Marie Laberge: Les histoires en soi

Marie Laberge: Les histoires en soi

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Laurence Labat

Au moment où ces lignes seront publiées, l’auteure sera face à la mer, plongée dans l’écriture de son prochain livre, «un roman, je crois, et pas policier», consent-elle à annoncer. Nous avons discuté de sa riche carrière et du métier d’écrivaine.

Vous avez grandi dans une maison remplie de livres. Que représentaient-ils pour vous, enfant? Un refuge, une distraction, des amis?

Je dirais les trois. Presque comme si quelqu’un que je ne connaissais pas me connaissait et me racontait des choses que j’aimais. Je n’ai jamais regardé le nom de l’auteur quand j’étais petite, je n’ai jamais pensé à celui qui créait ces mondes. Ce que j’aimais, c’est que l’univers existe et que je puisse y plonger, m’échapper de tout. La première fois de ma vie où j’ai compris, à même pas cinq ans, que tous les petits caractères noirs sur les feuilles du journal que mon père lisait tous les jours étaient des mots et que tout ça parlait, ça m’a bouleversée.

Vous rappelez-vous vos premières lectures marquantes?

La Comtesse de Ségur, j’ai tout lu au moins trois fois. Toute la Bibliothèque Rose. J’adorais les Tintin. J’aimais leur odeur, aussi. Quand j’ouvre un livre, je le sens encore. L’odeur de l’encre et des colles pour assembler les pages a beaucoup évolué. Il y a eu une époque où on coupait les pages des livres – mon père lisait avec un coupe-papier. C’était comme une aventure! Quand j’étais petite fille, il n’y avait aucun livre en littérature jeunesse qui était québécois. Tous les référents étaient français, belges, suisses, bref, de l’étranger, l’ailleurs. Et c’était d’autant plus fantastique. On s’imagine toujours qu’il faut tout expliquer aux enfants. Quand je lisais «le jardin des Tuileries», j’étais sûre que c’était un jardin avec des tuiles par terre pour ne pas salir sa robe du dimanche. Quand j’ai vu les vraies Tuileries, j’ai fait: Aaah bon! J’aimais bien mon idée! Les enfants ne s’arrêtent pas à ce qu’ils ne comprennent pas, ils lui donnent un sens. Et souvent, c’est le bon.

Vous avez d’abord été comédienne, dramaturge, metteure en scène et vous avez enseigné le théâtre avant qu’on voie votre nom sur un roman, à 39 ans. Le théâtre a-t-il nourri la romancière?

Bien sûr! Tout nourrit l’écrivaine. D’abord, c’est une école d’écriture assez solide. L’action se passe entre une heure et trois heures, ça doit avoir un début et une fin, et une escalade dramatique. C’est l’art du dialogue, l’oralité. L’amour du public aussi m’a marquée. Quand on est sur scène, on le sent, le public. Quelquefois il nous porte, quelquefois on le porte! (rires) Je me souviens qu’il y a des salles qui sont incroyablement dynamiques, ont une espèce d’harmonie, nous écoutent, ressentent la tension qu’on installe et rient, et ce rire nous porte jusqu’à l’autre réplique. Et il y a des fois où c’est comme une espèce d’océan avec des vagues contrariées, qui font des embruns très loin et devant, c’est calme.

Vous avez dit, dans un autoportrait intitulé L’enfant derrière la porte: «l’enfant que j’étais reste toujours à mes portes, attendant de pouvoir me dire qui je suis. Et cette enfant s’éveille à chaque fois que j’écris.» Ces yeux de l’enfance vous guident-ils encore?

Pour guider, il faut être devant. Pour propulser, il faut être derrière. Mon enfance est derrière, alors je pense qu’elle me propulse. Beaucoup de choses d’un être humain sont dites après l’enfance. Beaucoup de ce qu’un être humain va devenir, faire, entreprendre ou refuser. Tout ce qu’on a comme réussites et échecs est presque tricoté à même la base. Mon enfance est un puits, et dans ce puits, il y a des choses que je ne connais pas, que je n’ai pas nommées, qui me poussent et me font être sensible encore à bien des choses et m’indigner encore de bien des choses. Et c’est avec ces choses-là et avec l’amour qu’on écrit.

La section biographie de votre site web est originale: un collage de photos et de notes manuscrites, où vous consignez aussi vos ruptures amoureuses et la mort de personnes chères…

J’ai travaillé fort! Par sincérité ou authenticité, je voulais dire ce qui avait marqué certaines années. Le plus loin que je pouvais aller dans les aveux privés et personnels, c’est sur mon site. Mais en même temps, j’ai arrêté parce que peu de gens consultent ces sites. Les ruptures, il y en a eu qui ont été très formatrices, parce qu’après le bobo, il y a quelque chose qui peut grandir, c’est une terre qui s’est enrichie. Quand ça brûle, ça fait mal, mais ça peut former une terre plus riche. Et c’est juste pour dire aussi que tout m’arrive, comme à tout le monde. Les gens pensent toujours qu’on a des destins comme les personnages qu’on écrit. Pas du tout!

Quelques adieux, le premier roman que vous avez écrit mais le deuxième publié, a été refusé plusieurs fois. Alors, vous l’avez mis de côté, mais pas abandonné…

Pour ne pas me mettre à croire que ce que je sentais, ce n’était pas la bonne chose. Pour me méfier de moi au lieu de me méfier des commentaires. Je sais qu’il y a beaucoup de jeunes personnes qui écrivent et se font refuser des romans. Presque tout le monde est refusé à un moment donné. Il ne faut pas croire que ceux qui sont au sommet n’ont jamais été refusés et il ne faut pas perdre de vue qu’il y a des moments dans la vie où il faut croire très fort en soi pour avancer. C’était une décision très sage! Je suis même étonnée de l’avoir eue!

La trilogie Le goût du bonheur vous a en quelque sorte été inspirée par le deuxième référendum…

Elle a plutôt été ma réponse à ma déception. Je me suis dit: ça n’est pas ton affaire, Marie, la politique, tais-toi. Que voulais-tu faire avec le préambule? [L’auteure avait été invitée à coécrire le préambule de la Déclaration d’indépendance du Québec.] Donner aux gens du Québec une image d’eux-mêmes qui ne soit pas désolante, affaiblie, rapetissée, rapiécée. Tous ces mots qui font qu’on est nés pour un petit pain, cette horrible devise. Et puis, je voulais leur donner la sensation que j’avais que notre société avait énormément évolué depuis l’ère épouvantable où l’Église et Duplessis nous tapaient sur la tête et faisaient des femmes des pondeuses pour que l’avenir des hommes soit assuré. C’était aussi un rêve que j’avais depuis très jeune d’écrire une saga. Quand j’ai eu 50 ans, je me suis dit que j’allais être trop fatiguée après et que c’était le moment! C’était le tournant de ma vie qui pouvait m’inspirer un projet qui soit à la hauteur de mon angoisse de vieillir. Je me suis dit: ce que tu voulais faire en politique, fais-le en écriture. C’était ça, ma hache. Chacun n’abat pas sa forêt avec la même hache. La mienne, c’est l’écriture. Mieux vaut de rester fidèle à qui on est pour avancer, parce que quand on force un peu, des fois, ça ne donne pas le résultat escompté.

Depuis des années, votre rituel d’écriture est le même: face à la mer, seule, avec la même plume, à l’encre blue-black de Waterman. Cette solitude qui est une alliée pour l’écrivaine vient-elle avec certains sacrifices pour la femme?

J’ai toujours pensé qu’il fallait être autonome, c’est-à-dire être capable d’être seule dans la vie si on veut être capable d’être avec les autres. Je suis à peu près certaine qu’il y a des relations amoureuses qui ont été écourtées par le fait que je pars trois mois pour écrire, même si ce n’est pas chaque année. C’est sûr que ça a un prix. Tout a un prix, pourquoi pas la liberté? Il y a des funérailles auxquelles je ne suis pas allée. Mais j’assume mon besoin de solitude, qui est nécessaire à ce que je fais dans la vie et à ce que je sais le mieux faire.

Dans votre essai Treize verbes pour vivre, vous écrivez que la vieillesse est devenue inadmissible. Qu’est-ce que la façon dont on traite les aînés dit sur notre société?

Ça dit qu’il y n’a dans l’esprit des gens aucune attache. Pour moi, les gens qui sont en train de vieillir portent notre passé récent, ils ont eu des enfants, des relations, joué un rôle aussi dynamique que ceux qui sont maintenant jeunes et dynamiques. Cette ignorance-là m’inquiète, parce qu’elle n’est pas sans effet. Quand on ne sait pas quelque chose ou n’y fait pas attention, on peut le regretter plus tard. Et je pense que comme société, on va le regretter, de pousser l’âgisme à ce point. On va défigurer ce qu’on croyait être notre société. C’est leur avenir à eux aussi. J’aurai quand même 72 ans à la fin novembre, je fais partie de la gang! Mais je n’ai pas d’enfants pour me «pitcher» au CHSLD! (rires) Et j’ai la chance inouïe d’avoir une bonne santé. Tant que j’ai du gaz, je vais aller vite! Je veux mourir fatiguée morte!

Vite de même

Ce qui vous fait rire
L’humour des gens, l’humour un peu absurde. Les deuxièmes degrés.

Ce qui vous enrage
L’inconscience. La lâcheté. L’égocentrisme…

Ce qui vous émeut
L’être humain quand tout à coup il est un peu vulnérable, comme déshabillé. Les gens timides qui essaient de traverser leur timidité pour venir vers moi, ça me bouleverse.

Ce qu’on ignore de vous
Probablement que, malgré un côté capable de m’exprimer, je suis encore quelqu’un de timide.

Un talent caché
L’amitié.

Un plat que vous ne ratez jamais
Le risotto au homard.

Une plume qu’on gagnerait à connaître
Julian Barnes. Je le trouve très savant et très drôle.

Ce qu’on ne lira jamais de vous
Une autobiographie! Treize verbes pour vivre, c’est le max que je puisse faire. Même écrite par un autre, ce ne sera jamais autorisé! De toute façon, ils auraient du mal, parce que mes amis sont d’une grande fidélité, et ce sont eux qui savent le plus croquant.

Un regret
Aucun. Même les choses que j’ai mal faites, ou les relations qui ont mal tourné, j’ai fait ce que je pouvais avec la connaissance que j’avais et l’humanité qui était la mienne. Mes décisions sont conformes à qui je suis.

 

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