Les couples non mariés ne disposent pas des mêmes protections que les époux, contrairement à ce que l’on pense souvent. Pour éviter toute déconvenue, l’union de fait devrait donc toujours s’accompagner de protections précises.
Au Québec, il existe trois sortes d’union entre conjoints. Le mariage engage les époux à être matériellement solidaires entre eux, sauf si un contrat de mariage prévoit la séparation de leurs biens. L’union civile attribue les mêmes droits et obligations que le mariage, à deux exceptions près: elle peut se terminer sans divorce, et elle est valable au Québec, sans garantie de l’être ailleurs au Canada et à l’étranger. Si près de 23 000 mariages sont prononcés chaque année au Québec, on compte à peine plus de 200 unions civiles, selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Finalement, l’union de fait concerne près de 40 % des couples au Québec, selon le dernier recensement de Statistique Canada, en 2016. L’union de fait prend effet à partir d’un certain temps de vie commune. Ce temps n’est pas le même selon l’organisme ou l’administration à qui on s’adresse… Mais l’union de fait n’est pas reconnue dans le Code civil: dans bon nombre de situations, les conjoints sont considérés comme deux étrangers, sans lien officiel et donc, sans droit ni obligation l’un envers l’autre.
Peu importe les idées reçues à ce sujet, il n’existe aucun délai à partir duquel les conjoints de fait obtiennent les mêmes droits que les couples mariés. La majorité des Québécois croient que les époux et les conjoints de fait ont les mêmes droits et obligations après quelques années de vie commune, constate Hélène Belleau, chercheuse à l’INRS et coauteure, avec Delphine Lobet, du livre L’amour et l’argent, guide de survie en 60 questions. Elle avait réalisé des expertises lors du procès Lola contre Éric: en 2013, la conjointe de fait d’un homme fortuné avait échoué à se faire reconnaître les mêmes droits que s’ils avaient été mariés. L’affaire était allée jusque devant la Cour suprême du Canada. Celle-ci avait reconnu le caractère discriminatoire de la loi du Québec, mais avait conclu que cette loi était valide. La requérante avait été déboutée.
Bref, comme ils ne bénéficient pas de la protection de la loi, les conjoints de fait doivent donc voir à prendre eux-mêmes des dispositions pour se protéger, ainsi que leur patrimoine, face aux aléas de la vie.
Précieux contrat de vie commune
Seul le mariage garantit un partage du patrimoine familial. Quand des conjoints de fait se séparent, chacun peut partir librement avec les biens acquis en son nom. Rien n’oblige alors à ce que le partage soit égalitaire. Un conjoint a interrompu sa carrière professionnelle tandis que l’autre a amassé de l’argent? Aucune loi n’oblige ce dernier à partager avec le conjoint resté à la maison pour s’occuper des enfants ou d’un parent.
N’étant pas reconnus par le Code civil, c’est aux conjoints de fait eux-mêmes qu’il revient de se donner un cadre contractuel. Le contrat de vie commune est un document qui récapitule tous les droits et les obligations de chaque membre du couple. Tout est permis, en autant que ce contrat respecte l’ordre public et les bonnes mœurs. «Le contrat de vie commune met les choses au clair», résume François Bibeau, président de la Chambre des notaires du Québec (CNQ).
La plupart des couples en union de fait ne signent pas de contrat de vie commune. Le couple se forme et construit son histoire progressivement. «Ce n’est jamais le moment idéal de le signer, confirme Angela Iermieri, planificatrice financière chez Desjardins. Mais quand on commence à acquérir des biens ensemble, on devrait le mettre par écrit.» Il n’est jamais trop tôt pour rédiger ce document. Plus on tarde, plus on prend le risque de se retrouver dans une situation problématique un jour ou l’autre.
Le contrat de vie commune peut énoncer qui paie quelle facture, quels biens appartiennent à qui, et qui sera propriétaire des biens acquis durant l’union de fait: un conjoint ou les deux solidairement. Ce contrat peut aussi prévoir les modalités de séparation du couple. Il peut ainsi stipuler qu’un conjoint versera un montant compensatoire en cas de séparation, par exemple pour indemniser l’autre conjoint d’avoir interrompu sa carrière professionnelle pour s’occuper des enfants. «Deux conjoints de fait qui se séparent, même après dix ans de vie commune, ne sont pas tenus de partager leurs biens à moitié-moitié», prévient Me Bibeau. Même après toutes ces années, chaque bien, y compris la maison, reste la propriété de celui qui l’a acheté.
À qui la résidence principale?
La résidence principale des conjoints de fait appartient à celui des conjoints qui a acheté le logement en son nom. C’est une grande différence avec les couples mariés. «Le Code civil prévoit que chaque époux est obligé de répondre aux engagements contractuels pris par l’un des deux mariés», énonce Me Bibeau. Pour les conjoints de fait, si une chicane survient alors que la résidence est au nom d’un seul conjoint, l’autre conjoint peut se retrouver dehors, même si le couple a des enfants.
Si les deux noms figurent sur l’acte de propriété, les conjoints sont bien sûr tous deux propriétaires, mais cela n’empêche pas des cas problématiques de se poser. Ainsi, si un conjoint décède sans laisser sa part de propriété à son conjoint, ce sont ses héritiers qui deviendront copropriétaires avec le conjoint veuf. De quoi donner potentiellement lieu à des situations conflictuelles…
Il en va de même en cas de location: si un seul nom figure sur le bail, l’autre conjoint n’a aucune obligation de payer le loyer, mais il n’a aussi aucun droit de demeurer dans le logement.
Pas de pension pour soi
Quand ils se séparent, les conjoints de fait ne sont pas tenus de se verser une pension alimentaire l’un à l’autre. Mais ils peuvent être tenus de verser par contreun montant d’argent pour les enfants qu’ils ont eus ensemble. En fait, le sujet des enfants est un des rares cas où les conjoints de fait ont des droits comparables aux époux. Par exemple, ils ont les mêmes droits que des conjoints mariés pour adopter un enfant. Cependant, leur statut peut ne pas être suffisant en cas d’adoption internationale; certains pays pourraient ne reconnaître que les couples mariés.
Un testament sans tarder
Les conjoints de fait n’étant pas reconnus par le Code civil, ils n’héritent pas automatiquement l’un de l’autre. Seuls les enfants du conjoint décédé hériteront automatiquement. La seule façon de laisser quelque chose à son conjoint est de rédiger un testament. «On entend dire: “Mes enfants ne te laisseront pas dans l’embarras”», alerte Me Bibeau. Sauf que, dans bien des situations, des problèmes surgissent au moment de la liquidation de la succession. Le notaire raconte qu’une conjointe s’est présentée à son bureau, accompagnée de ses enfants, pensant hériter de son conjoint de fait après 25 ans de vie commune. «J’hérite de tout, m’a-t-elle affirmé. Je lui ai répondu que sans testament, elle n’héritait de rien. Ses enfants sont les uniques héritiers du conjoint.» S’ils avaient été mineurs, la vente de la maison ne pourrait être possible qu’avec l’autorisation d’un tribunal. «J’ai vu un monsieur frôler la dépression après le décès de sa conjointe. En plus du deuil, on leur annonce que l’enfer commence.»
Et c’est sans compter que des conjoints de fait n’ont jamais pensé à divorcer officiellement d’un mariage interrompu il y a des années, voire des décennies. Au moment de la liquidation, on peut alors voir apparaître l’époux, qui aura beau jeu de revendiquer sa part conséquente d’héritage. «Vérifiez que vous détenez le document de divorce, recommande Angela Iermieri. Ne remettez pas sa recherche à plus tard!»
Sans mandat, pas de protection
Comme pour l’héritage, le mandat de protection – autrefois appelé mandat d’inaptitude – n’est jamais automatique entre conjoints de fait. Si un conjoint souhaite confier un rôle à l’autre conjoint, il doit signer un mandat de protection. Dans ce document, il définit les rôles de chacun: son conjoint, un enfant, un frère, une sœur, etc. Il peut nommer un proche pour gérer son argent, et un autre pour s’occuper de ses soins de santé. «Il est faux de croire qu’un testament suffit, précise Me Bibeau. En cas d’inaptitude, le testament ne s’applique pas.» Le liquidateur testamentaire n’a aucun rôle dans le cas de l’inaptitude. Faute de mandat de protection, le conjoint de la personne inapte devra entamer une longue procédure pour faire se reconnaître par le curateur public et par un jugement du tribunal.
Égalité dans la fiscalité
La fiscalité est un des rares sujets où les conjoints de fait sont traités comme des époux. «La loi de l’impôt prévoit qu’après un an de vie commune, vous êtes considérés comme des conjoints de fait, explique François Bibeau. Vos rapports d’impôts doivent donc être produits comme si vous étiez mariés.»
Un conjoint de fait peut bénéficier du fonds de pension de son conjoint, comme s’ils étaient mariés, mais uniquement après trois ans de vie commune si le régime de retraite est sous juridiction provinciale. Quand la juridiction est fédérale, la durée exigée se limite à un an. «Si vous changez de conjoint, obtenez de l’ancien conjoint qu’il renonce à ses droits; sinon, il devient l’héritier prioritaire de votre régime», précise Angela Iermieri.
Quant aux REER et CELI, ils demeurent la propriété de chaque conjoint, quoi qu’il arrive. Au décès, ils doivent avoir été inscrits dans le testament pour être versés au conjoint survivant.
Même traitement en santé
En matière de santé, les conjoints de fait et les époux sont traités à la même enseigne. Le consentement aux soins de santé peut être exercé par le conjoint de fait. Un conjoint de fait peut aussi bénéficier de la couverture privée d’assurance-maladie ou médicament de son conjoint. Enfin, un conjoint de fait peut recevoir des indemnités en cas d’accident du travail, d’accident automobile ou de décès de son conjoint. Mais les règles de reconnaissance du statut de conjoint de fait – essentiellement la durée de vie commune – dépendent de chaque organisme.
Même sexe, mêmes droits
Mariés ou en union de fait, les conjoints de même sexe disposent des mêmes droits que les conjoints de sexes différents. Les premiers doivent donc s’assurer de prendre des dispositions légales pour se protéger et protéger leur patrimoine comme les seconds.