Faut-il vraiment cesser de boire de l’alcool?

Faut-il vraiment cesser de boire de l’alcool?

Par Chantal Tellier

Crédit photo: iStock

Colette, 67 ans, a pris l’habitude de boire un verre de vin chaque soir depuis sa retraite. Pour elle, c’est un moment de détente qu’elle qualifie de «petite récompense». Mais avec les nouvelles recommandations sur la consommation d’alcool, elle se demande si elle ne devrait pas repenser ses habitudes. On fait le point.

La science évolue et, avec elle, les directives concernant la consommation d’alcool. Le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) a donc actualisé, en début d’année, ses recommandations. Depuis 2011, les directives en matière de consommation modérée d’alcool au Canada étaient établies à un maximum de deux verres standards par jour pour les femmes et à trois verres standards par jour pour les hommes, sans excéder 10 verres hebdomadaires pour les femmes et 15 verres par semaine pour les hommes.

Les nouvelles recommandations ont été motivées par les avancées scientifiques et les études épidémiologiques qui ont démontré les risques liés à la consommation – même modérée – d’alcool. Le CCDUS propose donc désormais un «continuum de risque» en fonction de la quantité d’alcool consommée dans une période de 7 jours pour aider les gens à faire des choix éclairés:

• 0 verre par semaine offre de nombreux bénéfices, dont une meilleure santé et un sommeil amélioré.
• Un total de 2 verres standards ou moins par semaine permet généralement d’éviter les conséquences négatives de l’alcool pour soi et pour les autres.
• De 3 à 6 verres standards par semaine augmentent le risque de développer plusieurs cancers, comme ceux du sein et du côlon.
• À partir de 7 verres standards ou plus par semaine, le risque de maladies cardiaques et d’AVC augmente également.

Au-delà de sept verres standards par semaine, le risque de subir les conséquences décrites ci-dessus s’accroît radicalement. De plus, selon le CCDUS, on doit éviter de consommer plus de deux verres standards à la fois.

Cela dit, ces nouvelles directives ont soulevé quelques préoccupations. Parmi celles-ci, on note l’absence de considération pour les aspects psychosociaux liés à la consommation d’alcool, la confusion quant à l’ampleur des risques, ainsi qu’une certaine tendance à recommander l’abstinence, qui pourrait stigmatiser une grande partie des personnes qui consomment de l’alcool.

Beaucoup, peu ou pas du tout?

«On boit trop au Québec», martèle le Dr Martin Juneau, cardiologue et directeur de la prévention à l’Institut de cardiologie de Montréal. «Certains de mes patients me disent qu’ils boivent une bouteille de vin tous les jours au souper avec leur conjointe. C’est beaucoup trop!»

Le spécialiste souligne cependant l’importance d’individualiser le risque et de faire appel au jugement des gens: «On doit y aller au cas par cas. Si on a des antécédents de cancer du sein ou de cancer colorectal dans sa famille, mieux vaut boire très peu d’alcool, voire pas du tout pour éviter d’augmenter les risques d’en développer un. Par ailleurs, un courant de pensée remet en question les bienfaits cardiovasculaires de l’alcool. Pourtant, les résultats des recherches sur les effets positifs d’une faible consommation d’alcool sur la santé cardiovasculaire existent bel et bien. Des institutions reconnues, comme l’école de santé publique de l’Université Harvard et la National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAAA) suggèrent une consommation quotidienne de deux verres pour les hommes et d’un verre pour les femmes. À ces niveaux de consommation, le risque est très bas, voire négligeable. De plus, toujours à ces faibles niveaux de consommation, il y a une diminution du risque d’infarctus du myocarde, la principale cause de mortalité d’origine cardiovasculaire. Ça m’apparaît raisonnable, mais, de mon côté, je recommande à mes patients de ne pas boire tous les jours.»

Le Dr Juneau estime que la consommation d’alcool est souvent banalisée et que les verres s’additionnent vite. «Au-delà de ces quantités mentionnées, la consommation est clairement abusive, prévient-il. Elle est associée à une augmentation du risque de plusieurs cancers, en particulier ceux de la bouche, du larynx, de l’œsophage, du côlon, du foie et du sein.» L’ingestion chronique de fortes quantités d’alcool serait également associée à plusieurs pathologies du système cardiovasculaire, incluant l’athérosclérose, l’hypertension et l’arythmie, ce qui hausse considérablement le risque de mortalité cardiovasculaire autre que l’infarctus.

Pour Geneviève Desautels, directrice générale d’Éduc’alcool, il est essentiel d’offrir des informations complètes et nuancées en matière d’alcool. «Il est crucial que les directives soient simples et acceptables pour le public, afin d’éviter qu’elles deviennent contreproductives en matière de prévention, dit-elle. C’est notamment pourquoi Éduc’Alcool est en faveur de l’étiquetage obligatoire du nombre de verres standards sur les produits alcoolisés, permettant ainsi aux consommateurs de mieux évaluer la quantité d’alcool qu’ils consomment, compte tenu de la variété des produits et des formats offerts.»

Voir le verre à moitié plein

À quoi devrait-on s’en tenir en attendant de voir si ces directives seront adoptées – ou pas – par Santé Canada? «Si on s’inquiète à propos de sa consommation d’alcool, on peut se demander pourquoi on boit, dans quel contexte et quels sont les effets sur nous et notre entourage, suggère Geneviève Desautels. Il y a une différence entre boire du vin à l’occasion avec des amis durant un souper et prendre systématiquement une demi-bouteille de vin chaque soir pour décompresser. Les directives sont là pour nous aider à faire des choix éclairés selon notre état de santé et en fonction des risques qu’on est prêt à prendre. Cela dit, la modération a toujours meilleur goût », rappelle-t-elle.

On peut aussi se renseigner sur les options sans alcool, comme certaines bières, et essayer de nouvelles recettes de mocktails (on en trouve plein sur le site web Alternalcool) en remplacement des boissons alcoolisées. Il est aussi possible de privilégier les activités sociales sans alcool, telles que les sorties culturelles, les randonnées ou les activités en plein air, les ateliers de toutes sortes. Il est également suggéré de planifier au moins deux jours par semaine durant lesquels on s’abstient de boire de l’alcool. Ça contribue à réduire notre consommation globale et à offrir à notre corps le temps de récupérer.

Concilier plaisir et choix éclairés

Les nouvelles recommandations en matière de consommation de boissons alcooliques visent à promouvoir une meilleure santé publique en réduisant les risques liés à l’alcool. Si ces recommandations suscitent des débats, il est important de se rappeler que chaque individu est unique et que les besoins et les contextes varient. Ainsi, chacun pourra faire des choix éclairés pour préserver sa santé tout en profitant des moments de convivialité et de détente que peut offrir une consommation modérée d’alcool… ou de mocktails.

Dans le cas de Colette, si cette dernière ne veut prendre aucun risque avec sa santé, elle devrait cesser de boire. D’autant plus qu’en vieillissant, le corps métabolise moins bien l’alcool. Mais l’abstinence n’est pas la seule voie possible.

«Colette pourrait décider de boire de façon modérée, en suivant les recommandations du NIAAA si elle souhaite continuer à bénéficier des effets relaxants de l’alcool. Elle pourrait aussi se demander à quel besoin répond sa consommation d’alcool et trouver des solutions de rechange pour y répondre», affirme Joël Tremblay, psychologue, professeur titulaire au département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières et coauteur du programme de prévention Mes choix Alcool, qui s’adresse aux personnes préoccupées par leur consommation d’alcool et qui souhaitent modifier leurs habitudes. À partir de là, à chacun de faire ses choix.

«Il n’existe pas de solution unique. Sans démoniser l’alcool, il faut prendre conscience des risques pour notre santé physique tout en tenant compte de notre santé mentale», conclut Joël Tremblay.

 

Vidéos