Quand s’inquiéter de son inquiétude?
Il est normal de s’inquiéter. On s’inquiète tous à un moment ou l’autre, le plus souvent avec raison. Après tout, le fait d’être conscient du danger qui rôde, d’avoir des réactions d’alerte, nous conduit à regarder avant de traverser une rue! Mais il y a s’inquiéter et… trop s’inquiéter.
Si, un matin, on se découvre une bosse à l’aisselle, on s’inquiète. Malaise, poussée d’anxiété, on décide d’agir, de prendre rendez-vous avec le médecin, de passer des examens pour savoir ce qu’il en est. Ou bien on s’en fait pendant des heures: et si c’était un cancer? Et s’il n’y a pas de traitement? Et si l’on allait mourir? Lancé dans un long monologue modulé par une kyrielle de «si», on vit déjà la catastrophe avec toutes les sensations physiques et psychologiques d’anxiété qui lui sont associées, ce qui nous laisse épuisé et démoralisé.
Dans le premier cas, notre inquiétude est productive. Fondée sur une situation concrète – il y a une bosse qui peut avoir des incidences sur notre vie –, elle nous aide à prendre des décisions, à résoudre le problème, à faire face à la menace.
Dans le second cas, l’inquiétude nous paralyse. Coincé dans le dédale de terribles conjectures, on se fait du mauvais sang, on rumine, on piétine. Le stress nous envahit.
«Souvent, on se fait du souci sans devenir plus efficace dans la mise en place de balises pour régler le problème», souligne Lynda Bélanger, psychologue, chercheuse à l’Université Laval et coauteure de Arrêtez de vous faire du souci pour tout et pour rien. Il y a un monde entre prendre soin, faire attention à, être minutieux, et s’inquiéter…
Vous êtes convaincu que le fait de vous inquiéter est un trait de votre personnalité? Que le fait de vous soucier de votre situation financière, de votre santé et de celle des autres, de votre travail, de votre famille, de vos relations, de votre sécurité, de la criminalité, de tout et de rien… témoigne d’altruisme? Qu’en envisageant le pire, vous vous en protégez?
«À partir du moment où notre entourage nous dit que l’on s’inquiète trop, il faut se questionner, soutient Lynda Bélanger. Qu’est-ce que ça nous donne de nous faire tant de souci? Sommes-nous plus heureux? Plus efficace? Quelle est la place de l’inquiétude dans notre vie?»
Trouble d’anxiété généralisée
Du tac au TAG
Il est normal qu’une personne qui vient de perdre son emploi et dont le budget est serré se fasse du souci. Mais lorsque son inquiétude l’empêche de mettre de l’avant des stratégies pour s’en sortir et que cet état perdure pendant des mois, on parle alors de trouble d’anxiété généralisée (TAG).
La pierre angulaire du TAG, c’est la présence d’inquiétudes excessives et incontrôlables. La personne a de la difficulté à contenir son souci, elle n’arrive pas à en détourner ses pensées. Elle a du mal à mener sa journée, à accomplir son travail, à se concentrer sur autre chose. Elle ressasse ce qui a généré son inquiétude, que ce soit une situation concrète ou éventuelle. Anxieuse, elle se sent survoltée. En alerte, sur le qui-vive, elle a l’impression d’être à bout et de tourner en rond. Et elle est fatiguée. Dans 70% des cas, les personnes qui ont un TAG connaissent des difficultés de sommeil.
Pour poser un diagnostic de TAG, outre une inquiétude excessive et incontrôlable, trois symptômes parmi les suivants doivent apparaître: agitation, fatigue, difficulté de concentration, irritabilité, tension musculaire, perturbation du sommeil.
Le TAG ne guérit pas tout seul. «On ne naît pas avec le TAG», souligne Lynda Bélanger. On a appris à s’inquiéter… Et ça se désapprend. La thérapie cognitive comportementale donne de bons résultats. Sans traitement approprié, le TAG peut devenir chronique et mener à la dépression majeure ou à la dysthymie – perte de plaisir –, et provoquer un lot de malaises physiques que les examens médicaux n’expliquent pas. «Dès que l’on reconnaît que notre propension à l’inquiétude et aux scénarios catastrophiques interfère de façon significative avec notre quotidien, on doit consulter », avertit la psychologue.
Agir
Les grands inquiets tolèrent mal l’incertitude. Ils peinent à évaluer de façon réaliste ce qui peut advenir: tout prend vite des allures dramatiques. «Pour augmenter sa tolérance à l’incertitude, comme pour changer n’importe quelle attitude d’ailleurs, on doit agir. Et se comporter comme si l’on était tolérant à l’incertitude ou faire ce que ferait un tel qui s’accommode bien des changements », explique Lynda Bélanger.
Il faut remettre en question l’inquiétude, s’interroger sur les probabilités que telle ou telle situation se produise et se poser la question suivante: est-ce que ce serait vraiment tragique si cela se produisait? Plutôt que se tourmenter durant trois jours de peur d’oublier de payer un compte, on se demande ce qui arriverait si l’on oubliait. On aurait une amende à verser, comme celui qui a négligé de payer sans s’en faire. Et ce ne serait pas si grave!
Lorsque l’inquiétude porte sur une situation présente concrète, on travaille à résoudre le problème: d’abord, on l’identifie, puis on établit des étapes à franchir pour le régler. Et l’on s’y met, étape par étape, en évaluant chaque fois les résultats.
Dominer son anxiété
Si l’inquiétude concerne des situations potentielles, on s’attarde aux croyances erronées, à la perception du monde. Certains ont l’impression de vivre dans un monde hostile, mauvais, dangereux où il faut se méfier de tout. Quand on perçoit le monde ainsi, on risque plus d’être inquiet. Comme on peut se faire plus de souci si l’on a une faible estime de soi. «On amène la personne à se sentir moins démunie et à corriger sa perception du monde», dit Lynda Bélanger. L’inquiet qui ne sort plus de crainte d’être agressé se demandera ce qui le convainc qu’il sera attaqué. S’il habite dans un quartier chaud, il devra déployer des efforts pour assurer sa sécurité. «Il est alors en résolution de problème au lieu de rester chez lui à se répéter que le monde est laid et dangereux et que ça va lui arriver, c’est certain», explique la psychologue.
Il ne s’agit pas d’avoir une vision rose et optimiste du monde. «Il y a des situations menaçantes pour notre intégrité physique et psychologique, reconnaît la psychologue. Mais il ne faut pas les surévaluer. Il faut être en mesure de vivre avec ce que l’on ne peut pas contrôler pour l’instant en développant des outils pour pouvoir traverser le pont quand on sera rendu à la rivière. Et s’il n’y a pas de pont, on demandera de l’aide, on mettra en place des stratégies pour s’en sortir.»
Trucs pour dominer son anxiété
- Choisissez un lieu et un moment pour penser à vos préoccupations. Faites-le pendant 30 minutes tous les jours, au même endroit et au même moment, en vous concentrant sur ce que vous vivez plutôt que sur ce qui pourrait arriver.
- Détendez-vous: relaxation musculaire, yoga, respiration profonde… Trouvez la technique qui vous convient.
- Envisagez vos inquiétudes et affrontez-les. Imaginez que vous vivez la situation appréhendée. Acceptez la peur et l’anxiété que vous les ressentez, ne les fuyez pas: elles finiront par s’estomper. Faites la liste de ce qui vous inquiète et attaquez-vous d’abord à ce qui vous cause le moins d’anxiété.
- Souvenez-vous de toutes les catastrophes que vous avez prédites et de celles qui se sont réalisées. Plutôt rares, n’est-ce pas?
- Faites régulièrement de l’exercice.
- Dormez suffisamment.
- Évitez l’alcool ou l’abus de substances telle la caféine.
- Consultez votre médecin qui vous prescrira peut-être des médicaments pour réduire votre anxiété. Prenez-les s’ils vous aident.
Source: Collège des médecins de famille du Canada.
Inquiétude et anxiété
Inquiétude et anxiété ne sont pas synonymes. «Alors que l’inquiétude se rapporte à la pensée, l’anxiété se rattache à la façon dont une personne se sent lorsqu’elle envisage des conséquences négatives. L’anxiété correspond à un ensemble de malaises qui se manifestent principalement de façon affective (c’est-à-dire par un sentiment ou une émotion) et physique (c’est-à-dire que les symptômes sont ressentis dans le corps) lorsqu’un danger est appréhendé», dit la psychologue Lynda Bélanger.
Petit ou grand inquiet, «chacun peut apprendre à mieux gérer ses soucis, à restructurer ses pensées et à remettre les choses dans leur contexte pour se rassurer», affirme Lynda Bélanger.
Testez votre degré d’inquiétude
Avez-vous tendance à trop vous inquiéter ? Répondez par vrai ou faux.
1. Votre conjoint, vos enfants, vos proches vous répètent que vous vous en faites trop.
2. Vous vous préoccupez des autres, vous vous faites du souci pour tout, vous n’y pouvez rien: vous êtes comme ça.
3. Vous croyez que le fait de vous tracasser pour un possible accident, une éventuelle maladie, ou toute autre calamité, les empêchera de se produire.
4. Vous cherchez constamment à vous rassurer et à être rassuré.
5. Votre conjoint est en retard. Il était à une rencontre qui a pu s’étirer, mais les pires scénarios vous hantent…
6. Vous paniquez si vous ne parvenez pas à achever un travail ou à accomplir une tâche comme prévu.
7. En vous inquiétant d’une situation que vous appréhendez, vous croyez être à même de mieux réagir si elle se présente.
8. Si vous entendez qu’un pédophile a sévi, vous ruminez pendant des heures sur l’hypothétique agression de votre petit-enfant et sur ses terribles conséquences.
9. Dès que vous vous trouvez dans une position incertaine (menace éventuelle de coupures de poste, malaise conjugal…), vous ne pouvez qu’appréhender la catastrophe.
10. L’inquiétude vous paralyse plus qu’elle ne vous aide à trouver des solutions à ce qui vous tourmente.
Vous avez une majorité de faux? Vous n’êtes pas du genre à vous en faire pour rien. Vous gardez la tête froide et vous envisagez de manière réaliste les conséquences possibles d’un d’événement probable.
Plus vous cumulez de vrai, plus vous avez tendance à vous tracasser. Vous frôlez la majorité absolue? Vous pourriez être atteint d’un trouble anxieux généralisé (TAG). Et vous n’êtes pas seul dans cette situation… Avec 7% de gens atteints, le TAG est le trouble anxieux le plus fréquent chez les personnes âgées. Ne vous inquiétez pas, cela se traite ! Mais il faut y voir, car trop s’inquiéter mine la santé et empoisonne l’existence.
Pour Amélie Poulain, le plaisir c’est de plonger la main dans un sac de grains. Et vous, quels petits plaisirs cultivez-vous?
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