En plus du testament «classique» pour faciliter la transmission des actifs au décès, il faut désormais aussi songer à la fin de sa vie virtuelle…
Nos héritiers pourront-ils aisément récupérer nos documents archivés dans le nuage, le solde disponible sur notre compte PayPal et les fichiers musicaux que nous avons achetés au fil du temps? Les réponses à ces questions ne sont pas simples, notamment parce que le droit canadien n’est pas encore bien adapté aux enjeux soulevés par la mort numérique.
Le flou persiste également pour les héritiers. À défaut de détenir les informations de connexion, ces derniers n’ont généralement pas le droit d’accéder aux données du défunt. Les données numériques sont en effet considérées comme des renseignements personnels et donc protégées. Cette protection de la vie privée continue de s’appliquer même après la mort, limitant ainsi la possibilité pour les proches d’obtenir l’accès aux comptes, et ce, même en communiquant avec les fournisseurs concernés. Bien souvent, les plateformes mettent à la disposition des familles un formulaire pour signaler le compte d’une personne décédée, mais dans l’objectif alors de le supprimer.
Par conséquent, les directives que nous souhaitons transmettre quant à notre patrimoine virtuel sont sujettes aux politiques des différents fournisseurs. Face à cette situation, il vaut peut-être mieux se résigner à ne pas signaler le décès sur-le-champ, le temps de donner suite aux instructions du défunt et de récupérer le dû de la succession… Il s’agit d’une pratique courante chez les familles endeuillées, en l’absence d’un cadre légal plus accommodant.
Les GAFAM en tête
La solution viendra peut-être des GAFAM. C’est sous cet acronyme que l’on désigne les cinq géants américains de la technologie: Alphabet (Google, GOOG-Q), Apple (AAPL-Q), Facebook (FB-Q), Amazon (AMZN-Q) et Microsoft (MSFT-Q). Certains de ces titans permettent de prévoir ce qu’il adviendra de nos données après notre mort. Par exemple, lorsque Facebook est avisé du décès d’un utilisateur, preuve à l’appui, le compte du défunt peut être transformé en compte de commémoration pour permettre aux amis de partager des souvenirs par l’entremise de celui-ci. Pour ce faire, il faut désigner de notre vivant un contact légataire parmi nos proches. Celui-ci sera responsable de la gestion du compte et pourra aussi télécharger une copie de nos publications si on le souhaite.
La procédure est similaire chez Google, qui propose une interface nommée «gestionnaire de compte inactif». Celle-ci nous donne la possibilité de spécifier à partir de quel moment notre compte doit être considéré comme inactif et la manière dont les données doivent être gérées par la suite. Cette procédure permet d’indiquer les coordonnées d’une personne avec qui communiquer au cas où notre compte ne serait plus actif après le délai mentionné. Cette dernière pourra télécharger les données autorisées ou en faire la suppression, selon les instructions que nous aurons partagées de notre vivant.
D’autres entreprises ferment plutôt les comptes inactifs après un certain temps. Microsoft, par exemple, exige qu’un utilisateur s’y connecte au moins une fois par période de cinq ans. Sinon, le compte sera fermé. Et puisque la mort numérique n’est pas synchronisée avec la mort physique, il est préférable de faire le nécessaire à temps…
Dans la jungle virtuelle que demeure internet, ces exceptions ne permettent pas de prendre en charge l’ensemble de notre succession numérique. Les politiques de plusieurs fournisseurs de service stipulent en général que les comptes de leurs utilisateurs resteront actifs tant que l’entreprise n’aura pas été avertie du décès. Sans dispositions précises fournies de son vivant et transmises à une personne désignée, certains comptes virtuels pourraient donc perdurer… pour l’éternité!
Pour nous faciliter la tâche, Me Valérie Petit, notaire et conseillère juridique au cabinet Petit Notaire, suggère une méthode en quatre étapes afin d’organiser sa succession numérique.
1 Désigner un liquidateur numérique
Il faut que le liquidateur désigné à notre testament soit en mesure d’assumer sa fonction. «Il doit connaître ce que nous possédons comme comptes ou actifs numériques. Il doit aussi avoir accès à nos mots de passe et codes de déverrouillage pour commencer le travail», explique d’emblée Valérie Petit. Ce représentant pourra alors récupérer les biens numériques du défunt et procéder à la fermeture des comptes, si nécessaire. Fait à souligner, nous pouvons nommer un exécuteur numérique différent de notre exécuteur testamentaire. «L’important, c’est de déléguer cette tâche à une personne qui maîtrise les rouages de la technologie.»
2 Faire son inventaire virtuel
Une fois cette première étape complétée, le vrai boulot commence: réaliser notre inventaire virtuel. «Vous éviterez ainsi à vos proches de jouer au détective en cas de décès ou d’inaptitude.» Tout le monde possède une adresse de courriel, une présence sur les réseaux sociaux ou des photos stockées dans le nuage… D’où l’importance de dresser un bilan patrimonial numérique pour faciliter la tâche de la personne qu’on aura désignée à l’étape précédente. L’objectif est de réduire le fardeau administratif de celle-ci le moment venu.
La meilleure option pourrait être d’utiliser le formulaire Patrimoine 360, offert gratuitement par la Chambre des notaires du Québec (disponible à cnq.org, sous l’onglet La Chambre, puis Publications). «C’est une solution clé en mains pour ne rien oublier», précise Me Petit. Ce fichier est disponible en version courte ou complète: on opte pour celle convenant le mieux à notre situation. Une annexe offerte en option permet aussi d’y répertorier nos mots de passe. «Cette annexe ne devrait pas être déposée au même endroit que le bilan patrimonial.» En guise d’alternative, on peut bâtir notre propre fichier d’inventaire à l’aide de notre logiciel de prédilection.
Peu importe la solution choisie, on s’assure de laisser un copie papier ou sur clé USB de notre inventaire dans un coffret de sûreté à la banque ou dans un coffre-fort à la maison. Notre notaire peut également en conserver un exemplaire avec notre testament. Cela dit, notre personne de confiance doit détenir l’autorisation pour ouvrir nos coffrets, à la maison ou à la banque. Or, la nomination d’un liquidateur dans le testament permet justement d’accéder au coffret de sûreté à la banque. «C’est la raison pour laquelle il n’est pas suggéré de déposer votre testament à cet endroit.»
Il ne faut négliger aucun actif. On prend note des points de récompense accumulés dans les nombreux programmes de fidélité. Ces points valent peut-être plusieurs centaines de dollars et peuvent parfois être transférés d’un détenteur à un autre. «Validez les conditions qui régissent l’utilisation du service en question», recommande la notaire. On sera alors en mesure de faire un choix exécutable par notre représentant. Par exemple, on ne peut pas transférer à une autre personne les pièces musicales achetées sur les services fournis par les géants d’internet: le droit d’accès disparaît avec le décès. Par contre, rien ne nous empêche d’en léguer une compilation gravée sur CD.
3 Exprimer ses volontés pour chaque compte
C’est bien beau d’effectuer un inventaire, mais encore faut-il le tenir à jour. Il est nécessaire d’actualiser périodiquement la liste des outils technologiques utilisés, ainsi que des comptes ouverts et fermés. Puis, pour chaque élément répertorié, on transmet des instructions à l’intention de notre liquidateur désigné. L’heure est donc à la réflexion… Qu’arrivera-t-il de notre présence sur les différents réseaux sociaux? À qui souhaitons-nous léguer nos photos archivées dans un service infonuagique? L’idée, c’est de fournir des instructions détaillées pour guider le liquidateur dans la distribution éventuelle de nos actifs numériques. Il est donc désormais presque aussi important de planifier notre héritage numérique que de rédiger notre testament. «Le secret, c’est d’informer vos gens de confiance de ce que vous possédez et de leur transmettre l’information nécessaire sur les comptes détenus et le moyen d’y accéder», résume Me Petit.
4 Centraliser ses mots de passe
Comment bien transmettre au liquidateur ces précieuses informations – noms d’utilisateur, mots de passe et réponses aux questions de sécurité – sans nuire à notre sécurité informatique actuelle?
La première option demeure le recours à un gestionnaire de mots de passe. Le choix ne manque pas à ce chapitre, avec les applications 1Password, LastPass, Dashlane ou Keeper, à titre d’exemple. Elles permettent de centraliser et d’enregistrer tous nos codes d’accès au même endroit, à la seule condition de… mémoriser le mot de passe maître.
Donc, au lieu de devoir se rappeler de nombreux mots de passe, on n’en a qu’un seul à retenir pour circuler dans le monde virtuel. Plusieurs de ces logiciels offrent la possibilité d’ajouter un utilisateur à des fins successorales ou en cas d’urgence. On pourra aussi léguer le mot de passe principal du logiciel choisi en déposant une note à cet effet dans notre coffret de sûreté à la banque ou dans notre coffre-fort à la maison.
Ces logiciels possèdent d’autres avantages. Ils limitent la réutilisation d’un même mot de passe sur plusieurs plateformes. Ils génèrent aussi pour nous des mots de passe robustes et originaux. Souvent gratuits à l’essai, ils exigent par contre parfois un déboursé annuel de l’ordre de quelques dollars par mois pour bénéficier de fonctionnalités plus avancées.
Mais attention! «Aucune solution n’est parfaitement sécuritaire», prévient Me Valérie Petit. Il pourrait s’avérer délicat de déposer cette manne d’informations auprès d’un tiers. Certains scandales récents liés à la sécurité des données personnelles en sont la preuve. «Mieux vaut rédiger à la main une liste de mots de passe et la déposer dans votre coffret de sûreté à la banque. La seule personne qui y aura accès en cas de besoin sera le liquidateur de votre succession ou votre mandataire en cas d’inaptitude.»
Pour faire son inventaire numérique
Voici une liste non exhaustive pour nous aider à dresser l’inventaire de nos comptes virtuels. Mentionnons que les comptes bancaires en ligne ne font pas partie de la succession numérique en tant que telle. Ce sont des actifs financiers dont la gestion successorale doit passer par un processus officiel de transmission de patrimoine (testament, à titre d’exemple), contrairement à une collection de photos virtuelles ou à l’utilisation d’une adresse de courrier électronique.
– Comptes de courriel: Gmail, Outlook, Hotmail, Yahoo Mail, etc.
– Comptes sur les réseaux sociaux: Facebook, LinkedIn, Twitter, Instagram, Pinterest, etc.
– Blogues ou sites web nous appartenant
– Stockage infonuagique: Dropbox, Google Drive, OneDrive, iCloud, etc.
– Plateformes de partage: YouTube, Vimeo, Flick, etc.
– Photos numériques
– Fichiers de musique (achetés sur iTunes, par exemple)
– Livres numériques: Kobo, Amazon, etc,
– Comptes de jeux en ligne: Espace Jeux Loto-Québec, etc
– Comptes de paiement en ligne: PayPal, Stripe, Apple Pay, Google Pay, cryptomonnaie, etc.
– Primes associées aux programmes de fidélisation: Air Miles, PC Optimum, Metro, etc.
– Droits d’auteurs ou brevets numériques nous appartenant.