Avouons-le: nous avons tous à l’occasion le vague à l’âme. Des journées où l’on manque d’énergie et où l’existence nous paraît monotone. On paresse en pyjama, on laisse la vaisselle en plan sur le comptoir et on est scotché du matin au soir devant l’ordi ou la télé. Toutefois, après quelques jours de ce régime, on se secoue les puces et on revient dans l’action. Mais c’est autre chose si les épisodes de laisser-aller s’éternisent…
Le laisser-aller lié à la dépression
Depuis quelques semaines, les proches de Carole ne la reconnaissent plus. Elle, si coquette, n’enfile que des vêtements de jogging et ne se maquille plus. Elle décline les invitations et ne range plus sa maison. «Je ne trouve plus rien de drôle, dit-elle. Les activités que j’aimais ne me disent plus rien. Je me sens vide.» Après consultation, le verdict est tombé: Carole fait une dépression.
Le laisser-aller est bel et bien un des symptômes de la dépression, tout comme la fatigue, les troubles du sommeil, la tristesse et l’anxiété. Mais il n’est pas exclusif aux gens dépressifs. Certaines personnes ne sont pas dépressives et affichent malgré tout un affligeant laisser-aller.
«Les gens commencent à se laisser aller souvent à la suite d’un événement marqué par une perte: décès d’un parent ou d’un proche, rupture amoureuse, conflit ou coupure de relation avec un parent, un enfant ou un ami, perte d’un emploi, perte financière, échec professionnel, etc., confirme Louise Fréchette, psychologue et psychothérapeute en analyse bioénergétique. Et ce type de perte peut effectivement entraîner un état dépressif passager ou majeur, selon les individus.
Le laisser-aller lié au désintéressement
Mais il arrive aussi que le laisser-aller naisse tout bonnement d’un désintérêt lié à des contextes de la vie quotidienne. Par exemple, certains individus se laissent aller parce qu’ils vivent seuls et pensent que, de ce fait, ça ne vaut pas la peine de prendre soin de leur environnement et d’eux-mêmes.»
D’autres encore vont se laisser aller au travail par désabusement ou démotivation. C’est le cas de Gilles. Comptable dans une grosse boîte, il fait le minimum et remet systématiquement au lendemain ce qui n’est pas urgent. Il s’investit peu dans les réunions d’équipe et arrive souvent en retard. «Je plafonne dans l’entreprise, avoue-t-il. Je sais que je n’aurai pas d’avancement, alors j’ai le sentiment de perdre mon temps. Je m’ennuie. Je travaille sur le pilote automatique.»
Selon le psychologue Raymond Patenaude, un emploi qui ne présente plus d’intérêt ou de défi à nos yeux, des conditions de travail difficiles et l’impression de ne pas être apprécié à sa juste valeur expliquent le plus souvent un comportement de laisser-aller au boulot.
«Cela équivaut à un abandon du combat, déclare-t-il. La personne a livré bataille et, à un moment donné, elle est fatiguée de lutter. Elle ne trouve plus de raisons de faire des efforts. Elle adopte alors une attitude de je-m’en-foutisme qui, parfois même, se répercute dans ses propos. Elle se permet entre autres de critiquer l’entreprise, le patron et les collègues, ce qui risque, on s’en doute, d’envenimer les relations.»
Le laisser-aller lié à la routine
Autre grand classique: après des années de vie avec un conjoint, on néglige peu à peu son apparence. Fini le maquillage ou les poils fraîchement rasés, les sous-vêtements coquets et les cheveux lavés au quotidien. On prend du poids et on s’enferme dans la routine. Après tout, on est tellement bien dans nos vieilles pantoufles! Pas de problème puisque l’autre nous est acquis. Vraiment? Pas si sûr.
Après 27 ans de mariage, Denis a quitté Marie-Josée. «Depuis plusieurs années, elle se laissait aller physiquement, raconte-t-il. J’ai toujours fait attention à mon apparence et, malgré mes demandes répétées pour qu’elle se reprenne en main, rien ne changeait. Elle me disait qu’elle était bien comme ça et que je devais l’accepter ainsi. En plus, elle passait une grande partie de ses soirées devant l’ordinateur. Les marques d’attention et d’amour se raréfiaient. Je suis parti.»
Mais que ce soit dans sa vie de couple, au travail ou ailleurs, le laisser-aller est loin d’être anodin. «Bien souvent, c’est une façon de refouler sa colère ou son agressivité, soutient Raymond Patenaude. Pour mieux comprendre, je donne souvent cet exemple: si un chien enragé s’échappe, on va le traquer pour le mettre hors de combat. C’est le même phénomène avec l’agressivité: quand on n’arrive pas à l’exprimer d’une façon adéquate et non violente, on essaie de l’endormir. Mais tenter de bloquer l’expression de l’agressivité aboutit forcément à des problèmes. Car en agissant ainsi, on retourne l’agressivité contre soi. Au lieu de détruire, on s’autodétruit, ce qui apporte plus de souffrance que de contentement. La souffrance est parfois subtile, mais véritable.»
Parfois, aussi, le laisser-aller est un moyen inconscient de «fouetter» les gens autour de nous pour les faire réagir à notre détresse ou, au contraire, de les repousser pour avoir la paix. «Le laisser-aller peut être une tentative, encore une fois mal adaptée, de penser à soi, mentionne M. Patenaude. Mais en se laissant ainsi glisser, on risque évidemment de s’“écraser” et de se faire plus de mal que de bien.»
Les effets dévastateurs du laisser-aller
Vous vous reconnaissez dans l’un de ces scénarios? Retenez que le laisser-aller risque de vous faire mourir à petit feu. À ce train-là, vous risquez en effet de perdre l’estime de vous-même, votre fierté, votre joie de vivre, votre capacité à ressentir le plaisir et, parfois même, votre emploi, votre conjoint(e) et votre santé. Vous vous empêchez de réaliser ce que vous voulez vraiment. À la limite, un tel comportement peut mener aux dépendances (alcool, drogue, jeu, etc.) – des stimulants qui empêchent de sentir et de penser – et à la dépression.
Vos proches en subiront inévitablement les contrecoups. «Quand une personne baisse les bras à la maison ou au travail, c’est habituellement l’entourage qui doit prendre le relais, indique Louise Fréchette. On peut donc s’attendre à une dégradation des relations en raison des irritants, des inquiétudes et de la lourdeur des tâches pour la famille, les amis ou les collègues. Il faut aussi savoir que, lorsque le laisser-aller survient dans la simple vie quotidienne, l’irritation grimpe plus rapidement que lorsqu’il s’agit d’une dépression. On a envie de bousculer la personne qui se laisse aller pour qu’elle réagisse et se prenne en main. Si rien ne change, cela risque d’alimenter l’animosité. L’entourage peut aussi craindre d’être emporté vers le fond ou vidé physiquement et mentalement. Résultat: des réactions d’évitement, de prise de distance et de désintérêt pour cette personne.»
Selon Ghyslaine Labelle, coach professionnelle, on perd ainsi le respect des autres. «Il faudra se rebâtir et faire ses preuves si on veut que les gens croient de nouveau en nous, ajoute-t-elle. Pour cela, il faut d’abord prendre conscience de son laisser-aller et vouloir changer. Il faut aussi accepter de faire des efforts.» Bref, le bonheur ne vous sautera pas dessus parce que vous avez décidé de reprendre votre vie en main. Mais vous vous sentirez beaucoup mieux une fois le processus enclenché.
Une autre façon d’abdiquer, c’est de ne plus faire de projets. «Trop de gens renoncent à leurs rêves, déplore Mme Labelle. C’est hallucinant le nombre d’individus qui n’ont aucun objectif clair ni plan d’action. Il faut pourtant avoir des défis. Cela requiert un engagement, bien sûr. Mais quelle satisfaction quand on réussit! C’est aussi l’occasion de se découvrir de nouvelles forces. L’être humain est fait pour bouger et s’exprimer. Ne plus avoir d’exigences envers soi, c’est risquer devenir indifférent et de s’éteindre peu à peu.»
Dix conseils qui vous aideront à rebondir
1. Faites le bilan de la situation
D’abord, couchez sur papier vos émotions (colère, chagrin, deuils, etc.) sans vous censurer – quitte à jeter la feuille ensuite –, histoire de faire un grand ménage. Puis dressez une liste de vos rêves et de vos désirs. Pour vous mettre sur la piste, rappelez-vous les moments de votre vie où vous vous sentiez le plus «vivant». Enfin, établissez un plan d’action, étape par étape, en ne plaçant la barre ni trop bas ni trop haut. Ce but à atteindre vous permettra de mieux vivre le présent.
2. Fuyez la solitude
Elle entraîne des ruminations nuisibles. Même si vous filez un mauvais coton, forcez-vous à effectuer au moins une sortie par semaine, ne serait-ce que pour aller prendre un café au resto du coin. Engagez-vous dans une cause qui vous tient à cœur et intéressez-vous aux autres. En plus d’éprouver un sentiment d’utilité et d’accomplissement, vous développerez le goût de vous remettre en mouvement.
3. Bougez
Pratiquez quotidiennement une activité physique agréable durant au moins 15 minutes. Demandez à votre conjoint ou à vos enfants de se joindre à vous en leur expliquant votre objectif.
4. Changez vos habitudes
Même un changement qui semble anodin peut avoir un effet domino sur votre vie. Vous avez l’habitude de flâner en pyjama jusqu’à la mi-journée? Fixez l’échéance à midi. Vous avez tendance à négliger l’entretien de votre maison? Consacrez-y de 15 à 30 minutes chaque jour. Vous vous sentirez rapidement plus vivant. Un truc, mais ça marche!
5. Écoutez-vous
«Aux gens qui se laissent aller, on a tendance à dire d’arrêter de s’écouter, raconte Raymond Patenaude. En fait, ils doivent apprendre à s’écouter autrement. Plus ils seront attentifs à ce qu’ils ressentent, plus ils percevront le malaise qui les porte au laisser-aller, plus ils écouteront leurs véritables émotions et les exprimeront, plus, alors, ils auront de chances de changer.»
6. Appréciez vos bons coups
Avant le coucher, faites un retour sur votre journée et trouvez deux ou trois raisons d’être satisfait de vous.
7. Communiquez
Votre relation de couple vous ennuie profondément? Il faut lancer une franche discussion et, à la limite, avoir le courage de mettre un terme à cette union.
8. Faites le bilan de votre carrière
Cela vous permettra de trouver la cause de votre malaise et de faire le tour de vos intérêts et de vos compétences. Vous plafonnez au travail? Il est peut-être temps de relever un nouveau défi. Angoissant certes, mais combien excitant. Vous n’avez pas envie d’aller voir ailleurs? Alors, multipliez les responsabilités, les possibilités d’apprentissage et les occasions de vous mettre en valeur pour améliorer votre sort. Associez-vous à des gens dynamiques qui sauront vous stimuler.
9. Retrouvez l’estime de vous-même
«Souvent, le laisser-aller va de pair avec le manque d’amour de soi, explique Louise Fréchette. Il est donc important de développer des sentiments positifs envers soi afin d’avoir envie de se reprendre en main.»
10. Consultez
Si votre mal de vivre prend le pas sur tout le reste ou si vous n’arrivez pas à faire le point sur vos émotions et vos désirs, faites appel à un professionnel.
Pour Amélie Poulain, le plaisir c’est de plonger la main dans un sac de grains. Et vous, quels petits plaisirs cultivez-vous?
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