Les nouveaux rituels funéraires

Les nouveaux rituels funéraires

Par Simon Diotte

Crédit photo: iStock

Si la fin de la vie est inévitable, les rituels qui l’entourent, eux, ne sont pas immuables. Voici un tour d’horizon des tendances de plus en plus écolos dans l’univers des funérailles, de l’exposition jusqu’à la disposition des corps.

Jusqu’aux années 2000, on soulignait la mort d’un proche à peu près de la même façon qu’un demi-siècle plus tôt, avec une longue période d’exposition, suivie d’une messe à l’église et d’un cortège funèbre se dirigeant vers le cimetière où avait lieu l’enterrement. Et les funérailles se concluaient généralement par un buffet.

Au cours des dernières années, les rituels entourant la mort se sont transformés. «La grande majorité des funérailles, de l’exposition au buffet en passant par la cérémonie, ont lieu dans la même salle ou à l’intérieur du même complexe funéraire. Et de moins en moins de gens se rendent à l’église ou font appel à un prêtre», constate Mathieu Houle, thanatologue de formation et directeur général de la Coopérative funéraire du Grand Montréal, dont le père et le grand-père travaillaient dans l’industrie des salons funéraires.

La personnalisation du rituel

À propos des rituels, qui englobent l’exposition du corps et la cérémonie hommage, il y a désormais bien plus qu’une seule formule standardisée. «On est à l’ère de la personnalisation des funérailles, affirme Annie Saint-Pierre, directrice générale de la Corporation des thanatologues du Québec (CTQ). Les gens veulent des cérémonies à l’image des défunts.»

La salle d’exposition se personnalise en fonction de la personne décédée. Si le regretté père de famille était un pêcheur invétéré, les proches apportent sa canne à pêche au salon. Les couronnes de fleurs laissent maintenant la place à différents objets, souvenirs, etc. «Côté trame musicale, on passe de Ginette Reno aux Cowboys fringants», constate Mathieu Houle. Les pièces classiques ne sont plus la norme.

L’atmosphère aussi change du tout au tout. «Autrefois, on pleurait la mort, alors qu’aujourd’hui, on célèbre la vie de la personne décédée», explique Annie Saint-Pierre. Cette ambiance plus festive se reflète durant la réception post-cérémonie. Alors que les mariages se raréfient et que les funérailles se multiplient en raison du vieillissement de la population, ce repas acquiert une importance nouvelle. «Pour les familles, il s’agit d’une des rares occasions de se réunir. De plus en plus de gens accordent davantage d’attention à ce moment plutôt qu’à la cérémonie d’adieu», ajoute Mme Saint-Pierre.

En mode écolo

Une fois la cérémonie funéraire terminée, que fait-on avec la dépouille? Autrefois, l’inhumation était la norme et se passait au cimetière de la paroisse, dans un lot familial. Avant 1963, l’Église catholique n’autorisait pas la crémation, alors considérée comme une pratique païenne, rappelle Mélanie Huneault dans son mémoire de maîtrise à l’Université de Sherbrooke portant sur la réduction de l’empreinte écolo- gique des funérailles. Un demi-siècle plus tard, les habitudes ont changé: selon la CTQ, 82% des Québécois avaient opté en 2022 pour la crémation, contre 3% en 1970.

Le taux de crémation est même plus élevé au Québec qu’au Canada, où il se chiffre à 75% (incluant le Québec) et qu’aux États-Unis, sous la barre des 60%, selon l’Association nord-américaine de la crémation. Toutefois, l’incinération suscite des questionnements en lien avec son impact environnemental. Il en va de même pour l’embaumement et l’inhumation. «Les gens sont en quête de solutions plus écologiques», affirme Patrice Chavegros, vice-président développement et marketing chez Athos Services Commémoratifs, qui regroupe 30 complexes de pompes funèbres, incluant les bannières Lépine Cloutier et Memoria. Toutefois, mourir sans impact environnemental n’est pas simple. Voici un aperçu de ces enjeux.

Crémation

Les fours crématoires carburent au gaz naturel, dont la combustion génère des émissions de CO2 contribuant au réchauffement climatique. Selon le Guide de la coopérative funéraire écoresponsable, de la Fédération des coopératives funéraires du Québec (FCFQ), ce procédé émet jusqu’à 730 kg de CO2 dans l’atmosphère. Une analyse du cycle de vie menée par les services funéraires de la Ville de Paris évalue toutefois la quantité de GES à 233 kg, soit l’équivalent de rouler 1124 km dans une voiture intermédiaire. «Par contre, de plus en plus de salons funéraires possèdent des fours crématoires de nouvelle génération, qui consomment jusqu’à 50% moins de gaz naturel que les anciens», soutient Annie Saint-Pierre.

Autre problème des crématoriums: les rejets de polluants atmosphériques potentiellement nocifs, comme des dioxines, du mercure et des matières particulaires fines. Heureusement, des systèmes de filtration font leur entrée dans les crématoriums, réduisant ces émanations toxiques. Certains salons funéraires chauffent leurs locaux avec la chaleur générée par la crémation, diminuant leurs besoins en énergie et réduisant du coup leur impact environnemental.

Inhumation

Bien avant d’avoir recours à la crémation, l’immense majorité des Québécois procédaient à l’inhumation, soit l’enterrement de la dépouille dans un cercueil. Or, cette pratique affecte elle aussi l’environnement. Selon le Guide de la coopérative funéraire écoresponsable, l’inhumation génère 126 kg de CO2. D’autres études mentionnent qu’elle serait encore plus polluante que la crémation, avec des rejets de 833 kg de CO2 dans l’atmosphère, selon une analyse menée par les services funéraires de la Ville de Paris. Cette étude comptabilise également l’entretien du cimetière.

L’embaumement, qui précède généralement l’enterrement après une exposition au salon funéraire, utilise des produits chimiques afin de retarder la décomposition du corps. Et ces produits s’accumulent dans le sol au moment de l’enterrement. Voilà le dernier legs de la personne enterrée.

Des solutions moins polluantes

Est-il possible d’être écologique jusqu’à la mort? Oui, car de nouvelles options moins nocives pour l’environnement font leur apparition. En voici deux.

Aquamation

Connue sous le nom scientifique d’«hydrolyse alcaline», l’aquamation utilise l’eau alcaline, chauffée à 96 degrés Celsius, afin de dissoudre le corps. À la fin du processus qui s’étale sur plusieurs heures, la dépouille se transforme en eau. Le liquide, qui ne contient plus aucun tissu humain, est rejeté dans les égouts. La beauté de la chose, c’est que cette dissolution génère peu de gaz à effet de serre.

Autre avantage: l’aquamation ne dégage pas de contaminants toxiques dans l’atmosphère. «Puisque le squelette résiste à cette crémation sans feu, il est réduit en poussière et remis aux familles dans une urne, comme à la suite d’une crémation», mentionne Éric Le Sieur, président du Complexe funéraire Le Sieur, à Granby. Cette entreprise est la seule à proposer l’aquamation au Québec. Avis aux intéressés: elle dessert la province dans son entièreté. 

Humusation

«Car tu es poussière, et tu retourneras à la poussière», peut-on lire dans la Bible. Épousant ce grand retour aux sources, c’est justement ce que propose l’humusation: transformer la dépouille en compost humain. Pour l’instant, le Québec interdit ce procédé naturel, mais six États américains l’autorisent déjà.

À cet égard, diverses méthodes sont utilisées. Par exemple, l’entreprise américaine Recompose entrepose le corps dans un cylindre en acier. L’action des bactéries transforme la dépouille en compost durant une période de trois à sept semaines. En Belgique, la Fondation Métamorphose enveloppe plutôt le corps dans un linceul biodégradable déposé à la surface de la terre dans un lit de paille ou de copeaux. La décomposition se fait en 12 mois.

Mais quelle que soit la méthode employée, il en résulte un mètre cube de compost humain. Les proches peuvent le récupérer dans une urne ou l’utiliser comme engrais afin de perpétuer le cycle de la vie.

Avantages écologiques du compostage: il requiert peu d’énergie, favorise la régénération des sols, ne pollue pas les eaux souterraines et émet une quantité minime de GES. «C’est probablement la méthode de disposition du futur», affirme Patrice Chavegros, qui s’y intéresse beaucoup. Peut-être la meilleure façon de décarboner la mort.

Les cimetières se verdissent

Fini, le gazon vert manucuré et les rangées de pierres tombales: les lieux de repos éternel prennent désormais le virage écologique. «Les cimetières ne sont plus aménagés pour les morts, mais pour les vivants. Ils deviennent des lieux de contact avec la nature», souligne Patrice Chavegros, dont le Groupe Athos Services Commémoratifs possède cinq cimetières à Montréal et Québec.

L’ouverture en 2009 des Sentiers commémoratifs de la rivière, à Prévost dans les Laurentides, a lancé la tendance verte au Québec, explique Mélanie Huneault dans son mémoire de maîtrise. Ce lieu ressemble davantage à un parc naturel qu’à un cimetière traditionnel. On n’y enterre que des urnes cinéraires et l’aménagement paysager se compose de plantes indigènes. Depuis, cette façon de faire s’enracine de plus en plus dans la Belle Province. «On veut accélérer la tendance, car la clientèle y est de plus en plus sensible», dit Patrice Chavegros.

Autre exemple: au Jardin des mémoires, à Laval, les proches dispersent les cendres du défunt au pied d’un arbre ou d’un rosier, ou encore les dissolvent dans une fontaine. «Une gravure sur une stèle, sur le pavé ou un banc souligne la mémoire du disparu», explique Aurélie Vasseur, directrice du marketing chez Athos Services Commémoratifs.

La vague verte déferle aussi dans des cimetières ancestraux. C’est le cas au cimetière Notre-Dame-des- Neiges, au cœur de Montréal, qui a ouvert l’espace Boisé du souvenir, où les proches enterrent les cendres du défunt sous un arbre, qui fait office de pierre tombale. Un monument commémoratif porte les noms des morts avec un numéro identifiant leur arbre. Une belle façon de s’engager pour la planète après son passage sur terre.

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