Aujourd’hui reconnue, la fibromyalgie reste difficile à diagnostiquer. Où en est-on avec cette maladie douloureuse, trop souvent incomprise?
Quelques mois après le décès de son conjoint, Suzie, 61 ans, a commencé à éprouver des douleurs constantes et diffuses, de la fatigue et des problèmes de concentration. Deux ans plus tard, après une batterie de tests, le verdict de fibromyalgie est tombé. «J’ai toujours été active. Maintenant, je dois prendre plusieurs pauses durant la journée. Certains matins, je n’arrive pas à sortir du lit. Je refuse des invitations parce que je n’ai pas d’énergie. Je me sens coupable de ne pas en faire plus. Et, comme la douleur est invisible et que j’ai l’air en santé, mon entourage pense que j’exagère.»
Renée Marleau, 70 ans, secrétaire à la Société québécoise de la fibromyalgie, se souvient, quant à elle, d’avoir ressenti les premiers symptômes après avoir cordé du bois. «Je suis allée au-delà de mes capacités parce que je voulais terminer cette corvée rapidement. La douleur s’est installée et n’est jamais partie. J’avais 45 ans quand on m’a diagnostiqué la fibromyalgie. Après avoir été dans le déni pendant cinq ans, j’ai finalement décidé d’apprivoiser la maladie. Mon quotidien a changé. Et même si mon employeur était compréhensif, j’ai pris une retraite anticipée. Il y a beaucoup de deuils à faire, tant sur le plan émotif que physique.»
Même si elle ne cause pas de problèmes de santé majeurs, la fibromyalgie affecte sérieusement la qualité de vie. «Outre des douleurs diffuses et persistantes dans une ou plusieurs parties du corps, la fibromyalgie peut entraîner, entre autres, une grande fatigue, des maux de tête, des raideurs, des troubles du sommeil, de la concentration et de l’humeur, des problèmes gastro-intestinaux et une sensibilité excessive à la lumière, aux bruits, aux odeurs, au toucher et aux variations météorologiques», énumère Mme Marleau. De nombreuses personnes souffrent aussi de découragement, de colère, d’irritabilité, d’anxiété et de dépression, non seulement à cause des symptômes, mais également de l’incompréhension des proches et, parfois même, des professionnels de la santé.
Un diagnostic compliqué
Chose certaine, les souffrances sont bien réelles. En 1992, l’Organisation mondiale de la santé a d’ailleurs officiellement reconnu l’existence de cette maladie qui touche de 3,3 à 5 % de Canadiens, dont 66 % de femmes. Poser un diagnostic s’avère toutefois complexe. D’abord, le site et l’intensité de la douleur peuvent varier d’un jour à l’autre, voire d’une heure à l’autre. De plus, les symptômes sont parfois présents dans d’autres pathologies, telles le lupus et la polyarthrite rhumatoïde. Pour compliquer davantage l’évaluation, aucun test sanguin, aucune radiographie et aucun signe clinique ne permettent d’identifier la fibromyalgie. Les examens ne montrent pas d’anomalie. Selon Emmanuel Gonzalez, bio-informaticien au Centre canadien de génomique computationnelle et au Département de génétique humaine de l’Université McGill, il n’est pas rare que les personnes touchées doivent attendre près de cinq ans avant de recevoir le diagnostic!
Si on ignore encore la cause exacte de ce syndrome imprévisible, des pistes sérieuses sont toutefois avancées. La fibromyalgie est généralement décrite comme un trouble d’hyperexcitabilité du système nerveux central. Par conséquent, l’hypersensibilité à la douleur pourrait être liée à un dysfonctionnement des neurotransmetteurs, notamment la sérotonine et la dopamine, et à une anomalie dans la transmission des signaux de douleur par les cellules nerveuses. Si plus d’un membre de la famille est atteint, une prédisposition génétique pourrait aussi être en cause.
Le microbiome sur la sellette
Une récente étude ouvre cependant la voie à une nouvelle théorie fort prometteuse. Une équipe de chercheurs montréalais vient en effet de mettre en lumière une corrélation entre la maladie et la composition du microbiome intestinal. Le Dr Amir Minerbi et ses collègues du Centre universitaire de santé McGill, de l’Université de Montréal et du Centre canadien de génomique computationnelle ont observé des différences dans les bactéries peuplant les voies digestives des sujets fibromyalgiques.
«Nous avons identifié 19 espèces bactériennes présentes dans le microbiome humain, dont la quantité variait à la hausse ou à la baisse chez les personnes atteintes de fibromyalgie, ce qui n’était pas le cas chez les sujets sains», explique Emmanuel Gonzalez, coauteur de l’étude. Les chercheurs ont eu recours à plusieurs techniques, dont l’intelligence artificielle, pour confirmer que les changements observés n’étaient pas engendrés par des facteurs modifiant le microbiome, comme l’alimentation, les médicaments, l’activité physique et l’âge. «L’ordinateur a pu diagnostiquer la fibromyalgie à partir de la seule composition du microbiome, avec un taux d’exactitude de 87 %!»
Pour l’instant, les chercheurs ne peuvent dire avec certitude si les variations du microbiome ne sont que des marqueurs de la maladie ou si celles-ci jouent un rôle dans son apparition, mais ils entendent poursuivre leurs travaux. Cette découverte pourrait changer la donne en matière de diagnostic et de traitements. Cela dit, quelle qu’en soit la cause, l’apparition de la fibromyalgie est habituellement associée à un élément déclencheur. «Elle se manifeste souvent à la suite d’un traumatisme physique (maladie, accident, changements hormonaux, agression) ou émotionnel (deuil, surmenage, stress important, choc), indique Renée Marleau. Les symptômes peuvent être aggravés notamment par le stress et le climat.»
Mieux vivre sa maladie
Même s’il n’existe pas de traitement connu pour guérir la fibromyalgie, il est possible d’améliorer sa qualité de vie en étant à l’écoute de son corps et en gérant ses symptômes. La prise en charge idéale comprend à la fois des traitements pharmacologiques et non pharmacologiques.
Les traitements pharmacologiques. Quelques médicaments agissant sur les neurotransmetteurs, comme la prégabaline (Lyrica) et la duloxétine (Cymbalta), sont spécifiquement destinés au traitement de la maladie. Certains antidépresseurs tricycliques sont également utilisés pour traiter la douleur et les troubles du sommeil et de l’humeur. Des antiépileptiques, des relaxants musculaires et des anticonvulsivants peuvent aussi être prescrits. Le choix de la médication tient compte des symptômes et de l’état de santé du patient.
Les traitements non pharmacologiques. La plupart des personnes atteintes ont comme premier réflexe de bouger le moins possible pour ne pas amplifier leur douleur. Erreur! Selon Renée Marleau, faire de l’exercice – comme de la marche, du vélo, de la natation, du pilates, du yoga adapté, du tai chi ou de l’aérobie –, est salutaire. D’après l’American College of Sports Medicine, l’activité physique diminue le nombre et l’intensité des points de pression, atténue la douleur générale, augmente la qualité du sommeil, réduit la fatigue et les symptômes de dépression. «Moins la personne fait d’exercice, plus ses muscles se raidissent et font mal. Même s’il peut être difficile de s’activer, j’encourage les gens à bouger régulièrement. On choisit toutefois le moment de la journée où on est le plus en forme et on respecte ses limites.»
Les approches dites «douces» (acupuncture, biofeedback, hypnothérapie, massothérapie adaptée) contribuent aussi au soulagement des symptômes. Et puisque le stress les accentue, tout ce qui procure un effet calmant sur le corps et l’esprit (relaxation, méditation pleine conscience, visualisation, respiration) est un plus pour diminuer l’anxiété et la souffrance. Les psychothérapies, comme la thérapie cognitivo-comportementale, et les groupes de soutien s’avèrent également d’un grand secours pour traverser les périodes difficiles ou mieux vivre avec la douleur. Enfin, des études ont montré que plusieurs personnes atteintes de fibromyalgie ont un syndrome de l’intestin irritable. Dans ce cas, un changement des habitudes alimentaires est essentiel.
Quand on souffre de fibromyalgie, il faut apprendre à faire des choix, à fixer des limites, à organiser efficacement son quotidien, à s’accorder des pauses et à ne pas se sentir coupable de dire non de temps en temps.
Fatigue chronique ou fibromyalgie?
On les confond régulièrement, car leurs symptômes se ressemblent. La principale différence entre ces deux affections réside dans le fait que la fatigue prédomine dans le syndrome de fatigue chronique, et la douleur dans la fibromyalgie. Cela dit, les deux se chevauchent souvent. Des études ont ainsi démontré que 75 % des personnes atteintes du syndrome de fatigue chronique souffrent aussi de fibromyalgie.
Pour plus d’info: Société québécoise de la fibromyalgie, sqf.quebec.