Pour livrer sa dernière «offrande», comme elle nomme ses livres autobiographiques, l’actrice Louise Portal a replongé dans ses souvenirs de 1975, alors qu’elle partageait, le temps d’un été, les planches et un chalet avec deux comédiennes qui sont restées de précieuses amies: Christiane Pasquier et Marie-Lou Dion. Ensemble, elles signent Un été, trois Grâces, des «récits de scène et de vie» où le passé et le présent se font écho. Discussion autour de l’amitié, de l’amour, de l’âge et… de la vie.
Ce livre est-il une façon, comme l’écrit Marie-Lou dans son segment, de «ramener à la surface la richesse» de votre vie? Tout à fait. Si, pour ma part, je suis habituée de parler de moi, même à travers la fiction, ce n’est pas le cas de Marie-Lou ni de Christiane, qui ont eu la générosité et l’ouverture de répondre à mon appel. Elles ont aimé l’exercice, car c’était une façon de dresser un bilan de vie. Une sorte de halte pour réfléchir au chemin parcouru. Et ça nous a permis d’accueillir les jeunes femmes que nous avons été. Souvent, les gens renient des choses difficiles ou souffrantes de leur passé, mais je crois qu’il faut embrasser tout ce que la vie nous a permis de vivre. Cette bienveillance teinte ma sérénité d’aujourd’hui.
Pourquoi la mayonnaise a-t-elle autant pris entre vous trois pendant ces représentations de Madeleine de Verchères au Théâtre La Marjolaine? Le fait d’habiter ensemble tout l’été dans ce chalet d’Eastman y a certes contribué, mais aussi la grande harmonie, le profond respect et l’affection qu’il y a eu tout de suite entre nous. Nous étions très investies dans notre métier de comédienne et nous partagions toutes les trois l’acte d’écrire. Chaque matin, on remplissait des pages de notre journal. Ça nous a fait grandir, et je pense que c’est pour ça qu’on est encore proches de cœur, même 45 ans plus tard. On ne s’est jamais jugées non plus. Et puis, ce spectacle était agréable à jouer même s’il était long et exigeant. Imaginez, on dansait la claquette! On a vécu un été magique, ponctué d’amours éphémères. Je pense que les lecteurs et lectrices constateront que la vie n’est pas un long fleuve tranquille, qu’elle se déroule en plusieurs phases et qu’on peut s’épanouir durant chacune d’elles.
Comment les voyez-vous maintenant, ces débuts? C’étaient des années où il fallait défricher, car il n’y avait pas d’agence de casting. C’est moi qui ai appelé Jean Beaudin pour passer une audition pour Cordélia. Christiane m’avait demandé comment je faisais pour avoir une telle audace. C’était dans mon tempérament. Je connaissais plein de comédiens qui avaient été invités à auditionner, mais pas moi. Je suis arrivée habillée en costume d’époque. Mon essai était avec Gilbert Sicotte et, quand j’en suis ressortie, je me suis dit que c’était impossible que je n’aie pas le rôle, je l’avais trop ressenti. J’ai toujours été instinctive, autant dans ma carrière d’actrice ou de chanteuse que d’écrivaine.
Dans les années 1980, écrire et interpréter vous a permis de faire émerger votre voix de chanteuse, mais vous n’avez jamais touché un sou sur vos albums! Exact. C’est pour ça que je dis qu’il fallait vraiment vouloir chanter! (rires) Mais la chanteuse m’a menée sur la voie de l’écriture, celle de mes premiers romans. Il n’est jamais trop tard pour explorer des avenues de création ou d’expression, jamais! Je chante encore, mais seulement dans mes conférences.
À ce propos, vous donnez parfois ces conférences dans des résidences pour personnes âgées. Quel accueil y recevez-vous? Je vais devenir émotive… (Elle réprime un sanglot.) Il y a tellement de solitude… Recevoir un auteur, ça leur fait plaisir. Et moi, je m’adapte. Dans une résidence où les personnes sont très âgées, faibles, affectées par la maladie, elles ne sont pas toutes en mesure de se concentrer une heure pour écouter une conférence. Alors, je chante. Des chansons que ma mère écoutait. Je raconte des anecdotes, je lis certains passages de mes livres qui peuvent les concerner. Je parle d’amour, de deuil, d’amitié, de création, d’écriture. Ça leur fait du bien.
Et ça vous permet de sortir de vos périodes d’écriture… Oui, c’est une chose que j’apprécie dans le fait d’avoir 70 ans: je prends le temps de vivre et d’aimer. Je suis encore active, en forme, et je goûte à ce luxe d’avoir du temps. Je ne regrette pas de ne pas avoir 52 jours de tournage devant moi. Je suis contente de tourner trois jours par-ci, trois jours par-là. L’automne dernier, par exemple, avec Gilles Renaud, on a incarné les parents de Louis Morissette dans Le guide de la famille parfaite. (NDLR: sortie prévue cette année) J’ai aussi joué la mère de Luc Picard, dans son film sur le tueur à gages Gérald Gallant (NDLR: sortie indéterminée), à deux âges: 58 ans et 80 ans. C’était un enchantement de quelques jours, et ensuite, je suis repartie heureuse à notre chalet au Saguenay!
Vous dites qu’en vieillissant, il faut accepter d’avoir moins de rôles, et des rôles plus en périphérie, mais qui ont leur importance dans l’histoire… Oui, et il faut accepter qu’on ne puisse plus avoir la carrière qu’on avait à 30 ans. Ça, ça se prépare. Si on est capable d’accueillir chaque décennie et de voir ce qu’elle a à nous offrir, et aussi ce qu’on y perd, on peut vieillir sereinement. On continue de s’épanouir. On ne peut pas non plus ne s’identifier qu’à son travail. C’est une erreur que plusieurs font, car on vit dans une société de performance. Ma carrière m’a beaucoup apporté, mais on doit savoir rebondir quand le milieu nous délaisse. Moi, j’ai l’écriture, et je pourrai écrire jusqu’à la fin de mes jours.
Vous venez de célébrer 25 ans de mariage avec Jacques Hébert, que vous surnommez «l’Homme de cœur». Qu’avez-vous enfin compris de l’amour? Quelle belle question! Ce que j’ai compris, c’est qu’on ne peut pas changer l’autre. Les femmes ont tendance à croire que c’est possible, alors qu’il faut plutôt l’accepter comme il est. Et si ça ne nous convient pas, si la relation est pénible, toxique, il faut s’en aller, tout simplement. Mais il est très difficile de se choisir, à cause de notre éducation ou de la culpabilité. L’amour, c’est un grand respect de l’autre, une symbiose, mais dans la liberté. C’est sûr qu’il y a des ajustements nécessaires, parfois. Mais on a une qualité de communication exceptionnelle, Jacques et moi. On n’est pas chacun sur nos positions, sur la défensive, mais plutôt dans l’ouverture. C’est important aussi de s’accorder quotidiennement un temps pour connecter. Les années où je me levais à 4 heures pour tourner, Jacques se réveillait en même temps que moi pour qu’on passe 15 ou 30 minutes ensemble, car quand je rentrais le soir, je n’avais qu’une envie: souper et aller me coucher. C’est une vie incroyable que celle des acteurs, mais d’une exigence dont les gens ne se doutent pas!
Qu’est-ce que le temps qui passe bonifie dans une relation amoureuse? La relation est tributaire de ce qu’on y a semé. On se quitte comme on a vécu. On a déjà la couleur de ce qu’une relation deviendra dès les premières heures, les premiers jours, mais on y reste souvent aveugle. Avec Jacques, ce qui s’est passé dans les premiers jours est encore là 27 ans plus tard. Parce qu’il y a beaucoup de complicité, de tendresse. Il m’a énormément aidée à vieillir physiquement, à me sentir encore belle, parce qu’il me le dit, me le démontre par des mots, un regard, des gestes. Il faut dire qu’il a été massothérapeute pendant 30 ans; il a toujours eu beaucoup d’écoute. C’est un homme très, très attentif. C’est ça qui est beau dans le fait de vieillir: on a puisé à tellement de sources de réflexion, de connaissances humaines et spirituelles, c’est une richesse. Les aînés sont une richesse.
J’ai envie de vous retourner la question-titre de votre pièce de théâtre, à Marie-Lou et à vous, publiée en 1979: Où en est le miroir? On avait écrit cette phrase: «Je le polis, il reste fidèle, il me dit que ma tête ressemble de plus en plus à mon cœur.» Et je dirais que c’est encore plus vrai aujourd’hui. Par rapport à l’écriture, c’est très cohérent, car en vieillissant, j’ai moins l’appel de la fiction. Avant Un été, trois Grâces, j’ai publié Les mots de mon père, Pauline et moi, et j’ai un autre projet avec ma grand-mère adoptive, qui aura 100 ans en janvier. Ces écrits autobiographiques, c’est comme mon héritage. Je n’ai pas d’enfants, de petits-enfants. Ma richesse intérieure, ma vie spirituelle, mon intériorité, je les transmets à travers les mots, l’écriture. Comme des offrandes. J’ai vraiment l’impression que ma mission de vie, maintenant, c’est ça.
En rafale
Ce qui vous enrage L’insouciance des gens qui ne tiennent pas compte des autres. Les antimasques, par exemple, je trouve ça épouvantable. Il faut être solidaire!
Ce qui vous émeut Beaucoup de choses. La sincérité, la beauté, la sensibilité, les gens qui nous quittent.
Ce qui vous énerve La pollution sonore. Les gens qui parlent fort au téléphone, en se foutant de leur environnement, comme s’ils étaient seuls au monde.
Ce que vous regrettez Dans le mot «regret», est-ce qu’il se cache de la culpabilité? Avec ma sœur Pauline, les cinq dernières années ont été dures; elle ne voulait pas me voir. J’ai le regret de ne pas l’avoir accompagnée, mais je l’ai fait de mon mieux à l’intérieur de moi. Et j’ai pu être là durant les trois derniers jours de sa vie, un vrai cadeau! Alors, je n’ai pas de regrets, parce que j’ai accepté la situation. Dans mon cœur, j’étais réconciliée avec elle de toute façon. C’est la seule personne que j’ai pu accompagner vers la mort et c’était un immense privilège.
Ce qui vous fait rire L’humour de mon mari. Et parfois, de me voir aller dans mes rechutes émotives… Je me prends avec un grain de sel!
Votre pire défaut L’intolérance. Si quelque chose m’agace, comme le bruit, je peux très bien sortir et dire à la personne: «Veux-tu fermer ta crisse de radio?» Montrer soi-même un manque de savoir-vivre n’est pas la bonne manière de répondre à quelqu’un qui ne sait pas vivre, mais je peux parfois être acerbe.
Ce à quoi vous ne pouvez résister Trois choses: le chocolat, les chips et la crème glacée!
Ce pour quoi vous aimeriez qu’on se souvienne de vous Comme je l’ai écrit dans le livre, j’ai voulu créer la beauté et l’harmonie dans le monde.
Merci à Mme Louise Portal que j’ai toujours aimé et merci Bel Âge de donner cette image humanitaire; pour tous les âges. Merci, longue vie!