Gonzague et Philippe, 72 et 18 ans
Gonzague et Philippe semblent coulés dans un même moule. Dotés d’une belle assurance, ils sont unis par des valeurs identiques et un solide sens de la famille. L’un ayant été l’influence masculine majeure dans la vie de l’autre, ils sont proches comme le sont un père et un fils qui s’entendent bien. «Assez pour être capables de se dire les vraies affaires!» affirme en riant Gonzague. Philippe abonde dans le sens de son grand-père: «Pour mes deux sœurs et moi, Papy occupe une place des plus importantes dans nos vies et dans nos cœurs, on entretient un lien unique.»
La liberté de choisir
Si Gonzague est si près de ses petits-enfants, c’est parce qu’il a été leur coloc pendant une grande partie de leur enfance. Cette cohabitation, il y a 20 ans, dans un duplex à Sherbrooke, a permis au policier retraité et à son épouse d’épauler leur fille unique, Shirley, fraîchement divorcée. Il est donc bien placé pour constater que, malgré un train de vie trépidant, la jeunesse actuelle s’en tire somme toute à bon compte. «Certains de mes amis disent: « Ah! Les jeunes de nos jours, c’est pas drôle! » Je réplique: « Non, ils sont mieux que nous, entre autres parce qu’ils sont davantage instruits. »» Ça le rassure de savoir que ses petits-enfants sont suffisamment équipés, tant sur le plan éducatif que social et familial, pour faire face à n’importe quelle situation. Et qu’ils jouissent d’une plus grande flexibilité. «Dans notre temps, on s’enlignait sur un métier et on ne se posait pas trop de questions. On pouvait se plaindre de notre travail, mais jamais il ne nous venait à l’esprit de le quitter pour s’engager dans une autre voie.» Philippe reconnaît lui aussi la chance des étudiants de son âge: «Notre système d’éducation fait en sorte que nous pouvons changer de champ d’étude sans forcément perdre nos acquis.»
L’ouverture sur le monde, apportée entre autres par les voyages humanitaires auxquels participent ses petits-enfants, force aussi l’admiration de Papy, lui qui n’a pas connu ça dans son jeune temps. Selon lui, cela contribue certainement à leur apprentissage et à leur épanouissement. «C’est vrai que ces engagements à l’étranger permettent d’amener d’autres points de vue et d’apprécier ce qu’on a», confirme Philippe.
La famille en écran protecteur
Pour Gonzague, la vie de ses petits-enfants est un tourbillon. «Ils ont toujours de quoi les tenir occupés!» Philippe ne peut le nier: entre les études, le travail, le sport (l‘étudiant au cégep se prépare justement pour un marathon), les activités sociales et les loisirs, lui et ses sœurs sont, comme dirait leur grand-père, «éparpillés». Stressant, tout cela? «Aujourd’hui, la course à la performance les oblige à demeurer constamment connectés à leur travail, observe Gonzague. Avec les ordinateurs, par exemple, on accomplit désormais des tâches, souvent non rémunérées, à la maison. L’important pour nos jeunes est de déterminer comment gérer leur stress et de trouver des façons de décrocher.»
Ses principaux conseils à ses petits-enfants? «Qu’ils prennent le temps de choisir un métier qui les passionnera chaque jour et respectera leurs valeurs.» Et dans la tempête? «Je leur dis toujours que la famille est le dernier rempart, celle sur qui on peut compter beau temps mauvais temps.»
Claudette et Élise, 75 et 28 ans
Photo: Charles Briand
Avant la retraite, Claudette possédait une flotte d’autobus scolaires avec son mari. Elle s’occupait de la comptabilité et conduisait d’une main sûre les gros véhicules dans les rangs de La Patrie. Sa petite-fille, qui montait parfois à bord, admirait sa grand-maman, qu’elle voyait comme le «capitaine de l’autobus». Aujourd’hui, malgré la distance qui les sépare (Élise vit désormais à Montréal), elles sont unies par une grande complicité et se parlent au téléphone au moins une fois par semaine. «Comme au jour de sa naissance, je suis émue par Élise», confie la septuagénaire. Et la principale intéressée de confirmer: «Ma grand-mère, c’est ma fan numéro un!»
Le boulot avant le biberon
Celle qui vient de souffler ses 75 bougies reconnaît qu’il y a tout un monde entre sa réalité de jeune femme et celle de sa petite-fille journaliste. «À son âge, j’étais mariée et mère de famille.» À des poussières de la trentaine, Élise, au grand dam de son clan, n’est pas «matchée» et n’a pas de rejetons. «Rien ne presse, tu les auras plus tard, c’est tout!» lance sa grand-mère, qui applaudit sa détermination de se réaliser d’abord sur le plan professionnel. «Diriger une entreprise et élever des enfants a comporté pour nous de nombreux défis. Je sais donc ce que représente la conciliation travail-famille. Les jeunes aujourd’hui en ont conscience et peuvent prendre un peu plus de temps pour s’y préparer.»
Claudette est soulagée que sa petite-fille puisse exercer un métier qui soit à la mesure de son talent et de ses aspirations. «Pour nous, le chemin était souvent tracé, se rappelle-t-elle. Mais pour eux, le choix est tellement vaste.» Mieux ou pas? «Peu importe la voie qu’on choisit, le marché de l’emploi n’est pas facile, répond Élise. J’ai l’impression qu’à une certaine époque, si on aimait un art ou un sport, ça devenait un passe-temps auquel on s’adonnait dans nos temps libres après le travail. Tandis que nous, on s’est fait dire qu’on pouvait tout faire en même temps, à la fois travailler et réaliser nos rêves. En vérité, les choses ne sont pas aussi simples que ça.»
Feu vert à la solidarité
La première des six petits-enfants de Claudette (celle-ci deviendra par ailleurs arrière-grand-mère en avril) a aussi été la première de la famille à entreprendre des études à l’université. C’est dire que lorsqu’elle a participé à la grève étudiante québécoise en 2012, ça discutait fort quand elle visitait les siens à Sherbrooke! «Ils ne percevaient pas les conflits étudiants de la même façon que moi, se souvient Élise. Mais quand j’ai apporté un carré rouge à ma grand-mère, elle s’est mise à le porter.» De quelle façon Claudette percevait-elle sa petite-fille militante? «Avec admiration! Bien sûr, j’étais craintive à cause de ce qui pouvait se passer lors des manifestations, mais je l’applaudissais de vouloir foncer et défendre ses idées. J’ai compris que c’était important pour elle et pour tous les étudiants qui allaient suivre.»
Claudette demeure-t-elle optimiste quant à l’avenir de ses petits-enfants? «Oui, et ce malgré mon inquiétude devant les fusillades qui se multiplient dans le monde et la présence moins que souhaitable du nouveau président des États-Unis. Au-delà de ces aspects négatifs, je vois tout ce dont mes petits-enfants sont capables et ça, ça me remplit de fierté et ça me rassure.»
Monique et Frédérique, 77 et 13 ans
Photo: Charles Briand
Malgré leur différence d’âge, l’ancienne prof de philo et l’ado hyper allumée se comprennent et se respectent. Comme elles habitent toutes deux à Saint-Bruno, elles se retrouvent avec bonheur pour parler de livres, une passion commune. «Ma grand-mère me réserve toujours un accueil chaleureux parmi ses bibliothèques remplies à craquer», témoigne Frédérique. Celle qui est grand-maman huit fois partage aussi avec sa petite-fille la ferme conviction qu’on peut réussir sa vie, peu importe la génération à laquelle on appartient.
Un cran plus vite
Dans sa jeunesse, Monique devait se battre pour s’approprier l’unique téléphone de la maisonnée («pour parler des heures avec ma meilleure amie!») et correspondre avec des connaissances lointaines par lettres. Pour sa part, Frédérique connaît plutôt une enfance marquée par l’apparition du téléphone intelligent, de Skype et de YouTube. «Tant mieux si ça progresse, lance la doyenne. Moi-même, j’apprécie énormément ma tablette!» Par contre, elle se passerait bien des réseaux sociaux. «Avec eux, c’est plus difficile d’échapper à l’envahissement des autres.» Sa petite-fille, internaute futée à qui le web sert surtout d’outil de recherche, est d’accord: «Le jugement des autres et le harcèlement sont une source de stress importante, que le réseautage peut renforcer.»
Malgré ce bémol, être un jeune aujourd’hui, «c’est drôlement excitant, s’exclame Monique. Ils ont le monde l’autre bord de la rue!» Comble de l’ironie toutefois, Frédérique n’est pas intéressée tant que ça par l’actualité: «Même si je fréquente une école internationale, dont le but est de favoriser l’ouverture sur le monde, dans les faits, nos enseignants n’ont pas l’occasion de nous parler de ces choses-là, étant donné le temps nécessaire pour les matières obligatoires.»
Monique opine du bonnet: tout bouge à la vitesse grand V pour les jeunes, qui n’ont pas souvent, à son avis, le loisir de simplement rêvasser. «Frédérique a un agenda de premier ministre. À son âge, j’étais moins occupée qu’elle.» La principale intéressée, pour sa part, ne se plaint pas d’être prise par les études, le patinage artistique et le scoutisme. «Du moment que je peux parfois profiter d’une journée pédagogique pour aller dévorer mon dernier bouquin chez ma grand-mère.»
Vent de changement
Selon Monique, les jeunes d’aujourd’hui sont-ils plus libres de se réaliser? «Oh oui!» répond-elle avec conviction. En même temps, la grand-maman reconnaît que leur épanouissement comporte des défis. «Ils auront à subir des pressions professionnelles sans doute plus fortes que celles que nous avons vécues, dans la mesure où, de nos jours, on considère qu’il est plus intéressant et plus important de travailler et de gagner sa vie que d’avoir les enfants.» Pour elle, c’était l’inverse. «J’angoissais à l’idée de ne pas pouvoir m’accomplir en tant que mère sans être obligée de rester à la maison. Heureusement, nous avons fait un progrès extraordinaire en ce sens. Et nos jeunes en feront d’autres aussi, j’en suis convaincue.» Même si elle n’est pas directement concernée pour l’instant, Frédérique est d’accord là-dessus: «Pas question de revenir en arrière et de perdre les acquis chèrement gagnés par des femmes telles que ma grand-mère!»
Face à ce monde en constante évolution, Monique souhaite que ses petits-enfants jouissent d’une grande ouverture d’esprit et qu’ils soient en paix avec les décisions qu’ils prendront. «Qu’ils vivent sans culpabilité, dans le respect des autres et dans l’accomplissement de soi.» Entendre sa petite-fille s’insurger contre les stéréotypes la rassure sur ce point: les jeunes ont le cœur à la bonne place. «Ils ont d’autres combats que les nôtres, mais j’ai confiance en eux.»
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