Une somme qui commence à faire un joli bouquet! C’est que les années passent, n’est-ce pas? Et, on aura beau dire, 67 ans, ce n’est plus jeune, jeune. Le temps fait son oeuvre, laisse des traces. Le moins que l’on puisse dire, c’est que j’ai vécu, un peu, beaucoup, parfum et épines compris.
Parfum, épines… Sans parler de ces morceaux qui s’affaissent, rendent les armes peu à peu, usés, fatigués. Je comprends que certaines personnes, effrayées à la vue de ce spectacle, veuillent redonner un peu de tonus à une peau qui a perdu de son élasticité.
Il m’arrive, à moi aussi, d’y penser. Pas plus fou qu’un autre, après tout! Parfois, devant la glace, je tire la peau des joues ou, plutôt, des bajoues, vers le haut. «Regarde comme ce serait beau», me susurre une petite voix à l’oreille.
Stoïque, je n’ai pas encore succombé à la tentation.
Il faut dire que j’ai une peur bleue de l’anesthésie. Il y a autre chose aussi. C’est que je ne trouve pas ça toujours très réussi, ces redrapages et autres lissages où l’on tire la peau du menton jusqu’au front en bridant l’oeil au passage. Elle fait parfois pitié à voir, cette fausse jeunesse que viennent contredire des mains tavelées, cabossées, avec des veines si gonflées qu’on les dirait sur le point d’éclater. C’est comme si tout ça n’était pas raccord, comme on dit en langage de cinéma.
Le droit de rider
Vous me répondrez que je suis vieux jeu, qu’on a le droit de lutter un peu, que ces techniques qui permettent de remonter le cours du temps existent et qu’on serait bien stupide de s’en priver. Peut-être! Il n’est pas dit d’ailleurs que je ne changerai pas mon fusil d’épaule un de ces jours. On verra. Mais cela m’étonnerait.
Par moments, je trouve infiniment triste cette tentative de rester jeune le plus longtemps possible. Comme si nous n’arrivions plus à exister autrement que dans le regard de l’autre. Il y a surtout un mépris de l’âge et du temps qui passe, pour ne pas dire un mépris de la vie. Je ne suis plus capable d’entendre ces publicités qui mettent sans cesse le doigt sur le bobo, ces taches brunes et autres «fleurs de cimetière» qui «trahissent votre âge». Comme si vieillir était une honte. C’est en tout cas devenu un tabou. Subtilement, ça agit de l’intérieur, ça vous ronge, ça vous embête et ça vous torture.
Alors, tel un militant, je lève mon écriteau bien haut et revendique le droit de rider, d’avancer dans la vie sans trop d’artifice.
Et puis je me console en me disant que l’intérieur, lui, est toujours aussi tendre, doux et lisse que la peau d’un bébé. Car il y a quelque chose de plus fort que les rides et toutes les marques laissées par le temps. Appelons ça l’amour de la vie. Tant que ce petit moteur-là fonctionne et ronronne, on arrive à transformer l’angoisse de vieillir en passion, à renoncer à ce qu’on a été tout en aimant ce que l’on devient, tout en s’ouvrant à la nouveauté et au changement. Chaque âge a ses joies et ses vertus. Et, en matière de bonheur, il me semble que le temps joue plutôt en notre faveur.
Oh! bien sûr, j’ai perdu ma luette au combat, et quelques illusions aussi. Mais cela ne m’empêche pas de chanter, ni de roucouler, ni même d’aimer la vie de plus en plus.
Et puis, 67 ans, n’est-ce pas l’âge idéal pour décider de profiter pleinement du temps qui reste, sans regrets, d’ouvrir grand les yeux – et les autres sens aussi – pour être bien sûr de ne rien laisser filer?
Alors, amenez-en des rides… et des roses! Laissez la vie creuser tranquillement ses sillons à la surface comme au plus profond. Et vive les bouquets longuement, amoureusement garnis!
Jean-Louis Gauthier Rédacteur en chef
jean-louis.gauthier@bayardcanada.com
Vous aimez les billets de Jean-Louis Gauthier? Vous pouvez les consulter ici!
Commentaires: