Cancer du sein: les bénéfices de l’éducation thérapeutique pour les patientes

Cancer du sein: les bénéfices de l’éducation thérapeutique pour les patientes

Par Blandine Labbé-Pinlon et Cindy Lombart, professeurs de marketing, Audencia

Crédit photo: iStock

Le cancer du sein est, chez la femme, le cancer le plus fréquent et la première cause de décès par cancer. Et le nombre de nouveaux cas continue d’augmenter, outre les prédispositions génétiques (5 à 10 % des cas), du fait notamment des modes de vie actuels (sédentarité, alimentation, travail posté, etc.) et de la consommation de tabac ou d’alcool : 58 500 nouveaux cas ont été enregistrés en 2018 en France, avec une hausse de 0,6 % par an entre 2010 et 2018 (âge médian au moment du diagnostic 63 ans).

Tout n’est pourtant pas négatif dans ces chiffres, car la mortalité, elle, est en baisse depuis les années 1990 et le taux de survie à cinq ans s’améliore (87 %). Deux raisons majeures à cela : le développement des dépistages précoces et les progrès thérapeutiques. Ainsi, la survie des patientes s’allonge, avec toutefois un risque accru de séquelles.

Un autre facteur prépondérant est à prendre en compte : la façon dont la patiente va vivre et mener son parcours de soin. Car après la sidération du diagnostic, ce dernier est complexe. Il est également très variable selon le type de cancer et ses spécificités (cancer localisé ou invasif, type de cellules concernées – glandulaires ou lobulaires, présence ou non de récepteurs, de phénomènes inflammatoires, de métastases…)

On peut donc parler d’un véritable parcours de «combattantes» entre, selon les cas, chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie, reconstruction chirurgicale et, in fine, un traitement oral à visée anti-hormonale prescrit pendant au minimum cinq ans (hormonothérapie).

Chaque étape est prise en charge par différents spécialistes, entre lesquels les patientes doivent cheminer. Elles doivent en outre faire face aux effets secondaires, parfois lourds, des thérapies mises en place. La durée moyenne des traitements pour un cancer du sein à un stade précoce (guérissable) est d’environ un an, ce qui impacte aussi la vie quotidienne, familiale, professionnelle et sociale des patientes et de leur entourage. La maladie en elle-même induit enfin souvent des questionnements personnels importants.

L’éducation thérapeutique, de patient à acteur

Dans ce contexte, l’éducation thérapeutique du patient (ETP) peut jouer un rôle important, complémentaire des soins directs. Elle doit en effet permettre aux patients de développer leur capacité d’action et de décision pour leur santé – leur « empowerment » – et d’appréhender au mieux leurs parcours de soins. Cette pratique de soins personnalisée vise à leur faire acquérir les connaissances, les compétences et les comportements adaptés pour vivre au mieux avec leur maladie et leurs traitements, à procéder à un réaménagement psychoaffectif et à se (ré)approprier des normes de santé et un projet de vie.

Cette démarche implique des activités de sensibilisation, d’information, d’apprentissage de l’autogestion et de soutien psychologique qui vont concerner la maladie, les traitements, le cadre hospitalier, les informations organisationnelles et les comportements de santé. En acquérant ces connaissances le patient développe des compétences d’autosurveillance, d’autosoins, d’adaptation et de sécurité, et peut ainsi modifier ses comportements. Responsabilisé et plus autonome, il devient acteur de sa prise en charge thérapeutique.

Une approche adaptée aux pathologies chroniques

Les principales pathologies dans lesquelles des interventions éducatives sont déjà mises en œuvre et ont fait l’objet d’évaluations de leur intérêt médical sont des affections au long cours : le diabète et les maladies respiratoires, cardio-vasculaires et rénales.

En oncologie, les programmes d’éducation thérapeutique du patient sont plus récents et encore méconnus. L’accès à cette offre de soins reste de surcroît limité et inégal sur un plan territorial. En France, seuls 4 % des programmes d’ETP autorisé par les Agences régionales de santé (ARS) sont dédiés à des patients suivis pour un cancer (172 sur les 4296 programmes répertoriés en 2019).

Le développement des programmes d’ETP, à l’initiative des établissements de soins, est en effet contraint par des procédures de valorisation financière variables selon les ARS, le manque de disponibilité des acteurs et la complexité pour les professionnels d’adopter une posture « soignant-éducateur ». Les représentations de l’ETP et la reconnaissance de ses apports pour les patients sont aussi très variables selon les professionnels de santé prescripteurs.

Autant de difficultés qui peuvent entraver l’intégration de l’ETP comme élément à part entière du parcours de soins des patients. S’il est difficile d’estimer le nombre de patientes qui ont participé à un programme d’ETP en oncologie (aucun site national ne permettant, à date, de les recenser), force est de constater en pratique qu’il reste faible du fait de l’offre limitée.

De nombreux bénéfices concrets

L’ETP en oncologie pourrait pourtant contribuer, comme dans les autres pathologies chroniques, à diminuer la survenue et l’aggravation de certaines toxicités, améliorer la qualité de vie des patients et l’efficacité des traitements et, in fine, optimiser les coûts de santé.

Elle est ainsi reconnue par l’Institut National du Cancer (INCa) comme une vraie piste d’amélioration du parcours de soins et une composante incontournable de l’accompagnement des patients. C’est également, dans la stratégie décennale de lutte contre le cancer 2021-2030, une des actions préconisées pour limiter les séquelles et améliorer la qualité de vie des patients.

Qu’en est-il du point de vue des patients ? Quels bénéfices retirent-ils de leur participation à un programme d’ETP ? Quels efforts ont-ils du faire pour y participer ?

Une recherche interdisciplinaire a été récemment consacrée à l’évaluation des effets spécifiques de l’ETP dans le cadre du cancer du sein, et plus spécifiquement à la mesure de sa valeur perçue par les patientes (définie comme le résultat de la confrontation d’une variété de bénéfices et de coûts associés à l’ETP). Pour enrichir les travaux antérieurs sur leur expérience, souvent sous-exploités en raison des limites des approches qualitatives mobilisées, un paradigme établi en management a été adopté et une étude quantitative menée auprès de 470 patientes prises en charge pour un cancer du sein à l’Institut de Cancérologie de l’Ouest.

Cette recherche a permis de mieux comprendre, du point de vue concret des patientes, la variété des apports qu’elles peuvent retirer de leur expérience d’un programme d’ETP. Cinq bénéfices majeurs ont été identifiés, d’intensité et de hiérarchie variables selon les profils des patientes, mais tous, à minima, plutôt élevés :

  • Être soutenues et accompagnées sur un plan humain tout au long de leur parcours de soins ou à certaines étapes (à leur rythme, en dehors des seules échéances programmées de leurs rendez-vous médicaux). Cet accompagnement les a aidées à mieux s’adapter aux conséquences physiques des traitements comme aux répercussions émotionnelles et psychosociales de leur maladie.

  • Acquérir des connaissances utiles et fiables sur leur parcours de soins. Les programmes suivis les ont aidées à mieux comprendre traitements, précautions à prendre pour limiter leurs effets indésirables et comportements à adopter pour maintenir leur qualité de vie. Ils leur ont aussi permis de mieux comprendre et/ou compléter les informations apportées par leurs oncologues à des moments où elles n’étaient pas forcément disposées ou en capacité de les entendre ou de les comprendre.

  • Acquérir des compétences (autosurveillance, autosoins, sécurité, adaptation) pour mieux gérer au quotidien les effets indésirables des traitements. Identifier et mobiliser les ressources potentielles disponibles au sein de l’établissement de santé ou à l’extérieur.

  • Être plus en confiance et en capacité pour être (davantage) « acteur » de leur parcours de soins. Participer à ces programmes les ont aidées à être plus autonomes pour gérer leurs traitements et faire face aux difficultés de leur parcours de soins.

  • S’adapter sur un plan personnel et social. Les patientes ont pu ainsi mieux vivre ou partager leur expérience avec leur entourage (équipes soignantes, médecins, autres patients, mais également proches, etc.) et se (et/ou le) protéger sans s’isoler ou se refermer sur soi-même.

Un investissement personnel

Participer à un programme d’ETP a toutefois aussi contraint les patientes à faire des efforts pour affronter d’une part leurs propres inquiétudes ou de nouvelles sources d’angoisses, et d’autre part le regard des autres patientes (séances collectives) et/ou des intervenants.

Elles ont parfois ainsi pu se sentir mal à l’aise avec l’image renvoyée d’elle-même ou de leur manière de mener leur parcours de soins. Ces coûts psychologiques et émotionnels perçus n’étaient toutefois que faibles ou modérés et n’altéraient pas leur valeur perçue globale de l’ETP, ni leur satisfaction envers l’expérience vécue, pour toutes, très élevées.

Privilégier le point de vue des patientes bénéficiaires permet ainsi de confirmer les apports cognitifs, psychologiques, utilitaires et relationnels de l’ETP pour leur parcours de soins et de souligner l’importance du soutien apporté par les équipes qui les accompagnent. Elles sont, en ce sens, les meilleures ambassadrices de l’ETP auprès des nouvelles « combattantes » et des professionnels de santé qui les prennent en charge.

 

Cet article a été publié par La Conversation.

Virginie Berger est co-autrice de cet article. Elle est médecin et responsable du département d’Éducation thérapeutique de l’Institut de cancérologie de l’Ouest (ICO), à Angers. Actuellement, sept programmes d’ETP sont proposés aux patients de ce Centre de lutte contre le cancer, dont cinq dédiés au cancer du sein (plus de 2500 patientes ont en déjà bénéficié). Blandine Labbé-Pinlon est également patiente-ressource à l’ICO.

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