Soins à domicile: Où en sommes-nous?

Soins à domicile: Où en sommes-nous?

Par Sophie Stival

Crédit photo: iStock

Les demandes de services de soutien à l’autonomie explosent, alors que moins de 15% des besoins sont couverts par le système public. Qu’en est-il du fameux virage vers les soins à domicile?

C’est un secret de Polichinelle: les Québécois veulent demeurer le plus longtemps possible à la maison. Depuis 20 ans, les annonces gouvernementales se multiplient auprès de la population afin de répondre à ce désir. Pensons à l’initiative Chez soi: le premier choix, en 2003; à Vieillir et vivre ensemble, en 2012, et, plus récemment, au programme Bien vieillir chez soi, qui dresse un bilan de la performance des services de soutien à domicile tout en proposant des recommandations.

Soyons honnêtes, les nouvelles ne sont pas très réjouissantes et les défis à relever restent gigantesques. La pandémie a dévoilé à quel point les services à domicile étaient essentiels, alors que des personnes en perte d’autonomie ou en situation de handicap ont été carrément abandonnées.

Au 30 décembre 2023, quelque 20 490 personnes étaient en attente d’un premier service de soutien à domicile au Québec, tandis qu’elles étaient un peu moins de 10 000 il y a cinq ans. Précisons que les soins et services à domicile s’adressent à tous ceux qui ont une incapacité temporaire ou permanente, de nature physique ou mentale, nécessitant de recevoir à domicile divers services et soins, incluant aussi les soins palliatifs. Les services peuvent également être destinés au proche aidant qui accompagne ces personnes. D’après les données du ministère de la Santé et des Services sociaux, 383 155 Québécois ont reçu un service de soutien à domicile au cours de l’année 2022-2023.

PRIORITÉ AU MAINTIEN DE L’AUTONOMIE

La Commissaire à la santé et au bien-être (CSBE), Joanne Castonguay, soulignait dans son dernier rapport de la série Bien vieillir chez soi que le «modèle actuel de soutien à domicile doit évoluer pour faire face au vieillissement de la population. Il faut passer d’un système de soutien à la perte d’autonomie à un système axé sur son maintien. Pour ce faire, il faut […] valoriser la santé et le bien-être tout au long de la vie. Il faut soutenir les personnes dès les premières apparitions de leur perte d’autonomie et ne pas attendre qu’il soit trop tard pour la freiner.» La Commissaire a également confié à la Chaire de recherche Jacques-Parizeau en politiques économiques de HEC Montréal le mandat de faire des projections sur ce qui attend les Québécois d’ici 2040 en matière de soutien à domicile.

Voici quelques-uns de ses constats:

  • Le Québec connaîtra une augmentation massive des besoins en soutien à l’autonomie. De 324 400 personnes ayant des besoins en 2023, on prévoit une augmentation de 223 400 personnes d’ici 2040 (soit + 69%).
  • Le nombre d’heures dispensées à domicile et en résidences pour aînés (RPA) est relativement faible (21,4% du total des heures de services fournis en 2023), alors que les besoins y sont les plus élevés (70% du total des besoins en heures de soins en 2023).

  • Le nombre d’heures dispensées en CHSLD représente la grande majorité des heures dispensées, tous milieux confondus, soit près de 60% des heures dispensées en 2023.

  • D’ici 2040, il faudra recruter 13 700 infirmières et 45 600 travailleurs en soins d’assistance dans le secteur public à l’échelle du Québec, et cela, seulement pour maintenir le niveau actuel des services de sou- tien à l’autonomie par usager.

En discutant avec les experts, il semble évident qu’un réel désir d’améliorer les choses se manifeste depuis 2022. On est «en mode solutions». Et le problème ne se résume pas à une simple question d’argent. Les rapports de la Commissaire à la santé et au bien-être soulignent que les services de soutien à domicile dépendent d’une variété de prestataires publics, privés et communautaires et qu’ils sont dispensés dans le cadre de plusieurs programmes et mesures financières différentes. Malheureusement, il y a un manque de coordination d’ensemble.

Quand on affirme que moins de 15% des services sont dispensés par le système public, c’est une moyenne pour tous les services offerts. «Il y a clairement un enjeu lié à l’aide domestique, alors que ce service est davantage fourni par des proches aidants, des organismes communautaires pour lesquels on n’a pas de données, ou encore des entreprises privées, constate Georges-Charles Thiebaut, commissaire adjoint à l’évaluation et directeur scientifique du CSBE. Dès que la perte d’autonomie est plus importante, le taux de réponse est beaucoup plus élevé, notamment pour les soins infirmiers. L’intensité des services se concentre aujourd’hui sur une faible pro- portion des usagers, soit environ 10%», note le commissaire adjoint.

DES ENJEUX DE SOCIÉTÉ MAJEURS

Encore aujourd’hui, la plupart des personnes qui reçoivent de l’aide à domicile disent l’obtenir de leurs proches. C’est majoritairement le conjoint (28%) ou un fils ou une fille (45%) qui est le plus susceptible d’être le principal aidant des personnes de 65 ans et plus pour l’aide à domicile, révèlent des données de 2019 de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Les causes d’une telle situation sont multiples. Et le vieillissement de la population conjugué à la pénurie de main-d’œuvre pose des défis importants. Dès 2031, un Québécois sur quatre (25%) sera âgé de 65 ans plus, selon l’ISQ.

On souhaite donc augmenter la capacité du réseau public afin de desservir plus d’aînés, notamment en favorisant des partenariats avec des organismes communautaires, des organisations d’économie sociale et des entreprises privées. Tout cela pourrait, semble-t-il, être facilement envisageable en ce qui concerne l’aide domestique et les soins personnels.

DIVERS PROGRAMMES DE FINANCEMENT, PAS TOUS BIEN CONNUS

Les programmes d’aide sont nombreux et souvent méconnus de la population. Ils dépendent aussi des services offerts dans chacune des localités ou CLSC. Autre bémol: on ne distingue pas le financement des fournisseurs de services de celui des usagers. Pour savoir si un usager y a droit, il peut contacter la personne responsable du programme en question à son CLSC. Elle pourra évaluer ses besoins ou ceux de son proche aidant. Selon la ministre des Aînés et ministre déléguée à la Santé, Sonia Bélanger, la plupart de ces programmes seront revus et améliorés prochainement.

Idéalement, il devrait n’y avoir qu’un seul programme de financement du soutien à domicile avec des modalités de paiement qui pourraient varier, suggère le dernier rapport de la Commissaire à la santé et au bien-être. Le financement suivrait le patient, afin de préserver sa liberté de choisir. De même, l’évaluation de la capacité financière pourrait être effectuée de manière distincte (par Revenu Québec, par exemple) du processus d’octroi de services à domicile pour éviter qu’on fasse attendre des gens tant que leurs moyens financiers n’auront pas été évalués. Plusieurs provinces canadiennes, dont l’Ontario, ont mis en place le copaiement pour certains services d’aide à domicile, calculé en fonction de la capacité financière des individus, soulignait en janvier dernier le plus récent rapport de la Commissaire.

COMMENT ACCÉDER AUX SERVICES À DOMICILE?

En matière de soutien à domicile, les services publics sont la responsabilité première des CLSC. Il est ici question de services gratuits ou à faibles coûts. Quant aux centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et aux centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS), chacun a la responsabilité de coordonner les services de soutien à domicile sur son territoire. Si une personne souhaite obtenir du soutien à domicile, elle doit contacter le CLSC de sa région, qui évaluera sa situation et les besoins requis. On lui proposera ensuite un plan d’intervention, ainsi qu’une prestation de services adéquate. Les soins infirmiers, le soutien psychosocial et l’assistance à la personne peuvent être fournis directement par le CISSS ou le CIUSS. On pour- rait aussi faire appel à des prestataires externes, tels que des entreprises d’économie sociale, des agences privées et des organismes communautaires pour compléter l’offre de services. Il est également possible d’avoir recours au programme d’allocation directe, comme le chèque emploi-service, qui attribue une allocation financière à l’usager. Le CISSS ou le CIUSS pourrait enfin offrir de l’assistance technique à domicile en prêtant des équipe- ments spécialisés aux personnes en convalescence ou pour compenser des incapacités liées aux activités quotidiennes et domestiques.

QUAND IL FAUT PAYER (ET COMMENT SE FAIRE REMBOURSER)

Cela dit, le temps d’attente est parfois long avant d’obtenir des services, car tout dépend de l’urgence des besoins. Pensons à des personnes qui requièrent des soins en ergothérapie, par exemple, qui voudront se tourner vers une entreprise privée comme Bien Chez Soi, qui dessert entre 4500 et 5000 familles par année. À sa façon, ce type d’entreprise contribue à désengorger le système public. «Dès qu’un aîné nous téléphone, on le réfère d’abord à son CLSC. Même les usagers qui paient pour nos services vont, la plupart du temps, se faire rembourser ou profi- ter de subventions», explique Mme Green. Deux tiers des bénéficiaires de ses services obtiennent une aide financière gouvernementale. Certains veulent ajouter des heures de soutien à domicile à leurs frais, en plus de ce qui est subventionné par le public.

Bien Chez Soi favorise le jumelage à long terme entre le ou la préposé(e) – appelé(e) Bienveillant(e) – et le bénéficiaire des services. Chez Amika, on offre des soins à domicile privés à travers le Québec grâce au travail d’aides-soignantes. Le tarif horaire oscille entre 34,50$ et 45$ selon la durée des visites, peut-on lire sur le site web de l’entreprise. En tenant compte des différents programmes d’aide ou de crédit d’impôt, la facture pourrait être allégée.

«On veut collaborer avec le réseau de soins à domicile existant, qu’il soit public, privé, communautaire ou sans but lucratif. On vise tous à offrir le plan le moins cher à l’usager», ajoute Alison Green, qui a également cofondé l’Association des soins à domicile du Québec, regroupant une dizaine d’entreprises comme Bien Chez Soi.

«Le problème n’est pas une question de budget, ni de joueurs en présence ni de capacité à répondre à la demande, estime Mme Green. C’est plutôt que le réseau de santé public n’est pas organisé et que les programmes et les subventions ne sont pas efficaces puisqu’ils ne sont pas en mesure de fournir les services chez la personne à domicile sous une formule universelle.»

En d’autres mots, on voudrait que des montants ou un nombre d’heures de soins à domicile soient alloués pour l’ensemble des usagers du Québec selon l’évaluation de leur profil (mesure de l’autonomie fonctionnelle ou ISO-SMAF). «C’est déjà le cas pour les personnes qui sont hébergées dans les CHSLD ou les ressources intermédiaires. Il serait plus équitable qu’on le fasse pour tout le monde», ajoute-t-elle.

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