Louise Savoie sur son X

Louise Savoie sur son X

Par Caroline Fortin

Cette designer d’intérieur, qui a mené en parallèle une fructueuse carrière de photographe pendant plusieurs années, a toujours écouté son instinct. Il ne l’a jamais trompée. Entretien avec une femme talentueuse au parcours inspirant.

Tracer son chemin

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours dessiné. Ma mère me donnait des carnets, que je remplissais l’un après l’autre. Je crois que j’ai toujours su que l’art serait au cœur de ma vie et de ma carrière. Et je suis une personne qui se laisse énormément porter par ses intuitions. J’ai d’abord étudié en arts visuels, puis, vers l’âge de 19 ans, j’ai bifurqué vers la photo. Mon amoureux d’alors était photographe et caméraman, et j’ai appris plus sérieusement la photo avec lui, à développer mes photos, à savoir éclairer, etc.

Oser se lancer

Comme je voulais en faire un métier, je suis allée cogner à la porte d’un photographe de mode réputé. Je suis arrivée avec ma boîte de clichés en noir et blanc, je lui ai dit que je voulais apprendre et que j’étais prête à travailler gratuitement. Je suis devenue son assistante. Je n’ai jamais craint de proposer mes services, de me jeter à l’eau. C’est ce que je dis aussi à mes deux filles: le pire qui puisse arriver, c’est qu’on vous dise non.

La compagne de ce photographe était illustratrice de mode, et je me suis dit: moi aussi, je suis capable! Je me suis monté un portfolio et, avec toute ma naïveté, je suis allée chez Eaton, au centre-ville de Montréal, qui était reconnu à l’époque pour ses illustrations gigantesques en vitrine. Je l’ignorais, mais la directrice artistique cherchait un illustrateur depuis trois mois. Quand elle a vu mes dessins, elle m’a dit : «C’est toi que j’attendais!»

Audace payante

Jusqu’ici, je n’avais fait que du dessin en noir et blanc, et sur des feuilles. Là, on me demandait des illustrations en couleur hautes de plusieurs mètres, directement sur les murs. J’étais terrorisée! En plus, ma patronne m’a offert dès le départ une vitrine prestigieuse, sur Sainte-Catherine, pour rien de moins que des fourrures Christian Dior! Je n’ai pas dormi pendant deux semaines… Je me suis inspirée de l’esthétique de Blade Runner pour tracer des masques au airbrush sur les mannequins, de la même couleur que les fourrures. Ce saut dans le vide a lancé ma carrière chez Eaton.

Changement de cap

Au milieu des années 80, je suis devenue styliste photo, et je le suis restée 17 ans. J’ai travaillé pour des magazines, en publicité, puis j’ai fait une rencontre marquante par l’entremise d’un photographe : Josée di Stasio. On a collaboré sur différents projets, et elle a fait appel à moi pour prendre les photos de son tout premier livre de cuisine. Sa confiance m’a propulsée, et j’ai décidé de me consacrer entièrement à la photographie.

Faire sa place

Encore une fois, je me suis lancée naïvement dans ce milieu, en ignorant qu’il était très compétitif et compartimenté, au sens où les photographes se spécialisaient généralement dans un domaine: mode, cuisine, portrait, reportages, etc. Tandis que moi qui ai toujours aimé créer des ambiances, je touchais à tout, ce qui était très mal vu.

J’ai donc dû me faire confiance et m’écouter, foncer sans tenir compte des jalousies et des ragots. J’ai commencé à faire des reportages, à prendre des portraits. Ça me nourrissait beaucoup. Quand on fait de la photo à l’extérieur d’un studio, on doit travailler dans l’instantanéité, bien observer et saisir rapidement l’essence des lieux, des gens.

Pigiste dans l’âme

J’ai eu un seul emploi comme salariée dans ma vie, illustratrice chez Eaton. Le côté insécurisant de travailler à mon compte ne m’a jamais fait peur. Quand je ne gagnais pas beaucoup d’argent, je faisais des choix: je mangeais des toasts au beurre de pinottes le jour, et j’allais prendre un verre à L’Express le soir! J’ai toujours fait confiance à la vie, et elle m’a bien servie. Et je n’ai jamais accepté de contrats qui n’étaient pas alignés avec mes valeurs. J’ai refusé certains clients parce qu’ils exploitaient le monde. Je n’aurais pas travaillé pour des gens que je n'aimais pas, qui ne m'aimaient pas ou avec qui ça serait compliqué. C’est contre mes principes.

Un autre virage

Il y a environ huit ans, j’ai entrepris doucement un virage vers le design d’intérieur, que j’ai aussi appris par moi-même. J’avais une bonne carte de visite pour ce nouveau métier: en 2003, on m’a offert de faire la conception complète de la boutique d’articles de cuisine Les Touilleurs, jusqu’à la façon de présenter les ustensiles. Le frère d’un collègue en était copropriétaire et avait vu mon travail en stylisme. Et j’ai obtenu un prix Commerce Design Montréal.

La même année, j’ai approché Christiane Germain, propriétaire des hôtels du même nom. Elle a trouvé que j’avais du cran et m’a donné, entre autres, le mandat de concevoir le service du déjeuner dans son hôtel de Toronto. J’ai réfléchi à toutes sortes de détails, jusqu’au format mini des viennoiseries, pour éviter le gaspillage. Le téléphone a commencé à sonner, mais je voulais me consacrer à la photographie. J’ai oscillé entre les deux et, depuis trois ans, le design est mon gagne-pain.

Dans l’intimité des gens

Comme designer d’intérieur, je n’ai pas une approche traditionnelle. Je commence par rencontrer mes clients pour savoir si on peut bien fonctionner ensemble. Je rentre dans leur intimité, alors la confiance mutuelle est importante. En général, il y a des rénovations d’impliquées, et donc des coûts élevés. Je travaille avec un entrepreneur qui a le même souci de la finition que moi.

Ce que je trouve extraordinaire de mon nouveau métier, c’est qu’on apprend à se connaître, mes clients et moi, ce qui nous permet de développer une vraie relation. J’ai même une cliente qui m’a confié que mes rénos l’avaient changée sur le plan humain parce qu’elle avait appris à savoir qui elle était. J’aime amener les gens là où ils ne pensaient pas être. Un peu comme quand je faisais des portraits et que des personnes qui se disaient pas photogéniques s’aimaient quand elles se voyaient en photo. Rendre les gens heureux dans leur environnement, je trouve ça fantastique.

S’écouter

Quand je regarde le chemin parcouru, ce qui me rend le plus fière est d’avoir su rebondir et d’avoir toujours suivi mon cœur, mes passions et mes intérêts. Je pense qu’on devrait toujours s’écouter et chercher à se diversifier. Il ne faut pas avoir peur du changement. Tout ce que j’ai touché au fil des années me sert aujourd’hui. Pour moi, le mot «retraite» n’existe pas. Je commence des cours de poterie parce que j’aimerais apprendre à faire de la sculpture. Peut-être que c’est à ça que j’occuperai mes journées dans quelques années… ou alors, je reviendrai au dessin!

Vivre à la campagne

Avant la pandémie, mon chum et moi avions déjà commencé à envisager de quitter la ville, qu’on subissait plus qu’on en profitait. Puis avec la pandémie, j’ai réalisé que je pouvais suivre des chantiers à distance, m’y rendre une fois par semaine au lieu de tous les jours. On a donc déniché une maison dans la région de Sherbrooke, dans un coin nature, avec un grand terrain. J’avais ce besoin de m’entourer de vert, de profiter de la nature quotidiennement. Ce changement de rythme nous comble, et maintenant, quand les amis viennent souper, ils restent à coucher, donc on se voit plus longtemps!

Chez moi

Notre maison a été dessinée par un architecte, mais l’ancien propriétaire avait un style très classique, loin de la modernité des lieux. On voulait lui redonner sa simplicité, une ouverture vers l’extérieur, du mouvement. Peu importe la maison, j’aime simplifier le regard. On a décloisonné l’espace et opté pour un centre foncé, tout entouré de blanc. Aujourd’hui, son cadre exceptionnel est davantage mis en valeur puisqu’on peut enfin le voir de chaque pièce.

Mon style

Avec le temps, mon style vestimentaire s’est épuré. Avant, je pouvais travailler en robe et talons. À 61 ans, je suis bien dans mes Levi’s et mes souliers plats! Ma garde-robe est classique – cols roulés noirs, chemises blanches, pantalons bien coupés –, j’aime le monochrome. Je mise sur de belles chaussures, qui donnent du style à un look simple. Je n’achète plus beaucoup de vêtements, et quand je le fais, c’est soit des morceaux de qualité qui vont me durer, soit dans les friperies, où je fais des exceptions en optant pour la couleur et les imprimés. J’aime bien Era Vintage Wear (999, rue du Collège à Montréal).

Vive les cheveux blancs!

J’avais 57 ans quand j’ai décidé que c’était fini, les teintures et les retouches! J’y suis allée progressivement, en commençant par une teinture blonde, moi qui ai toujours été brune! Ma coiffeuse m’a fait des mèches blanches jusqu’à ce que toute la tête le devienne. Mes filles ont tout de suite aimé, elles disent que ça m’adoucit. Et puis quand on a les cheveux blancs, on ne joue plus à cache-cache avec soi-même, on assume son âge. En prime, la texture de mes cheveux s’est améliorée!

Le rituel du parfum

Je me parfume tous les jours, c’est un de mes petits plaisirs quotidiens, autant que de prendre mon café le matin. J’adore Pot Pourri, de Santa Maria Novella, mais il faut l’acheter à l’étranger. J’alterne entre Chloé, Coco Mademoiselle et Pays dogon, de Monsillage. J’ai découvert cette marque québécoise en photographiant sa créatrice, Isabelle Michaud. Je trouvais tellement que c’était une belle personne que ça m’a amenée à m’intéresser à ses parfums.

Une adresse déco fétiche

La propriétaire de la boutique Jamais assez (5155, boulevard Saint-Laurent à Montréal), Geneviève Cyr, est designer et choisit méticuleusement les objets qu’elle vend, souvent de style scandinave. Elle tient aussi les parfums Monsillage, qu’elle présente fort joliment, d’ailleurs.

Des artistes qui m’inspirent

Je suis le travail de Karine Demers depuis ses débuts. Elle crée des œuvres en papier, qu’elle plie de façon minutieuse. Ça donne un jeu d’ombre et de lumière, tout en raffinement et en angles. Comme designer, il m’arrive d’accompagner mes clients dans l’achat d’œuvres, et j’en ai deux qui ont jeté leur dévolu sur celles de Karine. J’aime également la peintre montréalaise Janet Werner, qui décompose des images de mode pour en faire des toiles.

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