce sur l’ascension du Kilimandjaro, un trekking que vous avez fait tous les deux. Et un matériau riche dramatiquement...

Oui, car cette montagne nous force à repousser nos limites physiques et mentales. Et quand on met des gens ordinaires dans des situations extraordinaires, il surgit toujours du comique. C’est donc une pièce à la fois drôle et touchante, qui joue entre autres sur la notion de dépassement. Elle met en vedette trois couples: un père et son fils (Jacques L’Heureux et Samuel Décary), deux amies (Marie Turgeon et Marie Charlebois) et un couple d’amoureux très sportifs (Francis Vachon et Métushalème Dary).

En plus d’être le metteur en scène de Kilimandjaro, vous signez Le grand virage... une pièce dans laquelle vous jouez, avec Diane Lavallée, un couple qui s’apprête à réaliser ses rêves de retraite. Le problème, c’est qu’ils n’ont pas du tout le même...

En effet! Et ça arrive dans la réalité. Des gens se privent de vivre leurs rêves parce que ce ne sont pas ceux de l’autre. Dans la pièce, mon personnage rêve d’Hawaï et celui de Diane, du Bas-du-Fleuve. Marque d’amour incroyable, ils décident de se laisser tous les deux vivre leur propre rêve. Ils vont l’annoncer à leurs enfants, mais tout ne se produira pas comme prévu. Car avant d’être des retraités, ils sont d’abord des parents... et leurs enfants ont des petits problèmes.

Cela dit, les enfants ne sont pas physiquement présents sur scène, vous leur parlez par écrans interposés. Est-ce la pandémie qui vous a inspiré cette formule?

J’avais déjà eu l’idée en cours d’écriture, mais la pandémie est certainement venue l’appuyer. Notre garçon (incarné par Jean-Carl Boucher) vit à Vancouver, tandis que notre fille (Mylène St-Sauveur) habite en Gaspésie, alors on leur parle par Zoom et FaceTime. Ça donne une dynamique intéressante et ça nous oblige à une certaine gymnastique, parce que leurs dialogues sont déjà filmés. Il y a des endroits où on ne peut absolument pas se permettre de décrocher, autrement on n’est plus synchro avec eux! Pierre-François Legendre, qui assure la mise en scène, a parfaitement dirigé ce ballet.

Votre metteur en scène affirme que la pièce donne «de très bons conseils de vie»... Comme quoi, par exemple?

De ne pas attendre avant de réaliser ses rêves. La fin de la pièce est surprenante, mais je n’en dirai rien. Elle fait réfléchir et peut ouvrir la discussion. On rit, mais on se fait brasser aussi.

Après les représentations au Théâtre Hector-Charland, la pièce a été à l’affiche tout le mois d’août à Saguenay. Pour vous qui êtes natif de Chicoutimi, c’est ce qui s’appelle joindre l’utile à l’agréable...

Absolument! Je me suis organisé pour jouer dans mon patelin. Ma blonde, qui est en vacances en août, m’ac- compagne. Alors on en profite pour visiter nos familles, des lieux où on n’a pas mis les pieds depuis longtemps.

Comment vos parents ont-ils réagi quand vous leur avez annoncé que vous vouliez devenir humoriste après avoir étudié en récréologie?

Ils aimaient mieux la récréologie, parce que j’allais finir mes études avec un diplôme; ils pensaient que ce serait plus stable pour moi. Mais ils ont toujours eu un mélange d’insouciance et de confiance par rapport à ce que je faisais. J’ai eu deux sœurs aînées qui ont élargi la trail, comme je dis toujours. Alors, quand j’ai annoncé que je devenais humoriste, ils ont accepté, même s’ils n’étaient pas trop sûrs. Ils ne m’ont jamais encouragé, mais jamais découragé non plus. Ils ont eu le temps de voir une bonne partie de ma carrière et de me dire qu’ils en étaient fiers.

Vous avez perdu votre mère, Pâquerette, en 2017. Sur Facebook, vous avez écrit que vous lui deviez votre talent.

Elle aimait raconter des blagues et faire rire. Pas des blagues à la Gilles Latulippe, mais des situations. Des fois, elle nous surprenait, on ne réalisait pas tout de suite qu’elle blaguait. Quand elle avait le spotlight sur elle, ma mère était très heureuse. Même durant sa maladie, ça ne l’a pas quittée. Je me souviens d’être arrivé presque en panique au centre de soins, ma mère ayant eu un malaise, et tout près de la chambre, j’ai entendu rire les infir- mières. Je me suis dit: «OK, elle est pas si pire, là!» (rires) Elle avait son public!

Et que devez-vous à votre père, Mauril?

Mon père était un homme droit et honnête, je lui dois ça. C’est une des personnes les plus généreuses que j’aie connues. Il ne comptait pas son temps ni ses bonnes actions. Il s’est donné corps et âme pour ses sœurs plus vieilles qui n’étaient pas mariées, pour tout le monde. Ça, au début, c’était dur à com- prendre pour moi, pourquoi il en faisait autant. Mais ça m’est resté.

Vous avez justement donné du temps pendant la pandémie...

Oui, j’avais commencé à faire du bénévolat à la Maison de l’entraide, à Sainte-Julie, en janvier 2020. Puis la pandémie est arrivée, je n’avais plus rien au programme. Et comme les trois quarts des bénévoles là- bas avaient plus de 70 ans, ils ne pouvaient plus venir aider. Je me suis donc impliqué trois jours par semaine, à préparer des paniers pour les familles défavorisées. Ç’a été très enrichissant.

Il y a maintenant 31 ans que vous êtes humoriste. Quel est le secret pour durer, selon vous?

Avoir du plaisir à faire ce qu’on fait. Et être soi-même... et le rester. Mon public me suit depuis toujours. Il est large – il y a des jeunes, des moins jeunes –, et je le respecte. Je n’essaie pas d’aller chercher un public plus jeune. Je ne joue pas au jeune. J’essaie de me tenir à jour, d’être branché sur ce qui se passe aujourd’hui, d’être moi-même et de ne pas perdre de vue les gens à qui je parle.

Ça fait 37 ans que vous êtes avec votre conjointe, Nathalie. Partagez-vous les mêmes rêves de retraite?

Hum... non! (rires) Ça diffère un peu. Il se peut que, rendus là, on ait besoin de mettre chacun un peu d’eau dans son vin! On prend la vie au jour le jour et on se donne des projets, c’est notre secret très simple pour durer comme couple.

Cette année, vous vivrez un deuil en tant que parents...

Oui, notre fils Dominic a déjà quitté le nid: il étudie à la maîtrise, à Montréal. Mais au moment où on se parle, notre plus jeune, David, s’apprête à déménager à Caraquet, où il commence à travailler comme journaliste. Alors, on a le motton. C’est une grosse étape, autant pour lui que pour nous, qui allons nous retrouver seuls à la maison. On est quand même très heureux pour lui et on est bien placés pour le comprendre, puisque ma blonde et moi avons fait la même chose, quitter notre Saguenay pour étudier à Trois-Rivières. Mais bon, je vais devoir me «booker» des spectacles au Nouveau-Brunswick! (rires)

Que trouviez-vous important de transmettre à vos fils comme valeurs?

De travailler fort, mais surtout d’être heureux. Trouvez-vous une job qui vous donnera envie de vous lever le matin et faites-la du mieux que vous pouvez. Si vous n’êtes pas heureux, trouvez-vous une façon de l’être. Nos parents ne nous ont pas nécessairement enseigné ça, parce que pour eux, le bonheur, c’était simplement d’avoir un emploi, un bon salaire.

Dans votre télésérie La vie rêvée de Mario Jean, l’animatrice Sophie Durocher vous a posé une question à 100 $: «Qui est le vrai Mario Jean?» Que répondriez-vous aujourd'hui?

Le vrai Mario Jean n’est pas loin de celui qui est sur scène. Évidemment, tout ce que je raconte ne m’est pas arrivé. Je n’aime pas être une vedette et je n’ai jamais agi comme tel. J’aime être proche du monde, les deux pieds sur terre, jaser avec les gens. Des fois, je suis peut-être plus dans ma tête, je n’ai pas toujours le sourire accroché au visage. Et je vis du stress, de l’angoisse et de la colère, comme tout le monde, surtout quand je reçois un mauvais service! (rires) Mais personne n’a à me prendre avec des pincettes.

Vous avez 57 ans. Quels sont les avantages qui viennent avec cet âge?

Le calme, la sérénité, bien moins de stress. La vie va beaucoup moins vite. Même si on la voit passer à 100 milles à l’heure, on n’est plus obligés d’embarquer dans le train, c’est fantastique! On fait les choses qui nous tentent. Il y a un lâcher-prise qui vient avec l’âge.

Le grand virage, en tournée au Québec cet automne.

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