Mandat de protection: comment s’y prendre?

Mandat de protection: comment s’y prendre?

Par Didier Bert

Crédit photo: Amy Hirschi via Unsplash

En cas d’inaptitude, un mandat de protection s’avère très utile. Mais comment et quand s’y prendre? 

 

Selon le Curateur public, l’organisme provincial chargé de veiller à la protection des personnes inaptes, neuf personnes sur dix au Québec souhaiteraient qu’un proche décide à leur place en cas d’inaptitude. Pourtant, 61 % des Québécois n’ont pas encore rédigé le mandat de protection avec lequel ils pourraient désigner un mandataire. Or, faute de ce document, rien ne garantit que la responsabilité revienne à la personne de leur choix, parent ou ami.

Cette réalité n’étonne pas la notaire Nancy Émond. «Les gens préfèrent ne pas penser qu’un jour ils pourraient devenir inaptes.»

 

La désignation du mandataire

Comment fonctionne un mandat de protection? En premier lieu, le mandant désigne un mandataire, qui sera chargé, le moment venu, de veiller sur son bien-être, ainsi que de l’administration de ses biens. Ce dernier rôle pourrait être confié à un deuxième mandataire, si tel est le souhait du mandant. Tout dépend de la situation personnelle et financière de celui-ci ainsi que de la dynamique familiale. «C’est une question de confiance et de capacité, précise Francis Hemmings, avocat spécialisé en droit des successions.

Un mandataire peut avoir une relation étroite avec le mandant, et sera capable de s’occuper de lui, alors qu’un autre serait plus habilité à administrer les biens.» Le mandataire doit être majeur et apte, en plus de jouir de l’entière confiance du mandant. Ce dernier peut aussi nommer un mandataire substitut, pour le cas où le mandataire désigné ne serait plus en mesure de jouer son rôle. 

 

La rédaction du mandat

Il y a deux façons de le faire. Tout d’abord le mandat sous seing privé, qu’on rédige seul, en ayant recours ou non à un avocat. Il doit être signé devant deux témoins, qui ne sont ni le mandataire ni toute personne qui recevra la reddition de comptes de ce dernier (voir plus loin à quoi sert celle-ci).

Seconde option, le mandat notarié, qui est, comme son nom le dit, préparé avec l’aide d’un notaire. Dans tous les cas, l’avocat, s’il y en a un, ou le notaire dresse un portrait de la situation personnelle, familiale et financière du mandant afin de comprendre la dynamique familiale et d’être en mesure de conseiller son client au mieux. Le professionnel inscrit ensuite le document au Registre des dispositions testamentaires et des mandats du Québec.

 

Le contenu

Le contenu d’un mandat de protection varie en fonction des volontés du mandant. Celui-ci a le choix de faire un mandat général, où il indique ses directives de façon globale pour tout ce qui touche à sa personne et à son bien-être, ou un mandat détaillé, où il précise davantage ses consignes. Les deux peuvent également mentionner les volontés de fin de vie, mais celles-ci n’ont pas priorité si le mandant a également communiqué les soins qu’il accepte ou non de recevoir à l’aide d’un formulaire de Directives médicales anticipées (DMA) ou par un acte notarié.

 

Les pouvoirs du mandataire

Le champ de manœuvre de la personne chargée de l’administration des biens se limite à la gestion des affaires courantes. Le mandant peut toutefois lui confier des pouvoirs de pleine administration qui lui donnent droit, par exemple, de vendre son immeuble et de faire fructifier ses avoirs. L’autorisation d’un tribunal n’est pas nécessaire dans ce cas.

Le mandant peut aussi exiger que ses mandataires rendent des comptes à d’autres membres de la famille ou à des proches. «Cette reddition de comptes permet de s’assurer que tout le monde sera impliqué, et l’administrateur sera plus honnête s’il doit justifier ses activités de gestion chaque année», souligne Francis Hemmings.

 

Le moment idéal

Les experts s’entendent pour dire qu’il vaut mieux ne pas retarder la rédaction d’un mandat de protection. L’inaptitude peut en effet survenir à n’importe quel âge. Un bon moment est lors de l’achat d’une résidence ou à l’arrivée d’un enfant, poursuit Me Hemmings, deux occasions où, souvent, les gens songent à rédiger leur testament.

Les deux documents n’ont pas la même fonction et peuvent être faits simultanément. Ce qui compte, c’est que le mandat de protection soit établi dès que les médecins décèlent une baisse des capacités cognitives. C’est la dernière chance pour le mandant d’effectuer un choix quant à la façon dont on prendra soin de lui plus tard. Dans un tel cas, le notaire ou les témoins doivent s’assurer qu’il est apte au moment de signer le document.

 

Quand l’inaptitude survient

Un dossier d’homologation est alors déposé en Cour supérieure, où le juge constate l’inaptitude sur la base d’éléments médicaux et psychosociaux. Le tribunal respecte généralement les volontés prescrites dans le mandat de protection, à moins d’avoir de sérieuses raisons de douter de la capacité du mandant au moment de la rédaction du document.

 

S’il n’y a pas de mandat de protection

Malgré ces enjeux de taille, bien des gens hésitent à rédiger un mandat de protection. «Quand je l’évoque, des clients me répondent qu’ils vont faire ça à un moment donné, confirme Nancy Émond. Ce à quoi je réponds qu’à un moment donné, il sera trop tard.»

Une fois le mandat établi, c’est affaire réglée. D’autant plus qu’un tel document peut éviter des complications par la suite. «Par exemple, certains croient à tort qu’étant mariés ou conjoints de fait depuis des années, advenant quelque chose, l’autre aura automatiquement tous les droits pour administrer leurs biens et gérer leurs soins médicaux. Or, la loi n’est pas faite ainsi.» Le Code civil prévoit en effet que le conjoint ou la personne la plus proche peut s’occuper des décisions urgentes pour les soins médicaux, mais rien de plus. En l’absence d’un mandat de protection, «l’époux n’aura pas plus de pouvoir qu’un voisin».

Par ailleurs, sans mandat de protection, la famille doit se réunir en assemblée. Au moins cinq membres de la famille ou des proches doivent être présents. L’assemblée désigne alors un curateur et un substitut, ainsi que les membres d’un conseil de tutelle, qui doit être composé d’au moins trois personnes. «Il n’est pas toujours facile d’aller chercher cinq personnes», alerte Me Émond. Sans compter que le choix du curateur et du substitut par l’assemblée n’aurait pas forcément reçu l’approbation de la personne inapte. De plus, le curateur doit transmettre un rapport annuel au conseil de tutelle et au Curateur public, ainsi que demander l’accord d’un tribunal pour certaines décisions. C’est aussi ce dernier qui valide l’attribution des rôles de mandataires. Or, sa décision ne concorde pas nécessairement avec ce que la personne inapte aurait voulu, ajoute Francis Hemmings. 

Des tensions peuvent aussi surgir au sein de l’entourage une fois l’inaptitude de la personne déclarée. L’argent, rappelle Me Hemmings, est souvent au cœur des conflits, qui peuvent survenir «même dans les meilleures familles». D’où l’importance d’y songer sérieusement, conclut Me Émond, qui ajoute qu’on gagne à «choisir la ou les personnes qui marcheront dans nos souliers».

 

La procuration n’est pas un mandat de protection

Il est important de ne pas les confondre. La procuration vise à aider la personne encore capable de faire preuve de discernement et de comprendre ce que lui dit son entourage, explique Me  Francis Hemmings. Elle ne vise pas à protéger la personne elle-même, ce qui est davantage la fonction du mandat de protection.

La procuration cesse d’avoir effet le jour où la personne devient inapte, précise l’avocat. Sans répondre aux mêmes besoins, ces deux documents sont néanmoins complémentaires et peuvent être rédigés simultanément.