Comment pardonner à ses parents?

Comment pardonner à ses parents?

Par Linda Priestley

Crédit photo: iStock Photo

Même à notre âge, on peut encore souffrir de nos maux d’enfant. Conseils et témoignages pour nous aider à faire la paix avec notre passé… et à grandir.

Il n’est pas facile de cesser d’en vouloir à un parent envers lequel on nourrit une vieille rancune. Anne-Marie en sait quelque chose. «Ma mère a été très égoïste et manipulatrice tout au long de sa vie, se souvient la quinquagénaire. Cela me rongeait, mais j’ignorais comment apaiser le ressentiment que son comportement suscitait en moi.» Pardonner aveuglément, ignorer la situation, couper les ponts? Anne-Marie était déchirée, ne sachant quel chemin emprunter. «Je rêvais de m’affranchir de son emprise, mais, en même temps, je l’aimais et j’aspirais à la réconciliation entre nous. Et surtout, à 56 ans, je souhaitais devenir enfin une adulte!»

Autopsie de nos bobos d’enfance

Pourquoi des blessures survenues il y a longtemps ont-elles le don de nous faire nous sentir tout petit dans nos souliers, même quand on est rendu à l’âge adulte? Selon Josée Jacques, psychologue, si elles nous marquent au fer rouge, c’est parce qu’elles ont contribué à former notre personnalité. «Un enfant élevé par un parent manipulateur et, par conséquent, privé d’affection pourrait s’avérer incapable d’exprimer ses besoins, n’ayant jamais été encouragé à le faire», cite-t-elle en exemple. Même quand on est grand, ces blessures ont un impact sur notre comportement. «J’avais tellement peur qu’on profite de moi, comme ma mère l’a fait pour servir ses propres desseins, que je rejetais parfois des gens qui, pourtant, ne nourrissaient aucune mauvaise intention à mon égard», confie Anne-Marie. 

Selon le psychologue américain Jeffrey Young, expert en psychothérapie cognitivo-comportementale et auteur du livre La thérapie des schémas, il existe six principaux schémas selon lesquels peuvent se produire des blessures de l’enfance:

1 Parent absent

Qu’il s’agisse d’une séparation, d’une mort ou d’un désintérêt, cette absence peut induire en nous la crainte d’être abandonné, la peur de s’engager sur le plan amoureux ou encore des sentiments de jalousie et de possessivité envers notre partenaire.

2 Parent agresseur

Si on a subi de la violence psychologique ou physique (inceste, agression, harcèlement, manipulation) durant l’enfance, on risque de devenir un adulte porté à la méfiance, qui redoute qu’on profite de lui ou qui accepte d’être maltraité parce qu’il croit le mériter. 

3 Parent indifférent

On reste longtemps marqué par le peu d’affection et d’empathie qu’on a reçu quand on était jeune. «Ceux qui en ont souffert gardent cette impression d’être peu aimés de leurs parents, observe Mme Jacques. Parce qu’on ne les a pas encouragés à exprimer leurs besoins ni leurs émotions, ils sont peu enclins à se montrer vulnérables et cherchent à se distancer des autres.»

4 Parent surprotecteur ou négligent

Dans les deux cas, on développe difficilement notre sens de l’autonomie. «Les personnes surprotégées ou négligées deviennent incapables de fonctionner seules, ont peur des défis, tendent à dépendre encore de leurs parents ou de leur conjoint ou amis.» 

5 Parent exigeant

Avec lui, on sent que la barre est haute! «L’enfant d’un parent insatisfait conserve l’impression qu’il doit répondre à des critères précis s’il veut être aimé, décrit la psychologue. Cela le pousse à devenir un adulte qui est toujours dans « le besoin de faire » et n’arrive jamais à jouir de sa réussite, ayant toujours l’impression que ce n’est jamais assez.» 

6 Parent exclu

De par ses origines, son orientation sexuelle, son statut social et économique, un parent peut se sentir différent ou inférieur aux autres. «Il peut transmettre cette blessure à son enfant qui, à son tour, va éprouver un sentiment d’exclusion ou d’infériorité. Ce qui le pousse à rester en marge, n’osant pas prendre sa place, et à éviter les groupes où il se sent étranger.»

D’enfant blessé à adulte épanoui

Comment parvient-on à guérir l’enfant blessé qui sommeille en nous? Selon Josée Jacques, qui applique dans sa pratique la thérapie du changement et de l’acceptation, les gestes concrets suivants peuvent nous aider à nous défaire des boulets d’antan:

S’observer

On prend le temps de se regarder, de voir qui nous sommes et d’analyser nos agissements. 

Identifier les rabat-joie

On reconnaît le mal qui nous a été fait et ses conséquences. Par exemple, le fait de se retrouver constamment dans une relation avec un partenaire abusif pourrait découler d’une enfance où sévissait la violence. Même si on se sent très coupable de le faire, on exprime ce qui nous pèse par rapport à nos parents, soit par écrit, soit en se confiant à quelqu’un. On se libère ainsi d’un lourd fardeau. 

Se fixer un but

Souhaite-t-on prendre notre place, accepter de ne pas être parfait, cesser de nous sentir en manque, faire davantage confiance à notre partenaire? «À nous de définir nos objectifs et les façons de les réaliser», explique la psychologue.

Passer à l’action

On pose des gestes concrets, en nous concentrant sur le présent et l’avenir, et non le passé. «Ruminer ou regretter celui-ci ne sert qu’à nous éloigner de la personne que nous souhaitons être.» Envie, par exemple, d’être plus extraverti? Dans ce cas, on surmonte notre peur d’être à la merci des autres en prenant la parole plus souvent. Désir de se sentir moins exclu? On se lance et on s’inscrit à une activité, même si on se sent inférieur ou différent des autres.

Excuser pour mieux avancer

Pour favoriser notre épanouissement, gagne-t-on à pardonner? «Tout dépend de ce que ce mot évoque pour nous, répond Josée Jacques. Pour certains, ça veut dire oublier. Or, oublier ou nier ne règle pas nos problèmes.» Quand le parent en question est toujours de ce monde, a-t-on intérêt à lui parler de nos peines? «L’exercice peut s’avérer apaisant ou, au contraire, très décevant. Si le parent n’a pas de recul sur sa situation ou n’a pas fait un travail sur lui-même, il ne sera pas en mesure de nous donner ce qui nous manque. On retire davantage de bienfaits si on nomme nos désirs et qu’on se concentre à les réaliser, tout en acceptant les limites de l’autre. Le travail de pardonner peut ne pas forcément passer par le parent.» Ainsi, avant d’accéder à la tranquillité d’esprit, Anne-Marie a fait la paix avec sa mère. «Je voulais tant gagner son respect, puis j’ai compris que je devais d’abord me respecter moi-même. Si je ne peux accomplir certaines tâches qu’elle souhaite m’imposer, je refuse net. Et même si elle joue les martyrs, je tiens mon bout. À force d’écouter mes besoins, je n’ai plus l’impression d’être à sa merci et je me sens même plus proche d’elle.» Si le parent est décédé, impossible de faire la paix avec lui… «Mais on peut quand même lui parler ou encore lui écrire une lettre, puis ensuite enterrer ou détruire celle-ci, encourage la psychologue. Ce qui compte, c’est de nommer le mal afin de nous en libérer.»

Apprendre du passé

Peut-on ressentir la douleur d’une grand-mère dépressive ou d’un arrière-grand-père colérique? «Il y a parfois dans les familles des non-dits, des choses qui n’ont pas été terminées ou réparées, de petits déséquilibres qu’on porte par loyauté envers notre clan, observe Véronique Hérent, facilitatrice en constellation familiale. Notre but alors est de forger notre propre destin, sans nous couper du passé, mais en utilisant plutôt les ressources que celui-ci met à notre disposition.» 

Une personne qui souhaite se libérer d’une souffrance transmise de génération en génération pourrait choisir de s’inscrire à un atelier en constellation où des participants joueront chacun le rôle d’un membre de sa famille. «Ce travail en psychogénéalogie permet à la personne de comprendre ce qui bloque, qu’il s’agisse d’une dépression, d’une maladie ou d’un manque de confiance, explique Mme Hérent. À partir de ce jeu de rôle, elle change son regard sur les choses, prend conscience de cet héritage, accepte le passé, remet à l’autre ce qui lui appartient, mais assume la responsabilité de ses propres souffrances. Elle fait en sorte que cela devienne une force et favorise ainsi une meilleure circulation de la vie et de l’amour au sein de sa lignée.»

Doit-on forcément couper les liens avec les membres de notre famille trop blessants? «Même si, dans certains cas, une coupure drastique est une question de survie, elle peut, dans d’autres cas, signifier que la personne qui nous a fait mal détient encore un pouvoir sur nous, nuance Mme Jacques. Mais si on peut faire preuve d’empathie envers un parent qui a lui-même souffert ou accepter qu’il ne soit jamais capable de répondre à nos besoins, on peut maintenir la relation, tout en demeurant dans l’observation de nous-même. Cela montre alors qu’on a grandi.» 

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