Un mal sourd
Vous lui posez une question et, le dos tourné, il ne vous répond pas. Vous lui chuchotez un «je t’aime» bien senti et elle ne réagit pas. Peut-être aussi devez-vous lui hurler de venir souper pour rivaliser avec le volume du son de la télé?
Il y aurait environ 3,8 millions de malentendants au Canada, dont 25% souffriraient de presbyacousie, la forme la plus répandue de surdité bilatérale progressive. Elle survient généralement chez les personnes de 50 ans et plus et entraîne une chute sélective de l’ouïe dans les fréquences aiguës, lesquelles sont les plus importantes dans la compréhension de la parole.
Selon la National Academy on an Aging Society, les deux tiers des aînés susceptibles de bénéficier d’une aide auditive ne chercheraient pas à l’obtenir. D’ailleurs, nombreux sont les conjoints de malentendant qui se plaignent du refus de ce dernier d’admettre le problème. Faut-il pour autant y voir un signe de mauvaise foi? Louise Desautels, psychologue à l’Institut Raymond-Dewar, affirme que non.
«L’évolution de la surdité est tellement graduelle chez les personnes de 50 ans et plus qu’elle peut effectivement passer inaperçue pendant un long moment, contrairement à celle qui survient à la suite d’un traumatisme sonore», explique-t-elle. La personne qui souffre de ce type de déficience auditive aura plutôt l’impression que le problème, ce sont les enfants qui n’articulent pas, le son du téléviseur qui n’est pas assez clair ou la vie moderne qui est simplement devenue trop bruyante. Quand le volume des appareils électroniques de la maison franchit le mur du son, c’est souvent le conjoint bien-entendant qui réalise que quelque chose ne va pas.
Mais il arrive également que ce soit le bien-entendant qui doute de la déficience auditive de son partenaire de vie. «Toi, tu entends ce que tu veux bien entendre!», lance-t-il à tout propos sur un ton de reproche. Ce que le bien-entendant ignore, c’est que le presbyacousique perçoit relativement bien les fréquences graves et peut effectivement très bien entendre dans certaines situations (un homme qui parle, sans bruits de fond) et très mal entendre à d’autres moments (un enfant qui parle par-dessus le son de la télé ou la radio).
Dommages collatéraux…
Dommages collatéraux
«En famille, c’est surtout lors des repas que mon audition est la plus perturbée par toutes les conversations qui s’entrecroisent. Cela demande beaucoup d’effort de concentration. Je suis toujours très stressé par l’impossibilité de localiser un son. Lorsqu’un enfant appelle, je ne sais pas où aller le retrouver», raconte Bernard, un nouveau retraité qui a perdu 80 % de son acuité auditive.
Si le quotidien avec une personne malentendante non traitée peut s’avérer un exercice périlleux pour les nerfs et la «bonne entente», les conséquences pour celle qui n’entend plus très bien peuvent être dramatiques. Parce que la presbyacousie affecte principalement la compréhension du langage parlé, donc la communication, les malentendants utilisent généralement deux stratégies d’adaptation qui, si elles sont utiles à brève échéance, finissent par nuire grandement à leur qualité de vie: la dépendance au conjoint bien-entendant et l’évitement des situations potentiellement problématiques.
Leur ambivalence entre l’acceptation de la dépendance à un partenaire bien-entendant et le refus de cette dépendance les mènent inexorablement à l’évitement. Et qui dit évitement dit isolement. À la longue, la baisse d’estime de soi et la privation d’échanges avec les proches, l’un renforçant l’autre et inversement, constituent un cocktail toxique qui, à son tour, peut mener à la dépression, voire au suicide.
Consulter sans attendre
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Audiogramme en main, le vrai travail pourra commencer, c’est-à-dire faire l’inventaire des appareils adaptés qui pourraient faciliter la vie du malentendant en même temps que préserver les oreilles du conjoint bien-entendant, puis réapprendre à communiquer. Eh oui! Vivre avec un malentendant nécessite que l’on connaisse quelques trucs pour faciliter la communication.
À l’Institut Raymond-Dewar, un centre de réadaptation spécialisé et surspécialisé en surdité et en communication, on va encore plus loin. Non seulement accompagne-t-on les couples dans leur processus de réadaptation lors de leurs visites à l’Institut, mais l’équipe multidisciplinaire les suit également à leur domicile et dans tout autre lieu qu’ils fréquentent pour faire de la sensibilisation et de l’éducation auprès des personnes qui les côtoient.
La période d’adaptation à l’aide auditive (prothèses ou autres) et d’apprentissage des notions de base d’une communication adaptée peut prendre de trois à six mois, un laps de temps dérisoire pour retrouver sa qualité de vie, la proximité avec les êtres chers et la joie de vivre. Autant de raisons de ne plus faire la sourde oreille ou de souffrir en silence, compris?
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