Quand le jour de sa retraite est arrivé, Jacques, médecin, a ressenti une certaine insécurité sur le plan financier. «Ai-je assez d’argent pour jouir d’une retraite confortable? Combien de temps durera le capital accumulé?» Des questions simples, mais que bien des personnes se posent.
«Tout au long de leur vie, les gens voient leur actif croître, explique Angella Roy, planificatrice financière à la caisse Desjardins. À la retraite, il y a un décaissement et une diminution progressive de l’actif, ce qui provoque de l’insécurité chez bien des personnes.»
Jacques a trouvé l’antidote à son insécurité financière. Encore très en forme à 75 ans, cet omnipraticien spécialisé en gériatrie fait des visites à domicile trois matinées par semaine. Il se félicite de ne pas avoir accroché définitivement son stéthoscope. «J’éprouve une grande satisfaction à continuer ainsi de suivre des patients que je connais parfois depuis 30 ou 40 ans», confie-t-il. En prime, même s’il n’avait pas vraiment besoin de plus d’argent, son capital retraite diminue moins rapidement. L’art de faire d’une pierre deux coups!
De l’approximatif au réel plaisir
Il n’y a pas qu’une façon de prendre sa retraite. Si quelques-uns peuvent encore se permettre le modèle «Liberté 55», la plupart des retraités choisiront un des divers modèles, mariant revenus de retraite, travail à temps partiel ou mandats de consultants. D’autres opteront pour «Liberté 58-59» et demeureront au travail quelques années de plus.
Toutefois, pour calmer l’insécurité et s’assurer d’avoir les moyens de son rêve de retraite, il faut tôt ou tard passer par la planification financière. «En général, note Angella Roy, les gens s’y prennent trop tard. Les possibilités sont alors plus limitées.» La première planification devrait se faire au tout début de la quarantaine, et faire l’objet d’une révision tous les trois ou cinq ans, et plus fréquemment en cas de changement important (divorce, perte d’emploi, maladie, etc.). Planifier financièrement sa retraite, ce n’est pourtant pas sorcier. Il s’agit de répondre à deux grandes questions. Quel est votre projet de retraite, en tenant compte du jour J indispensable à tout calcul? Combien d’argent faudra-t-il pour le réaliser?
Pour prévoir les besoins financiers à la retraite, plusieurs conseillers financiers appliquent la «règle du pouce». Selon cette règle très approximative, une fois à la retraite, il vous faudra de 60 % à 70 % de vos revenus actuels pour maintenir votre qualité de vie. Ce qui signifie que vous continuerez à vivre comme avant la retraite, mais que les dépenses liées à votre travail (transport, vêtements, repas extérieurs, prélèvements sur la paie, etc.) ne grèveront plus votre budget.
Planifiez votre plaisir!
Actuaire et planificateur financier, Dany Provost n’aime pas cette approche. Il en propose une différente dans son livre Arrêtez de planifier votre retraite, planifiez votre plaisir, publié aux Éditions Transcontinental. Selon lui, notre qualité de vie, celle que nous voulons maintenir à la retraite, est liée à ce qui nous apporte du plaisir dans la vie. Il y a les petits plaisirs gratuits qui ne nécessitent pas de planification financière, et il y a les plaisirs pour lesquels il faut payer. La notion de plaisir varie évidemment d’une personne à une autre: voyages, sorties culturelles, lecture, sports, résidences secondaires, horticulture, collections, voitures de luxe, vaste résidence principale… À vous de la définir et de la quantifier! Toutefois, Dany Provost ne fait pas l’éloge de la cigale. «Une fois que la personne a établi ce qu’elle souhaite comme qualité de vie, ce qu’elle veut consacrer à son plaisir, il faut faire les calculs afin de s’assurer que le projet est réaliste.»
Restons calmes!
Dany Provost a effectué quelques simulations pour illustrer les effets d’un report de la retraite ou du temps partiel sur le budget «plaisirs». Les calculs tiennent compte d’une inflation annuelle (2,5%), d’une augmentation salariale égale à l’inflation lorsque la personne continue à travailler, d’un taux de rendement de 6% sur les placements REER, des rentes des gouvernements auxquelles elle est admissible (Régime des rentes du Québec et Pension de sécurité de la vieillesse), ainsi que de diverses considérations fiscales.
Le cas type – appelons-le Robert – jouit d’un salaire de plus de 70 000$. Au moment de prendre sa retraite totale, à 55 ans, il a accumulé 690 000$, dont 600 000$ dans un REER, 63 000$ et 27 000$ hors REER. Son budget (annuel) retraite comprend 30 000$ pour la partie «survie», et 15 000$ pour la partie «plaisir», la seule qui soit compressible. Résultat: pour que le capital retraite tienne jusqu’aux 90 ans de Robert, celui-ci devra réduire son budget plaisir à 10 500$, une baisse de 30%.
Restons calmes. Robert évalue la possibilité d’un travail à temps partiel tout en prenant toujours sa retraite à 55 ans. Il estime pouvoir obtenir un salaire brut moyen de 400$ par semaine. Résultat: son budget plaisir passe à 14 000$, ce qui est mieux.
Robert veut savoir ce qu’il obtiendrait en reportant la retraite de trois ans. Trois ans de cotisations REER de plus et trois ans de moins à utiliser le capital. Sans autre effort particulier, le report lui procure un budget «qualité de vie» de 15 000$ jusqu’à 90 ans, toujours en tenant compte de l’inflation. «En isolant ainsi le budget “qualité de vie“, conclut Dany Provost, on voit bien comment il est possible de s’adapter dans le temps sans trop souffrir.»
L’intérêt de planifier
L’intérêt de planifier
La planification financière de la retraite commence par un budget. Une évidence: si vous ne savez pas où va votre argent, comment voulez-vous établir le montant dont vous aurez besoin pour vivre et jouir de la vie une fois à la retraite? Comment savoir quelle portion de votre revenu est vraiment consacrée à votre qualité de vie, à votre plaisir? «Il n’y a pas de chiffres magiques, croit Fernand Loiselle, planificateur financier chez Groupe Investors, à Québec, en référence à la règle de 70% mentionnée plus haut. Il faut partir de son style de vie actuel et ensuite établir un projet réaliste.»
Prenez le temps de vous asseoir et d’y réfléchir. «L’erreur la plus fréquente est de sous-estimer certaines dépenses», prévient Dany Provost. Il suggère à ses clients de diviser les dépenses en deux grandes catégories: la survie et le plaisir. La survie (ou le coût de vie permanent), c’est le montant nécessaire pour combler les besoins
essentiels comme le logement, l’alimentation, les soins de santé, et ainsi de suite. Le plaisir, c’est ce que vous aurez défini (voir deux paragraphes plus haut).
«En tenant compte du capital accumulé ainsi que des autres sources de revenus de retraite, comme les rentes gouvernementales ou un régime d’employeur, il est possible d’évaluer si la personne aura la capacité financière de maintenir sa qualité de vie», explique Dany Provost. À partir de là, le planificateur peut évaluer divers scénarios. «L’objectif est d’adopter progressivement un mode de vie réaliste qu’il sera possible de maintenir à la retraite», insiste-t-il. Pour éviter l’impasse à la retraite, il est essentiel de se donner une marge de manoeuvre. Parfois, le planificateur peut aussi annoncer une bonne nouvelle.
Ainsi, un client de Fernand Loiselle, âgé de 51 ans, souhaitait prendre sa retraite à 55 ans et devenir consultant, dans l’espoir de dégager des revenus totaux d’environ 75 000$. Divorcé et occupant un poste de fonctionnaire très bien rémunéré, mais depuis 13 ans seulement, il pouvait s’appuyer sur des épargnes enregistrées de quelque
600 000$ et un placement non enregistré de 25 000$ destiné à l’achat d’un motorisé ou d’une résidence secondaire. «Après calcul, dit le planificateur financier, je lui ai montré qu’il avait deux autres possibilités.» Il pouvait continuer à travailler à temps plein jusqu’à 58 ans, ou encore se retirer dès l’âge de 53 ans et travailler comme consultant jusqu’à 65 ans. «Grâce à une bonne planification de sa retraite, souligne Fernand Loiselle, il sera en mesure de mettre en marche son projet de consultant deux ans plus tôt que prévu.»
Une bonne planification procure plus de souplesse à la retraite. C’est ainsi que Jean, retraité depuis deux ans, n’a pas besoin de travailler. Ce sexagénaire a mené une belle carrière de gestionnaire pendant une trentaine d’années. «J’ai travaillé pour des entreprises de toutes les tailles, changeant d’emploi uniquement pour relever de nouveaux défis», raconte-t-il. En ce moment, il se prépare progressivement à travailler comme consultant après «des vacances de deux ans», comme il décrit la première phase de sa retraite. «Ma première motivation est maintenant de rester actif en faisant profiter les autres de mon expérience», explique-t-il. Il croit fermement en l’entrepreneuriat. Côté finances, cette décision lui permettra de concrétiser certains projets qui lui tiennent à coeur et de s’offrir quelques gâteries. Après tout, besoins, désirs et plaisirs ne sont pas coulés dans le béton à partir de la cinquantaine. On peut aussi rêver à 65 ans!
Mise à jour: août 2008