À propos d’un sujet chaud, il arrive qu’on ne soit pas du même avis qu’un ami, un frère ou une cousine. Heureusement, la relation qu’on entretient avec eux n’est pas perdue pour autant.
Qu’il s’agisse de convictions politiques, de positions sur des enjeux comme le racisme, la peine de mort, l’avortement, la vaccination, ou encore de désaccords sur la façon d’élever des enfants ou de mener sa vie, des divergences d’opinion surgissent dans la vaste majorité des relations d’amitié. Parfois au point de les mettre en péril. Comment gérer ça? Tour d’horizon.
Maudite pandémie
Pour beaucoup d’entre nous, la COVID-19 et ses corollaires – mesures sanitaires, confinement, vaccination – ont mis à mal certaines de nos relations. C’est le cas de Suzanne, 76 ans, amie avec Agathe depuis 45 ans, qui préfère taire leurs noms de famille. «Juste avant la pandémie, sa fille aînée est retournée vivre chez elle, emportant dans ses valises ses théories complotistes, raconte Suzanne. Malheureusement, ma grande amie s’est laissé influencer et a fait fi de toutes les consignes, puis a refusé le vaccin. Ça me choque beaucoup, parce que j’ai moi-même fait d’énormes sacrifices, comme bien du monde: je n’ai pas pu serrer mes petits-enfants dans mes bras pendant un an et demi, j’ai été isolée chez moi et j’ai dû parler à mes enfants par Skype. Agathe et moi, on se téléphone de temps à autre, mais on ne se voit plus depuis. Ça m’attriste et je me demande si notre amitié peut revenir à ce qu’elle était avant.»
Trois raisons
Avant de prendre la décision de mettre fin à une amitié, il faut d’abord comprendre ce qui la compromet. «Trois raisons principales font qu’un conflit d’opinions peut nous heurter au plus profond de nous-même: les valeurs, la personnalité et l’histoire de la relation, explique la Dre Jocelyne Bounader, psychologue clinicienne. Plus on a d’expérience de vie, plus on se connaît, nous-même et nos valeurs. Il est rare de découvrir de nouvelles valeurs chez des amis de longue date, sauf quand on n’a jamais eu à vivre des situations dans lesquelles nos valeurs sont en opposition, et la pandémie en est une.
Ensuite, il y a des personnalités plus souples, ouvertes, et d’autres qui voient tout en noir et blanc, ce qui est un terrain très fertile aux conflits. En ce qui concerne l’histoire de l’amitié, il peut arriver qu’un seul événement constitue la raison pour laquelle on cesse de parler à quelqu’un, mais encore une fois, c’est très rare. Il faut que ce soit grave, une trahison, par exemple. Souvent, c’est le vase qui déborde. On accumule, on éprouve du ressentiment, et puis arrive la goutte de trop.»
Gérer les divergences d’opinion
On connaît tous ce scénario: la conversation dévie sur un sujet controversé, les esprits s’échauffent, le ton monte, puis le conflit éclate… laissant parfois des traces indélébiles. Voici quelques clés pour mieux naviguer à travers ces situations.
Accepter qu’un sujet soit délicat pour nous.
«C’est la première chose à faire, prendre conscience que ça nous ébranle de ne pas être d’accord avec l’autre sur quelque chose d’aussi important pour nous. Ça procure un certain soulagement: je ne suis pas folle, je n’exagère pas, c’est simplement important pour moi», souligne Gabrielle Desjardins, thérapeute en relation d’aide (TRA) et coach en communication relationnelle.
Se détacher du résultat.
«Par exemple, celui de convaincre l’autre, poursuit Mme Desjardins, car on entre alors dans le débat de qui a raison, qui a tort, et on fait le contraire de créer une connexion. On devrait plutôt tenter de voir si on est capable d’écouter l’autre dans une posture de curiosité. D’entendre son point de vue sans avoir l’impression qu’il nous attaque. De prendre un pas de recul.» À ce sujet, Jocelyne Bounader renchérit: «À partir du moment où l’un des deux veut avoir raison, on n’est plus une équipe, on devient des adversaires. À la longue, c’est plus cette attitude que l’enjeu lui-même qui nuira à la relation.»
Nommer notre malaise.
«On explique sincèrement comment on vit la situation, sans pointer l’autre du doigt, conseille la psychologue. Par exemple, pourquoi c’est difficile pour moi de voir mon ami faire ce choix ou avoir cette opinion.» Ainsi, Suzanne pourrait dire à son amie Agathe qu’elle ne se sent pas à l’aise de la voir en personne parce qu’elle n’est pas vaccinée, en s’abstenant toutefois de la traiter d’égoïste qui fait fi du bien-être collectif.
Établir nos limites.
Si on n’en n’est pas à notre première discussion animée sur le même sujet, on pourrait carrément décider de l’éviter. «On ne vit pas dans une société où on a appris à se donner de l’importance, à imposer nos limites, car c’est vu comme de l’égoïsme, commente Gabrielle Desjardins. On a peur de blesser l’autre, de le décevoir ou d’être rejeté. Mais on peut très bien demander à notre ami s’il est d’accord pour qu’on n’aborde plus tel ou tel sujet puisqu’on ne s’entend pas là-dessus. Ou, si on est dans un party de famille, on peut dire: “Je ne suis pas à l’aise dans cette conversation, je vais aller jaser avec ma tante ou prendre une marche”, ou encore: “Je ne me sens pas super bien ce soir, peut-on parler de quelque chose de moins polarisant?”»
Contenir nos émotions.
C’est simple: quand on laisse nos émotions parler, on peut en arriver à prononcer des mots qui outrepassent notre pensée et qu’on regrettera, une fois calmé. «Il faut rester conscient de la façon dont se déroule l’échange. Si on sent la colère monter, on peut prendre une pause et convenir de reprendre la conversation une autre fois, quand les deux personnes seront en état de s’écouter, car c’est ça, l’objectif», rappelle Jocelyne Bounader. De son côté, Gabrielle Desjardins fait remarquer que les émotions nous empêchent souvent de demeurer rationnel et en confiance. «Je recommande de se trouver un espace – que ce soit seul ou accompagné d’un psychologue, d’un thérapeute ou d’un ami – pour se donner de l’auto-empathie, pour se légitimer, accorder de l’importance à ce qui compte pour nous. On se sentira alors plus éclairé, plus solide, et quand ça devient plus intense à l’intérieur de nous, on sera mieux en mesure d’affirmer nos limites.»
Quand faut-il couper le cordon?
Tout d’abord, une introspection est de mise. On doit se poser certaines questions pour déterminer si la seule issue est de renoncer à cette relation d’amitié. «On peut se demander ce qui est réparable, ce qui ne l’est pas, et pourquoi. Est-ce réparable parce que j’ai peur de ne plus avoir d’amies si je perds celle-là? On est alors dans la dépendance. Est-ce réparable parce que cette personne a été là pour moi dans les moments plus difficiles? On est alors dans la loyauté, la confiance. C’est important de comprendre ce qui nous motive à poursuivre – ou pas – la relation», indique Jocelyne Bounader.
Dans le cas de Suzanne, elle reconnaît qu’Agathe l’a épaulée après le décès de son mari et qu’elle-même l’a soutenue quand son amie a divorcé de son conjoint aux prises avec un problème de jeu compulsif. Cela dit, il faut pondérer: le fait qu’Agathe refuse de se faire vacciner justifie-t-il à lui seul la fin d’une amitié de 45 ans ou si d’autres sources d’irritation sont en cause? «Suzanne pourrait poursuivre cette relation amicale parce qu’elle a toujours pu compter sur Agathe et rester en contact avec elle en respectant ses propres limites, c’est-à-dire sans la voir en personne, suggère la psychologue. Mais si Suzanne a accumulé plusieurs autres frustrations, il se peut que son amitié avec Agathe ne tienne pas le coup.»
Rupture difficile
En amitié, les ruptures sont aussi difficiles à vivre que les séparations amoureuses, car elles impliquent un deuil. «Est-il plus pénible de rester dans une amitié souffrante que de vivre le deuil de cette amitié? La relation nous importe-t-elle davantage que notre différend? La personne concernée est la seule à connaître les réponses», estime pour sa part Gabrielle Desjardins.
Il faut donc examiner la place de cette amitié dans notre vie, la qualité de notre relation, ce qu’on ressent en présence de cet ami, puis déterminer si on est capable de vivre avec nos valeurs en opposition. Dans le cas où on décide de poursuivre la relation, on doit garder en tête qu’elle sera plus facile à rebâtir si la volonté émane des deux parties.
«Il y aura plus de travail à faire si on n’a pas réussi à se parler avec ouverture, respect, compréhension, empathie… ou qu’on s’est envoyés promener. Mais quand les deux personnes ont la même intention, soit de reconstruire le lien, la réparation devient possible. Chacune doit prendre sa part de responsabilité quant à son comportement durant le conflit et à l’incidence de celui-ci. Ça signifie, par exemple, de pouvoir dire: “Je reconnais que tu as pu te sentir jugée à cause de la façon dont je t’ai parlé, et j’en suis désolée.” Mais il faut alors éviter de reproduire le comportement en question, parce que, si on s’excuse tout le temps mais qu’on ne change pas, ça brise le lien de confiance», prévient Gabrielle Desjardins.
Finalement, gardons en tête qu’avec les divergences d’opinions vient souvent un deuil bénéfique à toute relation: celui d’être d’accord sur tout.
5 comportements à proscrire
Pour éviter de jeter encore plus d’huile sur le feu.
1. Le blâme.
2. L’attaque.
3. La critique.
4. La condescendance.
5. Le jugement.
«Tout cela empêche de dialoguer, coupe court à la possibilité de comprendre l’autre et met l’amitié à l’épreuve», estime la psychologue Jocelyne Bounader.
Un gros merci pour ces textes qui mettent de la lumière sur nos problématiques quotidiennes.
J’apprécie grandement…
Bonne journée 🌞
Mon épouse a vécu tous les comportements à proscrire de la part de son frère lors du règlement de succession de ses parents alors qu’elle faisait office d’exécutrice testamentaire. Celui-ci n’a tout simplement pas digéré la distribution des biens en conformité avec les volontés de leurs parents. Il lui a dit : C’est terminé… Terminé par la même occasion ma relation d’amitié avec ce frère qui était mon ami avant de devenir mon beau-frère.