Louise Portal: La joie de transmettre

Louise Portal: La joie de transmettre

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Collaboration spéciale

Faire partager son expérience et son amour de l’écriture: telle est désormais l’envie de cette généreuse actrice et écrivaine à la carrière bien remplie, qui nous fait aussi cadeau d’un texte sur l’amitié.

Quelle place occupe l’amitié dans votre vie?

Comme je l’écris, « les amis, c’est la famille que le cœur se choisit ». Contrairement aux familles de sang, où il y a souvent du non-dit, de la rancœur, des conflits, en amitié, on est plus porté à nommer ce qui ne fonctionne pas, plus enclin à exprimer nos émotions. Pour moi, l’amitié est une rencontre avec l’autre et avec soi-même. Une sorte de communion. Cela dit, ça se transforme au fil du temps. Jeune adulte, j’avais ma gang de meilleurs amis, et en vieillissant, elle s’est raréfiée: je connais beaucoup de gens, mais des vrais amis proches, j’en ai peu. L’amitié, ça se cultive comme un jardin.

Comment la correspondance que vous entretenez avec votre grand-mère de cœur, publiée dans L’héritage des mots, démontre-t-elle que l’amitié n’a pas d’âge?

Jeannette Rivière a 102 ans! Je l’ai appelée ce matin pour lui chanter une chanson, elle était en grande forme. Depuis 2006 qu’on correspond, ce n’est pas rien! Je me trouve bien chanceuse. Cette amitié intergénérationnelle m’inspire énormément. Je comprends pourquoi elle a vécu jusqu’à cet âge honorable. Sa philosophie de vie, c’est l’espérance, la confiance. Malgré les épreuves, il y a quelque chose en elle qui irradie. Son père lui disait toujours «ça va bien aller», alors, on a bien ri quand notre premier ministre nous a sorti ça en début de pandémie.

Que vous inspire cette longévité pour les 25 prochaines années?

Je ne rêve pas de vivre jusqu’à 102 ans, mais j’avance assurément en âge, et la pandémie a accentué cette réalité. Et je trouve important de parler du vieillissement. Mon slogan pour 2023 est : je pratique le détachement et le contentement. D’arriver à me détacher des attentes, de ce qui peut venir cogner à notre cœur pour nous heurter. Il faut accepter de se détacher professionnellement, aussi. J’aurai 73 ans en mai. À cet âge, on vit beaucoup de pertes autour de soi. Si on ne développe pas intérieurement une attitude d’accueil, on est cuit. Mais je reste persuadée qu’il faut aller vers l’espérance, il y a plus de lumière que de noirceur dans la vie.

C’est une sagesse venue avec l’âge?

Je crois plutôt que ça se développe tout au long de la vie. Il y en a qui ne la développent jamais… J’ai cette capacité de rebondir depuis le milieu de ma vingtaine, et je trouve que c’est une grâce. Jeune, on m’a souvent dit que j’étais fleur bleue parce que je gardais espoir que tout aille mieux. Mais j’ai eu raison ! Je trouve que je vieillis en toute sérénité. Et ça, c’est irremplaçable. Le contentement, c’est regarder ce qu’on a au lieu de ce qu’on n’a pas. C’est ne pas jalouser, ne pas se comparer.

Selon vous, comment les rapports hommes-femmes ont-ils évolué depuis votre participation au film culte Le déclin de l’empire américain?

Ouf! Je ne constate pas une grosse évolution chez les personnes de mon âge. De nombreux couples se séparent parce qu’ils ne sont pas arrivés à communiquer. Remarquez, les jeunes aussi se séparent. Aujourd’hui, on est dans une société du jetable. Tel bidule ne fonctionne plus ? On en achète un autre. Et c’est comme ça aussi pour les relations. Ce qui fait que ma génération vit beaucoup de solitude. C’est d’ailleurs ce qui m’a inspirée à écrire mon livre Seules : ces femmes que j’aime. J’y rendais hommage à quinze femmes qui selon moi vieillissent très bien parce qu’elles assument cette solitude, ne sont plus en attente. Alors, je dirais que la condition féminine a évolué depuis Le déclin, sur plusieurs aspects, et c’est merveilleux. Mais les relations hommes-femmes ne sont pas plus faciles, et ce, pour toutes les générations. De rencontrer l’amour véritable, sur lequel tu peux t’appuyer et avec lequel tu peux marcher côte à côte, c’est encore un privilège.

Après 50 ans de carrière, comment s’annonce la suite?

D’abord, j’ai vraiment été gâtée : 47 longs métrages, et une vingtaine de courts. Après toutes ces années, j’en arrive à celles de la transmission. Et ça s’inscrit dans mes livres, dans cette passion de l’écriture qui pour moi a été salvatrice. Si je n’avais pas eu cela dans ma vie, j’aurais toujours été dans l’attente de choses provenant de l’extérieur, alors que l’écriture est la voie de l’intériorité. Écrire m’a aussi permis d’avoir une carrière de chanteuse, puisque j’ai écrit des chansons, et une carrière littéraire qui a pris de plus en plus de place au cours des quinze dernières années. Encore plus depuis les quatre dernières, où j’ai eu à peine cinq ou six jours de tournage. Toutes mes activités tournent maintenant autour de ça, j’offre des ateliers d’écriture, je donne des conférences autant dans des écoles secondaires que dans des résidences pour personnes âgées, et je sens que c’est ce que je dois faire.

Pourquoi êtes-vous toujours en mode action?

J’ai complètement arrêté d’attendre! Et puis, je vieillis. Je suis une aînée, moi aussi. Les aînés sont toujours vivants, toujours actifs et ils ont besoin de modèles et d’être inspirés. Alors moi, c’est ce que j’ai à offrir. Présentement, je n’ai pas le goût de me mettre à un roman, je suis plus dans l’écriture autobiographique ou réflexive. Je pense qu’en ces temps de chaos et de noirceur, les gens ont soif de lumière et d’espoir, de bienveillance et de douceur. Avancer en âge est un privilège, et je désire le célébrer. J’ai encore beaucoup à offrir. Je n’ai pas peur de dire mon âge, de dire qui je suis, je m’assume. De toute façon, ce qu’on fuit nous poursuit!

Pourquoi avez-vous écrit Mon cahier à moi, sorte de journal intime guidé qui pourrait s’adresser aux 8 à 88 ans?

Ça faisait longtemps que j’y pensais, et j’ai approché Tristan Demers pour l’illustrer, parce que je le connais depuis des années et j’aime son travail. Le résultat est au-delà de mes espérances ! Mais oui, c’est pour tout le monde : quand je l’offre à des amies qui ont 55, 65 ans, elles me disent avoir hâte de le remplir. Ça réveille notre enfant intérieur ! C’est une très grande joie pour moi qu’il puisse rejoindre plusieurs générations. Je vois très bien un grand-parent et son petit-enfant, chacun avec son cahier, écrire ensemble. Je n’ai pas eu d’enfants, alors c’est aussi ma façon de les toucher. Si j’étais ministre de la Culture, je l’offrirais dans toutes les écoles!

Pourquoi cette volonté de créer des ponts entre les générations?

C’est très important, parce que rester en contact avec la vie est la seule façon de bien vieillir. Et la vie, c’est les enfants. Dans certaines écoles de jumelages d’élèves et de personnes âgées, on voit à quel point c’est bénéfique. À 14 ans, j’ai été monitrice dans un camp pour jeunes handicapés au Saguenay, ça m’a montré que tout le monde n’était pas pareil. La vie, ça comprend aussi la maladie, la vieillesse, la solitude et on peut tous apprendre les uns des autres, les plus jeunes des plus âgés, et vice-versa. Imaginez une société où dans les écoles, les enfants devraient faire deux heures de bénévolat par semaine auprès des aînés! Ce serait fantastique.

Parlez-nous de votre prochain projet, la websérie La dernière communion, qui aborde justement les relations intergénérationnelles.

C’est mon premier tournage en, quoi, quatre ans… C’est correct, puisque ça me permet aussi ce détachement nécessaire. On ne s’en cachera pas, il y a très peu de rôles principaux pour les femmes de mon âge. J’ai eu mes heures de gloire, et il faut laisser place à la nouvelle génération, sans toutefois nous oublier! Bref, dans cette websérie, je retrouve Jean-Pierre Bergeron, avec qui j’ai fait du théâtre amateur à Chicoutimi. J’interprète une de ses anciennes flammes.

Vous êtes parmi les rares à pouvoir dire que toutes vos archives sont conservées aux Archives nationales. On veut tout savoir!

Quand on a vendu notre maison en Estrie, Jacques et moi, il y avait 25 boîtes d’archives dans mon garde-robe et je me suis demandé ce qu’elles allaient devenir. Comme je n’ai pas d’enfants à qui les léguer, et que je trouvais dommage que ça se perde, j’ai fait une démarche auprès des Archives nationales. La personne qui est venue les consulter m’a dit que c’était parmi les plus belles archives qu’elle avait feuilletées! J’écris tous les matins, j’ai 138 cahiers de remplis, dont 50 sont dans ce fonds d’archives. Il y a aussi des lettres de Denys Arcand, des courriels de Charlotte Rampling, tout plein de documents qui illustrent la culture du Québec. C’est ouvert au public, mais la seule indication que j’ai donnée, c’est que mes journaux intimes ne soient accessibles qu’après ma mort. L’endroit lui-même, sur la rue Viger à Montréal, est splendide. Quand je serai très vieille, j’irai m’y rappeler des souvenirs en consultant mes archives !

Quand vous tournez votre regard vers le passé, quel sentiment domine?

Le premier mot qui monte, c’est accomplissement. Sur tous les plans: professionnel, personnel, amoureux, spirituel.

Et quand vous regardez devant?

Hum, je suis pas mal plus à la sortie des artistes qu’à l’entrée ! Mais à la sortie, il y a quand même parfois des gens qui nous attendent pour nous féliciter ! Comme quand j’ai eu le prix Iris Hommage, l’an passé. Tout était dit. Maintenant, je me consacre à suivre les élans que j’ai. Je m’écoute beaucoup, je dis oui à ce qui me fait plaisir, et non au reste. Je suis en train de préparer une biographie, qui va sortir cet automne. J’ai demandé à un jeune auteur que j’aime beaucoup, avec qui je vois des correspondances émotionnelles, de l’écrire, mais je garde son nom secret pour l’instant!

En rafale

Le rôle de votre vie
Amoureuse.

Celui que vous auriez aimé décrocher
Alys Robi.

Le plus difficile
Cordélia a été très exigeant. Elle a vécu un drame, et mourir pendue, c’est quelque chose à incarner.

Que vous regrettez d’avoir accepté
Même si je ne regrette pas d’y avoir participé, Les dangereux a tellement reçu de critiques négatives! Mais pour moi, le processus est plus important que le résultat final. J’ai fait plein de films intéressants qui n’ont pas récolté de succès public, comme Tinamer, avec Gilles Vigneault.

Dont on vous parle encore
Cordélia et évidemment Diane, du Déclin et des Invasions barbares. Mais on me parle de ces deux films dans leur ensemble et non juste de mon personnage.

Qui manque à votre CV
Julie Papineau. J’ai fait plein de démarches, mais ça n’a jamais vu le jour, malheureusement. C’était une femme héroïque. Et j’aimerais bien incarner Renée Martel, qui a eu une vie passionnante et résiliente, dans ses dernières années.

Que vous auriez aimé écrire
Je ne me verrais pas écrire pour le cinéma, mais j’aurais aimé faire une série télé avec ma trilogie gaspésienne. Ça a failli se réaliser, mais c’était trop coûteux. Muriel, ça aurait été un rôle pour moi.

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