Comment déjouer la réduflation

Comment déjouer la réduflation

Par Emmanuelle Gril

Crédit photo: unsplash

Votre paquet de biscuits favoris vous semble plus léger qu’à l’habitude? Il ne s’agit pas d’une illusion : c’est probablement dû à l’actuelle vague de «moins pour le même prix».

Les consommateurs l’ont constaté: le panier d’épicerie coûte de plus en plus cher. Et les visites au supermarché ont pris l’allure d’une véritable chasse aux aubaines pour tenter de dénicher les meilleurs rabais. Pour expliquer cette flambée, les producteurs et transformateurs invoquent l’augmentation du coût des ingrédients, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, voire les changements climatiques et la pénurie de main-d’œuvre.

Plutôt que de faire grimper leurs prix, des manufacturiers ont toutefois adopté une stratégie commerciale différente, la réduflation. Ce terme calqué sur le mot-valise shrinkflation combinant les versions anglaises des mots réduction et inflation est défini par le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française comme le «sous-dimensionnement d’un bien de consommation courante par son fabricant, sans diminution du prix de vente».

Autrement dit, les acheteurs en ont moins pour leur argent, car pour maintenir leur marge bénéficiaire, les manufacturiers réduisent le poids, le format ou le volume du produit en le vendant au même prix. Pourquoi ne pas tout simplement augmenter le coût? Parce qu’il est prouvé que les consommateurs sont davantage sensibles à une hausse de prix qu’à une diminution de format.

Heureusement, la clientèle est moins dupe des tactiques des fabricants. À cet égard, un sondage réalisé en 2021 pour le compte du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie révélait que près de trois Canadiens sur quatre avaient constaté que le poids de certains produits avait été réduit, alors que leur prix était demeuré inchangé ou avait augmenté. Il y a toutefois moyen de déjouer les pièges de la réduflation en faisant preuve de vigilance.

Deux poids, deux mesures: vérifier avant d’acheter

Bien qu’elle ne soit pas illégale, cette pratique provoque la grogne des consommateurs qui ont l’impression qu’on se moque d’eux. Ils n’ont pas tort. D’ailleurs, rares sont les compagnies qui se vantent d’avoir recours à une telle pratique. Hormis quelques exceptions – comme Ferrero (Nutella) et Mondelēz International (Oreo), qui ont annoncé avoir réduit la taille de certains emballages –, les manufacturiers se font plutôt discrets à ce sujet. Et pourtant, les exemples de réduflation se multiplient. Mentionnons les bouteilles de jus d’orange qui passent subtilement de 1,65 L à 1,5 L, ou de 1,75 L à 1,54 L, ou encore les grands formats de yogourt qui ne contiennent plus que 650 g au lieu de 750 g.

Signalons également les emballages de fromage, qui ont fondu de 60 g pour passer à un contenant de 400 g, et ceux de bacon qui ne contiennent plus que de 500 g au lieu de 750 g. Quant aux sachets de craquelins et aux biscuits, ils ont étrangement maigri. Mais ce n’est pas tout: on trouve également moins de barres tendres, de sachets de gruau instantané ou de pâtes alimentaires dans la boîte de carton qui a pourtant conservé la même dimension qu’auparavant.

Les articles de soins personnels et d’hygiène n’y échappent pas non plus, remarque Jacinthe Cloutier, professeure adjointe au département d’économie agroalimentaire et sciences de la consommation à l’Université Laval. «Il peut y avoir moins de papiers-mouchoirs dans une boîte ou de feuilles dans le rouleau de papier toilette», souligne-t-elle. Les crèmes hydratantes, shampoings, détergents à lessive et assouplisseurs subissent aussi une cure minceur.

Emballages: des subterfuges créatifs

Si les fruits et les légumes frais, ainsi que la viande et les poissons non transformés ne sont habituellement pas touchés par la réduflation, de nombreux produits emballés en font l’objet. Car c’est là que réside le nerf de la guerre: donner l’illusion que la quantité reste la même en utilisant toutes sortes de subterfuges.

Sara Eve Levac, avocate et conseillère juridique à Option consommateurs, en dénombre quelques-uns. «Par exemple, les manufacturiers modifient la forme d’une bouteille pour la rendre plus large que haute, ou ils ajoutent des creux autour du goulot ou sous la base. Un gros bouchon crée également l’illusion que le contenant est plus imposant», note-t-elle.

Chez certaines marques, les moules en plastique protégeant les biscuits dans leur emballage ont été modifiés afin d’en contenir moins. Et dans les sachets de croustilles, on insuffle de l’air pour laisser croire qu’il est tout aussi rempli qu’auparavant.

Un couvercle ou un fond plus épais d’un grand pot de yogourt, des dentelures ou des bulles sous les bouteilles en plastique sont d’autres techniques pour réduire le contenu de quelques dizaines de grammes ou de millilitres. La forme du produit peut aussi être modifiée pour en diminuer la quantité, comme une tablette de chocolat comportant moins de carreaux ou présentant plus de renflements.

Autre tactique souvent utilisée, celle de l’échantillon. «Durant une période promotionnelle, le fabricant offre en cadeau un petit format – de détergent ou de shampoing, par exemple – alors que le format original qui l’accompagne en contient moins que d’habitude. À l’achat suivant, il n’y a plus d’échantillon gratuit et on obtient donc moins de produit pour le même prix», signale l’avocate. Les consommateurs devraient aussi être attentifs lorsqu’on fait la promotion d’un nouvel emballage «plus pratique», «plus écologique» ou «plus facile à manipuler»: dans ce cas, il y a fort à parier que si le prix est resté le même, la quantité, elle, a diminué.

Aiguiser son flair: les réflexes à cultiver

La meilleure méthode pour détecter la réduflation est de consulter le prix au poids ou au volume (voir l’encadré «Pour en savoir plus»). En effet, le prix unitaire sur l’étiquette apposée sur le produit peut induire la clientèle en erreur, car il ne permet pas d’effectuer une véritable comparaison.

«Au Québec, les détaillants doivent obligatoirement indiquer les prix au poids ou au volume sur l’étiquette placée sur la tablette», précise Sara Eve Levac. Ces informations sont inscrites en petits caractères, mais elles valent leur pesant d’or. Grâce à elles, on peut savoir hors de tout doute si 100 ml de sauce tomate de la marque X coûtent moins cher que ceux de la marque Y, et ce, même si les emballages diffèrent. Rappelons toutefois que ces précisions ne sont fournies que sur l’étiquetage en magasin et qu’elles n’apparaissent pas dans les circulaires.

Jacinthe Cloutier recommande également, lorsque c’est possible, d’opter pour des produits en vrac: pas d’emballage, donc pas de réduflation. Et du même coup, on évite le gaspillage. «Choisir des marques génériques, souvent moins chères, est aussi une solution», dit-elle. Même si la tendance a récemment commencé à changer, les marques maison ont habituellement peu recours aux tactiques de réduflation.

Les applications qui comparent les produits au volume ou au poids aident aussi à faire des choix judicieux. Tout comme photographier les produits qu’on achète souvent: l’image fournit par la suite un point de comparaison utile si on a l’impression que l’emballage contient une plus petite quantité. Selon Sara Eve Levac, on gagne aussi à se tenir au courant de la hausse des prix de l’alimentation. En sachant, par exemple, que les prix des produits de boulangerie ont grimpé de 13 %, mais que le pain tranché qu’on achète, lui, n’a pas augmenté, ça devrait nous inciter à vérifier si le poids mentionné sur le sac est toujours le même.

Ces nouvelles habitudes exigent bien sûr de la discipline, de l’organisation, et elles rendent nos achats à l’épicerie plus complexes. Il faut rester à l’affût, dresser des listes de prix et mettre en place des points de repère... mais le jeu en vaut assurément la chandelle.

Pour en savoir plus

• Le Comparateur de spéciaux des circulaires (incluant les différents formats) de SOS Cuisine

Protégez-vous, 6 produits qui ont fondu depuis 2016

• Segment d’émission L’épicerie (ICI Radio-Canada) sur la réduflation

Exemples de produits ayant subi de la réduflation, documentés par les consommateurs (en anglais)

Portail de l’indice des prix à la consommation, Statistique Canada

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