Autrefois, on disait qu’il ne fallait jamais demander son âge à une dame. C’était impoli. De nos jours, cette pudeur n’existe plus. On risque tous de se faire poser la question, et ce, plus d’une fois. À 20, 30 et même 40 ans, c’est facile d’y répondre. Après la cinquantaine, et plus encore après la soixantaine, notre rapport avec l’âge change. Souvent, on commence à éprouver un certain malaise à divulguer l’année de notre naissance. Et si plusieurs la dévoilent du bout des lèvres, d’autres choisissent carrément de la trafiquer ou de la taire.
Ainsi, peu de gens connaissent l’âge véritable de Micheline. «Je ne révèle jamais mon âge, dit-elle. Lorsque quelqu’un aborde la question, je fais comme si je n’avais pas entendu et je fais dévier la conversation sur un autre sujet.» Orphelin et enfant unique, Paul berne tout le monde. «Au début de la cinquantaine, j’ai développé une peur de vieillir… et de perdre mon emploi, avoue-t-il. L’entreprise venait d’engager plusieurs jeunes et je craignais de ne plus être dans le coup. Je ne voulais surtout pas être étiqueté de “vieux”. Alors, j’ai commencé à mentir sur mon âge. Je sais bien que je vieillis quand même, mais c’est plus fort que moi.» Constat semblable du côté d’ Anne. «Je vais jusqu’à refuser d’être fêtée pour ne pas avoir à répondre à l’inévitable question sur mon âge», précise-t-elle.
Cacher son âge n’est pas anodin
Ce déni du passage du temps est rarement anodin. Petite coquetterie, assurément. Mais il y a plus. Ce pieux mensonge traduit souvent un profond malaise, conscient ou non. «De nos jours, on note un grand inconfort par rapport au vieillissement, constate la psychologue Stéphanie Léonard. Déjà, à partir de la quarantaine, les femmes – mais aussi de plus en plus d’hommes – deviennent particulièrement soucieuses de leur apparence. Et plus elles vieillissent, plus elles ressentent la pression du corps parfait et de la jeunesse associée à la réussite professionnelle et sociale. L’estime de soi est encore largement basée sur ces critères. Comme si le fait de vieillir était quelque chose de péjoratif, d’anormal. Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi certaines personnes refusent de vieillir et choisissent de ne pas dévoiler leur âge.»
Mais le désir de rester jeune physiquement n’explique pas tout. Pour certains, vieillir est aussi associé à la crainte de perdre leur pouvoir de séduction, de ne plus être aimés, d’être jugés en fonction de leur âge plutôt que de leurs compétences, de voir le regard des autres changer ou encore de perdre des amitiés plus jeunes. En réalité, ils projettent leurs craintes sur les autres, croyant, à tort ou à raison, que ces derniers pensent comme eux.
Selon le psychologue Camillo Zacchia, si certaines personnes mentent pour influencer la perception des autres à leur sujet, elles le font aussi parfois pour modifier inconsciemment la perception qu’elles ont d’elles-mêmes. Comme si le fait de ne pas dévoiler leur âge constituait une forme de protection contre le vieillissement et ses aspects plus sombres comme la maladie, la perte d’autonomie, la vulnérabilité et le début de la fin. Il arrive qu’une telle attitude soit profondément ancrée. Louise a longtemps menti sur son âge: «Je me refusais d’entrer dans la soixantaine. Je suis donc restée une éternelle quinquagénaire, jusqu’à ce que j’en découvre la raison, lors d’une thérapie. Mes parents sont tous les deux décédés au début de la soixantaine. Inconsciemment, je refusais de franchir ce cap de peur de mourir, à mon tour, à cet âge.» L’avènement des médias sociaux, où il est facile de trafiquer son âge, contribue aussi au phénomène. Le geste est jugé de plus en plus banal, même chez les jeunes. C’est tout dire.
Comment rétablir la vérité au sujet de son âge?
On le sait fort bien: même en décidant de garder pour soi le nombre de ses années, les chiffres du compteur continuent à tourner, qu’on le veuille ou non.
«Notre âge fait partie de notre identité, rappelle Stéphanie Léonard. En le niant ou en le truquant, c’est comme si on effaçait une partie de soi. Puis ce n’est pas si simple de mentir sur son âge. Il faut faire preuve d’une vigilance de tous les instants pour entretenir le mystère. Par exemple, il ne faut surtout pas révéler l’âge de ses frères et soeurs si on ne veut pas qu’un petit futé découvre, par déduction, le pot aux roses. On ne doit pas non plus donner d’indices en racontant des événements du passé. Il faut aussi se rappeler à qui on a dit quoi. C’est stressant! D’autant que les gens ne sont pas dupes.
Généralement, l’entourage sait que la personne ment sur son âge, ce qui peut donner lieu à des moqueries ou même à une perte de confiance envers elle. Dissimuler son nombre d’années? Ce n’est pas avantageux non plus. Trop souvent les spéculations se font à notre détriment.»
Au lieu de taire votre âge ou de faire croire que vous avez 50 ans au lieu de vos 60 ans bien comptés, pourquoi ne pas montrer qu’à 60 ans on peut être beau, plein de vie et de projets? «Aussi étrange que cela puisse paraître, une fois que j’ai décidé de faire le saut et d’avouer mon âge réel, ça m’a fait un bien fou, avoue Louise. C’est très libérateur de s’assumer.»
Cinq trucs pour arriver à dire et à mieux accepter son âge
Posez-vous les bonnes questions
Pourquoi vieillir est-il pour moi une réalité difficile à affronter? Y répondre est un premier pas vers l’acceptation.
N’évitez pas le sujet
Lisez des livres, des articles au sujet de l’âge, et discutez-en avec les gens autour de vous afin de connaître leurs opinions. Nommez votre malaise: il prendra automatiquement moins de place. «En disant simplement que vous avez un blocage à ce propos, déjà, vous enlevez une énorme pression et vous ouvrez la porte à la discussion», souligne Camillo Zacchia. En fait, plus vous en parlerez, plus vous apprivoiserez le sujet, plus vous serez en mesure de comprendre votre malaise et plus vous vous approcherez du moment où vous serez capable de dire ce que vous tentiez de cacher.
Cultivez l’estime de vous-même
Rappelez-vous que la vraie beauté est affaire de charme, de charisme, de présence, d’énergie, d’aisance, de bien-être, de façon de penser et de percevoir les choses, bien plus que de perfection plastique, fragile et éphémère. Pour se libérer des diktats et prendre votre place, cultivez votre propre estime en considérant notamment vos réalisations, vos qualités et vos forces. Certaines lectures, et parfois même une thérapie, pourront vous aider à faire la paix avec votre corps.
Découvrez les bons côtés de l’âge
En vieillissant, on se connaît mieux, on a moins de choses à prouver, on dispose de plus de temps, on profite plus des plaisirs de la vie, on est plus expérimenté et plus sûr de soi, on est plus à l’écoute des autres, etc. Acceptez vos limites et profitez le plus possible de ce que la vie vous offre. Puis mettez de l’humour dans votre existence. Il aide à dédramatiser toutes les situations, même celles qui sont liées à l’âge.
Affichez fièrement vos couleurs
«On éprouve un réel sentiment d’authenticité à dire: “J’ai tel âge. Voilà où j’en suis!” fait remarquer Stéphanie Léonard. En fait, ce n’est pas l’âge qui repousse les gens, mais notre personnalité ou notre façon d’aborder la vie. On est jugé en fonction de ce que l’on est plutôt qu’en fonction de notre âge.»
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