Sonia Benezra: rencontre avec une proche aimante

Sonia Benezra: rencontre avec une proche aimante

Par Caroline Fortin

Elle rêvait d’être comédienne, elle est plutôt devenue une animatrice légendaire, qui a su se tailler une place durable dans le cœur du public. En attendant un éventuel retour au petit écran, elle tient depuis cinq ans un des rôles les plus exigeants de sa vie: «proche aimante» pour sa mère, Perla, 93 ans. Nous en avons discuté avec cette femme aussi généreuse que fascinante.

 

Sonia, en quoi le rôle de proche aidante est-il pour vous un privilège?

Oh my God, la liste est longue! Mais principalement, je dirais que jamais je n’aurais pu imaginer être un jour si près de ma mère. Ça me fait réaliser que j’aurais aimé passer plus de temps avec elle avant. Avec mes trois sœurs, nous sommes une famille tissée serré, alors, bien sûr, on se voyait souvent, mais jamais comme présentement. J’en profite à fond! J’ose lui poser des questions que je n’avais jamais osé lui poser sur son passé, ses premières amours… Je la découvre sous un autre angle.

 

Vous dites d’ailleurs qu’elle est plus sereine aujourd’hui qu’il y a 20 ans…

Oui, et c’est une chance, parce que ça nous facilite la tâche. Ma mère a vécu des épreuves: deux cancers, un bête accident. Elle se déplace maintenant en fauteuil roulant, elle vit avec le diabète et elle est dépendante pour tout: aller à la salle de bain, au lit… Ça a changé sa vie et la nôtre. Ma sœur Esther et moi prenons la relève le soir et les fins de semaine chez elle; durant la semaine, on a une aide professionnelle. J’ai vu ma mère travailler très fort dans des manufactures sur la rue Chabanel, puis aller à l’école le soir pour devenir designer, et malgré tout, on avait toujours un repas chaud sur la table. Aujourd’hui, j’observe chez elle un certain lâcher-prise; elle est joyeuse, elle accepte sa nouvelle réalité et ça me bouleverse. Quand Esther ou moi arrivons, elle est tellement heureuse, on dirait qu’elle ne nous a pas vues depuis des semaines! (rires) Alors, comment ne pas être contente de prendre soin de quelqu’un qui te regarde avec autant d’amour?

 

Que trouvez-vous le plus difficile?

Je ne mentirai pas, c’est une énorme tâche. Il y a des journées plus difficiles que d’autres. J’ai développé beaucoup d’anxiété. Le soir, dans mon lit, j’imagine tout ce qui peut arriver… ce n’est pas sain. Chaque fois qu’il y a des petits soucis avec sa santé, j’ai un nœud dans l’estomac. Aussi, je me suis retirée de mon cercle d’amis, parce que je ne veux pas mettre tout ce stress sur eux, même s’ils disent que ça ne les dérange pas. Je leur parle, mais je les vois moins souvent et, Dieu merci, ils comprennent ma situation. Prendre soin de quelqu’un demande beaucoup d’énergie, alors je n’en ai plus assez pour tout faire.

 

Que change ce rapport inversé dans le lien mère-fille?

Des fois, je me sens comme sa maman. Et je le lui dis! Elle me répond: «Oui, tu l’es, ma chérie, je sais!» Elle se sent mal, elle trouve qu’elle nous donne de l’ouvrage. Quand on prend soin d’un enfant, on l’accompagne dans la joie vers l’autonomie, tandis que quand on s’occupe d’un parent vieillissant, on l’accompagne vers la perte d’autonomie, c’est toute la différence. On apprend aussi beaucoup sur soi-même, et je n’aime pas toujours ce que je découvre. Quand je me vois dans le miroir chez ma mère, je me dis que cette fille n’a rien à voir avec celle qui apparaît à la télé. Ce sont deux extrêmes et j’aime les deux. Travailler m’oblige à prendre soin de moi, à me coiffer, à me maquiller, à m’habiller. Et c’est bien, parce qu’on peut facilement se perdre et s’oublier dans notre rôle de proche aidant. C’est un réel danger.

 

Qu’aimez-vous faire ensemble, votre mère et vous?

Regarder des vieux films en noir et blanc. Je suis maniaque de Bette Davis, Olivia de Havilland, Joan Crawford… Je l’installe avec du popcorn, ses arachides. Je dois lui expliquer beaucoup de choses parce qu’elle ne voit plus très bien. Mais elle est rendue aussi accro que moi! On aime beaucoup jouer aux cartes. Je l’appelle madame Casino! Aussi, on écoute de la musique tous les soirs: Piaf, Aznavour, Dassin, Lionel Richie, Marvin Gaye.

 

On se souvient de votre passage remarqué à Bonsoir bonsoir! l’automne dernier, alors que vous avez cité Gregory Charles. En gros, il disait que les proches aidants ne se donnent pas le droit de se plaindre. Vous accordez-vous ce droit?

Ah oui! Je le fais, mais je ressens beaucoup de culpabilité quand je me plains. C’est très judéo-chrétien, tout ça! Je l’assume, mais j’essaie de travailler là-dessus. On a le droit de dire qu’on n’en peut plus, qu’on est épuisée, qu’on a mal au dos. Juste le verbaliser, ça fait du bien. Le lendemain, ça va mieux.

 

Comment faites-vous pour préserver votre santé mentale?

Qui vous dit que je préserve ma santé mentale? (rires) La vérité, c’est qu’il y a des jours où je ne sais plus si je suis capable de continuer, où je me questionne beaucoup. Présentement, je suis dans une période plus joyeuse, mais parfois, je suis pessimiste, je ne me sens pas moi-même, je suis déprimée. Depuis que je prends soin de ma mère, j’ai la larme plus facile et imprévisible.

 

Votre père, Albert, est décédé quand vous aviez 17 ans. Vous étiez avec lui lorsqu’il a prononcé ses dernières paroles avant de sombrer dans le coma: «Je n’ai pas peur, tu ne dois pas avoir peur.» Ces mots ont-ils changé votre perception de la mort?

Non. J’en ai toujours peur. Je voudrais pouvoir dire que j’ai une foi extraordinaire qui me rassure… Ma sœur Esther est plus croyante que moi. Je le suis, mais à temps partiel. Pourtant, dans mon âme, je pense qu’il y a quelque chose après, je le souhaite. Mais j’ai peur de la mort des gens que j’aime, pas de la mienne. Après celle de ma mère, je crois que je devrai prendre une pause et me soigner. Je suis certaine que c’est la même chose pour la majorité des proches aidants; notre ADN change, on devient soignant du jour au lendemain. J’ai beaucoup de compassion pour les gens qui le font, mais je comprends ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas le faire.

 

Que représente pour vous l’émission Benezra reçoit, diffusée à Crea TV?

L’objectif était de redonner leurs lettres de noblesse aux aînés, qu’ils soient connus ou non. J’ai reçu par exemple Lise Watier, Patrick Normand, Jean-Pierre Coallier, mais aussi un homme qui est sorti du placard sur le tard, une sœur, une docteure. J’ai toujours voulu faire un show qui mêle célébrités et gens ordinaires. J’aurais bien aimé faire une troisième saison, mais la vie est imprévisible… J’ai hâte de voir où elle va m’amener!

 

Qu’est-ce que la Sonia d’aujourd’hui a qu’elle n’avait pas il y a 30 ans?

L’expérience! Et ça, ça ne s’achète pas, ça s’acquiert seulement avec le temps. Malheureusement, quand on a de l’expérience aujourd’hui à la télé, ça veut juste dire qu’on est rendue vieille. Et on s’imagine que, parce qu’on vieillit, on ne s’intéresse plus à la nouveauté. Pourtant, j’adore découvrir la relève, j’en ai déjà fait partie! Qui décide que je ne suis plus actuelle? À l’inverse, je n’ai plus la naïveté de mes débuts, celle qui permet de croire que la majorité des gens sont bons. Je suis plus lucide, et ce n’est pas toujours agréable. Aussi, j’ai enfin réalisé que c’est correct de dire non. Avant, je disais oui à tout et j’étais épuisée. Il y a cinq ans, je n’affirmais pas haut et fort que j’étais proche aidante, de peur que ça m’enlève du travail. Mais c’est fou! On ne doit pas mettre de côté les proches aidants. Nos gouvernements ont d’ailleurs encore beaucoup à faire pour les reconnaître et les soutenir.

 

En rafale

Ce qui vous fait rire

Ma mère. Je n’avais jamais connu ce côté d’elle, la voir faire des jokes. Elle me fait rire aux éclats.

Ce qui vous enrage

La façon dont on traite nos aînés.

Ce à quoi vous ne pouvez résister

Mes nièces et neveux, qui sont adultes maintenant. Et aussi un steak, une salade et un bon verre de vin!

Ce qu’on ignore de vous

Que je suis très drôle. Mes amis me disent toujours que je pourrais faire du stand-up. Mais il faut être capable de rire de sa propre vie, et je ne suis pas encore rendue là. Peut-être un jour…

Ce que vos parents vous ont transmis

L’intégrité. La compassion. L’entraide. Le sens de la famille.

Votre plus grande fierté

Avoir pu gagner ma vie dans ma troisième langue, le français.

Votre plus grande leçon de vie

Il faut vivre sa vie en sachant qu’on n’en a qu’une, et ne pas remettre les choses à plus tard.

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