Imaginez-vous au début du siècle dernier, dans un endroit où les hommes se réunissaient pour échanger les nouvelles, se raconter les derniers potins et discuter de politique autour du vieux poêle. Ils y passaient des heures à jaser des affaires du village, puis ils partaient avec un pot de mélasse, du savon du pays enveloppé dans du papier brun, des outils, des vêtements de travail…
Le magasin général était alors le lieu de rassemblement le plus populaire du village. Enfin, presque autant que le perron de l’église! On y vendait de tout: des tissus, des vêtements, de la nourriture, des outils, des pièces de machinerie… Il fallait voir ces grands comptoirs de bois remplis d’articles de cuisine, ces tablettes où s’alignaient boîtes de céréales, fruits en conserve, boîtes de thé, café, médicaments… Le magasin était aussi au centre de la vie économique. Souvent le marchand échangeait aliments, articles de mercerie et outils contre les produits agricoles de ses clients cultivateurs.
Ce type d’entreprise a été introduit au Québec par la Compagnie de la Baie d’Hudson, après le déclin du commerce des fourrures, C’est ainsi que, au début du XXe siècle, naissaient les ancêtres de nos grands magasins.
À l’Anse-à-Beaufils
À 10 kilomètres à l’ouest du village de Percé, en Gaspésie, et tout près du port de pêche de l’Anse-à-Beaufils, se trouve sans aucun doute l’un des plus beaux magasins généraux du Québec, doté de la plus impressionnante collection d’articles: le magasin général historique de l’Anse-à-Beaufils, autrefois propriété de la compagnie jersiaise Robin, Jones and Whitman. Il s’agit d’un authentique commerce avec ses comptoirs de chêne chargés de marchandises des temps passés. Dès qu’on y met les pieds, on baigne dans l’atmosphère d’autrefois.
Il se vendait de tout ici, du biberon pour bébé jusqu’au cercueil. «Le but était de fidéliser la clientèle des meilleurs pêcheurs, avec qui le marchand faisait du troc», nous rappelle Rémi Cloutier, l’actuel propriétaire. Le bâtiment a été construit en 1928, en remplacement du précédent magasin détruit par le feu. En 1972, il a été vendu à Gaston Cloutier, qui devint à son tour le marchand général. Ce dernier a maintenu la tradition jusqu’à son décès, en l’an 2000. Ses trois fils décidèrent alors de faire revivre le lieu comme à l’époque. «Mon père était un ramasseux de vieilleries, se souvient Rémi Cloutier. En faisant le ménage, nous avons fait beaucoup de trouvailles. Il y avait des tas de marchandises empilées dans le haut du magasin.» En fait, 80% de la collection actuelle provient de l’ancienne collection. Le reste est constitué de prêts faits par les gens du coin. Des visiteurs de passage apportent aussi des pièces qui viennent grossir le trésor. «C’est un musée vivant, car il grandit toujours», affirme M. Cloutier qui se dit toutefois incapable d’évaluer le nombre d’objets que comporte son magasin de 5000 pi2?
La collection couvre la période de 1900 à 1960. Et qu’y trouve-t-on? Tout ce qu’on pouvait acheter autrefois au magasin général: tabac à chiquer, bonbons, petits outils, boîtes de conserve, lampes à huile, tissus à la verge, vêtements du dimanche, robes de mariée, chaussures, vêtements pour bébé, machines à coudre, produits de pharmacie, vaisselle, fournitures scolaires, phonographes… Dans le bureau, on peut voir de vieux livres et une voûte où sont conservés les registres de comptes et autres documents d’importance. Un espace est également réservé à la reconstitution du salon de barbier de Gaston Cloutier, père des actuels propriétaires.
Dans l’entrepôt, tout est comme à l’époque: voitures à chevaux avoisinent pièces de ferronnerie, engins de pêche, carrioles, instruments aratoires, et aussi… masques à gaz. «Lors de la Deuxième Guerre mondiale, nous rappelle Rémi Cloutier, 26 bateaux ont coulé dans la bataille du Saint-Laurent, et le magasin était un dépôt pour les masques à gaz…» À l’arrière du magasin, on présente au fil des ans diverses expositions reliées aux activités commerciales, maritimes et forestières de la Gaspésie. Le magasin est ouvert de la mi-juin à la fin de septembre. Des personnages d’époque racontent l’histoire de ce commerce ainsi que des anecdotes à propos de la Gaspésie. «J’aime le monde, raconte Rémi Cloutier. Le magasin me permet de travailler avec les gens. Et je suis fier de poursuivre l’oeuvre de mon père. » 418 782-2225. www.magasinhistorique.com
À Maskinongé
Lorsque, en 1976, Gisèle Saucier et Serge C. Martin se portent acquéreurs d’un vieux magasin à Maskinongé, ils sont loin de se douter qu’ils vont consacrer leur vie à une oeuvre monumentale: la reconstitution du magasin général Le Brun. «Nous rêvions d’habiter une vieille maison, raconte Gisèle Saucier. C’était l’époque du retour à la terre. Nous cherchions partout au Québec, sauf en Mauricie, où je suis née. Un jour, mon père me téléphone pour me dire qu’à Maskinongé il y a un vieux bâtiment à l’abandon. C’était l’ancien magasin général Le Brun.»
Situé sur le chemin du Roy, le commerce a succédé à trois magasins généraux, ceux de 1803, 1827 et 1915. Cette dernière année marque le moment où Odilon Lebrun s’est associé avec ses frères, Joseph et Oscar, pour faire construire un magnifique magasin général, qui a employé jusqu’à 24 commis et a connu des heures de gloire jusque dans les années 70. À sa fermeture, la famille Le Brun a procédé à une vente à l’encan pour libérer toutes les marchandises, et le bâtiment est devenu un entrepôt vide. Gisèle Saucier et son conjoint sont tombés amoureux du lieu malgré son état de délabrement. Et en le restaurant, ils ont nourri leur passion pour l’histoire.
Collectionneurs dans l’âme, les nouveaux propriétaires avaient passé leur vie à amasser divers objets, des livres, des meubles, des pièces antiques. Grâce à eux, le magasin général s’est transformé en musée en 1977 et, en 1981, le bâtiment a été reconnu site historique par le ministère de la Culture du Québec. «Nous n’avions pas le projet d’ouvrir un musée, mais nous voulions que ce lieu devienne la mémoire collective des Québécois», souligne Mme Saucier.
L’imposant magasin de deux étages a conservé son cachet d’époque. On y trouve une collection de plus de 7 0 0 0 objets anciens, couvrant la période de 1850 à 1970, de la petite boîte de pilules jusqu’aux pièces de mobilier, en passant par des phonographes Edison, une boîte de condoms datant de 1899, fabriquée à la Dominion Rubber… et un pianola de 1904.
En 2009, le couple a vendu le magasin et la collection à Isabelle Thibault et Richard Vienneau, qui y ont ajouté un large éventail d’objets et de produits régionaux que l’on vendait autrefois dans un tel lieu: vieux jouets de métal, linges à vaisselle, bonbons à l’ancienne, farine de sarrasin, articles utilitaires et décoratifs, etc. Ils ont de plus aménagé un café et une salle de spectacles de 100 places qui, durant la belle saison, se transforme en théâtre d’été. Le magasin général Le Brun est ouvert à l’année, mais seulement cinq jours par semaine de novembre à mars. 819 227-2650 www.magasingenerallebrun.com
À Compton et ailleurs
À Compton
En Estrie, dans le village de Compton, le magasin général JBM St-Laurent est un incontournable. Dès qu’on en franchit le seuil, on est transporté dans le décor d’une époque révolue. On peut imaginer les hommes bavardant autour du comptoir et les conversations politiques de l’époque. Ce magasin général a été tenu par trois générations de St-Laurent, de 1878 à 1969, dont Jean- Baptiste Moïse St-Laurent, qui était le père de Louis S. St-Laurent, premier ministre du Canada de 1948 à 1957.
Attenant au magasin, se trouve la maison où est né Louis S. St-Laurent et où il a passé sa jeunesse. Le magasin compte une collection de 3000 objets qui ont repris leur place sur les tablettes d’origine. On y aperçoit des reproductions des marchandises vendues dans le magasin à l’époque : vêtements, médicaments, tissus, outils, vaisselle, nourriture… Dans l’entrepôt, le visiteur peut voir un diaporama sur la vie et l’oeuvre de Louis St-Laurent et, dans sa maison natale, une collection de plus de 25 000 objets et meubles ayant appartenu à la famille. L’endroit est devenu Lieu historique national du Canada. Ouvert de la mi-mai à la fin octobre. 819 835-5448. www.pc.gc.ca/st-laurent
À Kamouraska
Le magasin général de Kamouraska est installé dans une maison rénovée au goût des années 30, dans le coeur du village. On y vend des produits frais, produits du terroir et produits fins de la région. 98, avenue Morel, Kamouraska. 418 492-2882. www.magasin-general.ca
À Deschambault-Grondines
Le magasin général Paré, ouvert en 1866, a vu défiler cinq générations de la famille Paré. Le bâtiment, avec son ambiance d’époque, a marqué le développement du village. Les samedis, durant l’été, un marché public s’installe devant, et les producteurs locaux y vendent leurs marchandises. 104, rue de l’Église, Deschambault-Grondines. 418 286-3133
À Knowlton
Le magasin général Barne a été ouvert par deux femmes en 1890. On y trouve une vaste gamme de produits: peinture, quincaillerie, jouets, comptoirs de bonbons et produits locaux, tels les bagels St-Viateur et le bon pain d’Abercorn. 39, rue Victoria, Knowlton. 450 243-6480
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