Elena et Stefano Faita: Travaillants de mère en fils

Elena et Stefano Faita: Travaillants de mère en fils

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Maude chauvin

Ils ont cuisiné, enseigné, tenu boutique ensemble. Et séduit le Québec tout entier. Elena et Stefano Faita sont animés de la même passion et du même désir de transmission.

Tout commence avec Teresa Faita

Elena Ma mère était une femme extraordinaire qui nous a transmis son ardeur au travail. Mon père venait d’une famille de Lorsque mes parents ont immigré à Montréal, ma mère a travaillé au marché Jean-Talon dans un kiosque maraîcher. Elle avait déjà le sens des affaires, puisqu’elle donnait beaucoup de conseils aux clients et les envoyait à la Quincaillerie Dante, qui appartient à notre famille depuis 1956, s’équiper pour faire la sauce tomate! Le peintre québécois Richard Montpetit a même peint ma mère, et sa toile a été reproduite sur les portes d’un ascenseur dans la nouvelle section du marché.

Deux cuisinières hors pair

Elena J’ai appris beaucoup en cuisinant avec ma mère, mais aussi avec ma belle-mère. Nous, on vient du centre de l’Italie, mais la famille de mon mari venait du nord, et je suis tombée en amour avec cette cuisine, qui me ressemble davantage. Au décès de ma mère, j’ai hérité de sa planche, dont je me sers encore aujourd’hui, et de son rouleau pour les pâtes.

Grandir dans la cuisine

Stefano Quand on était jeunes, ma sœur Cristina et moi, notre mère nous faisait à souper chaque soir même si elle travaillait beaucoup. Et le dimanche, on prenait le temps de préparer en famille des mets un peu plus élaborés. J’ai grandi en regardant ma mère cuisiner pendant des heures et en goûtant à tout. Quand on a été un peu plus vieux, elle a commencé à nous faire participer. Ça ne la dérangeait pas qu’on mette le bordel, elle disait: «Pas grave, on va nettoyer après!» On a fait nos premières pâtes fraîches enfants, avec nos mains, avant de passer au laminoir plus tard.

Elena Jeunes, ils ne faisaient pas les tomates avec nous, mais une fois rendus à 16, 18 ans…

Stefano On se faisait réveiller à 6 h du matin pour participer ! L’odeur de tomates n’était pas super ragoûtante, mais on se motivait en pensant au bon repas qui allait clore la journée.

Le secret est dans la sauce

Elena Après le décès de ma mère, on m’a demandé, au marché Jean-Talon, si j’étais prête à faire des démonstrations de pâtes fraîches et de mise en conserve des tomates pendant la saison des récoltes. J’ai accepté. À la fin de chaque séance, je faisais goûter les pâtes avec la sauce tomate. Et je me faisais demander chaque jour si on vendait notre sauce en pots. C’est pour ça que Stefano a fini par lancer sa sauce tomate. C’est exactement la même qu’on prépare depuis des générations dans notre famille, et dans bien des familles italiennes. Quand il m’a parlé de son idée, mon premier conseil de mère a été de lui dire: «Si tu le fais, fais-le bien.» Encore aujourd’hui, je mets mes tomates en conserve chaque année, et je fais 100 pots de sauce. Stefano aussi fait de même avec Isabelle et leurs trois enfants. Je trouve que c’est une belle tradition à transmettre.

La rigueur en héritage

Stefano Ma mère et mes deux grands-mères m’ont légué leur amour de la bouffe, mais aussi leur rigueur et leur persévérance. Ça m’a servi jusqu’ici, et ça me servira toute ma vie.

Elena Pour ma part, je retiens de ma belle-mère sa discipline. C’est elle qui gardait les enfants le matin et au retour de l’école, et elle leur faisait faire leurs devoirs avant de leur donner une collation !
Stefano C’était quand même strict chez mes grands-parents. Après mes devoirs, j’allais jouer au baseball au parc Jarry. Ils n’ont jamais raté un de mes matchs, ni mes matchs de hockey. J’étais super bien entouré.

Travailler ensemble

Elena C’était important pour moi que mes enfants fassent des études, je ne voulais pas qu’ils triment dur comme moi. Mais les deux sont venus d’eux-mêmes travailler à la quincaillerie. C’est même Cristina qui a eu l’idée d’ouvrir l’école Mezza Luna, où je donnais des cours de cuisine avec Stefano. Puis elle est tombée en amour avec un Italien, et elle est partie faire sa vie là-bas.

Stefano On n’a jamais vraiment eu de conflits, ma sœur et moi, ni avec mon oncle Rudy, le partenaire d’affaires de ma mère. On partageait la même vision, et Elena nous a toujours ramenés sur la bonne voie quand on s’écartait un peu. On travaillait ensemble le jour à la quincaillerie, et le soir on donnait des cours à Mezza Luna, donc on avait une relation un peu différente des autres mères et fils italiens, parce que nous, la fin de semaine, on ne voulait pas se voir ni souper ensemble!

Un avenir incertain

Stefano Depuis quelques années, on discute pour savoir si je vais reprendre la quincaillerie, que j’ai quittée il y a environ 10 ans.

Elena Mais tu en as déjà beaucoup dans ton assiette!

Stefano C’est sûr: j’ai quatre restos, une entreprise, trois enfants. Je ne peux pas tout faire, et c’est important de garder un équilibre. La conversation n’est pas complètement fermée. Ma blonde me dit chaque jour ou presque que ce serait dommage que ça sorte de la famille! En même temps, il y a une fin à toute chose, et mettre la clé dans la serrure quand tout va bien vaut mieux que de péricliter et devoir fermer. Bref, on ne sait pas encore ce qui va arriver. Ma mère est une superwoman, je connais des gens qui ont la moitié de son âge qui n’ont pas son énergie. En même temps, à 75 ans, la plupart des gens sont à la retraite!

La relève

Stefano Mon petit dernier, Dario, est le plus difficile de la famille, il ne mange pas de sauce tomate. Les trois baignent dans la cuisine depuis leur enfance, et on cuisine beaucoup ensemble. Anna, celle du milieu, est la plus gourmande des trois, elle me demande d’elle-même si elle peut m’aider en cuisine. Émilia a 14 ans, donc elle a sa vie d’ado, mais elle et sa soeur sont toujours partantes pour donner un coup de main. Elles sont encore jeunes, et je ne veux pas leur mettre de pression, tout comme mes parents ne m’en ont jamais mis. Si jamais l’entreprise est encore là et que ça les intéresse, tant mieux.

Un legs fondamental

Stefano La chose la plus importante que ma mère m’a léguée par rapport à la bouffe, c’est l’autonomie culinaire. Je suis parti en appartement jeune, à 20, 21 ans, et je savais déjà cuisiner, comment me nourrir, faire mon épicerie, tout ça. Cette indépendance est précieuse. J’espère léguer la même à mes enfants.

L’importance des traditions

Stefano On ne souligne pas toutes les fêtes du calendrier, mais Noël, c’est sacré. Le 24, on respecte la tradition avec un menu composé uniquement de poisson, chez mon oncle. Le 25, ma mère fait sa fameuse lasagne des Fêtes que tout le monde connaît maintenant, avec les petites boulettes et les œufs durs dedans. Sinon, on souligne nos anniversaires, en petit comité. Et à la fête des Mères, on donne des fleurs à Elena et on soupe ensemble.

Une admiration mutuelle

Stefano J’admire l’éthique de travail et la rigueur de ma mère. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi généreux, sur tous les plans. C’est une femme déterminée, qui sait ce qu’elle veut, qui fonce, qui est passionnée. Je lui dois pas mal ma carrière, je ne serais peut-être pas rendu là sans elle. J’ai fait ma part, mais on vient tous de quelque part, et moi, je viens d’Elena.

Elena Mon fils est aussi un fonceur. Et il demeure noble. C’est ce que je veux voir, car je veux être fière de lui, et je le suis. Les gens me disent que le Stefano qu’ils connaissaient avant est resté le même. Il faut toujours avoir le même respect pour tout le monde, et c’est ce que j’aime beaucoup de mon fils.

Votre souvenir culinaire le plus lointain

Elena J’avais huit ans. Ma mère était très occupée cette journée-là, et ma sœur et moi, on voulait manger des gnocchi. Elle nous a dit: «Vous m’avez souvent vue faire, faites-vous-en!» Alors, on a cuit les pommes de terre, on les a épluchées encore chaudes, et on les a pilées à la fourchette, car on n’avait pas de pilon dans ce temps-là. Je pense qu’il y avait plus de farine par terre que sur la table. Mais on les a faits! Et ils étaient mangeables. Même si on avait mis trop de farine, ce qui les avait rendus un peu durs. Ça a été notre première leçon. Et après, elle nous a dit: «Vous avez sali, maintenant, nettoyez!»

Stefano Pendant que tous mes amis écoutaient les dessins animés le matin, je regardais ma mère cuisiner. Comme j’étais proche du poêle, ma mère avait toujours peur que je me brûle, mais ce n’est jamais arrivé!

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