Pierre Bruneau: fidèle au rendez-vous

Pierre Bruneau: fidèle au rendez-vous

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Laurence Labat

Il accompagne l’heure du souper de centaines de milliers de téléspectateurs depuis plus de 40 ans. Dans sa captivante biographie, Même heure même poste, Pierre Bruneau déroule le fil des événements qui ont marqué sa carrière et sa vie personnelle éprouvée. La retraite? Pas tout de suite pour lui! 

Un quart de siècle après que vos collègues vous ont abonné au Bel Âge pour «souligner» vos 40 ans, tel que relaté dans votre livre, vous voici en train de nous accorder une entrevue… [sourire] En feuilletant ce numéro, j’étais tombé sur un encadré qui a attiré mon attention: «Les 5 règles du bonheur». Eh bien, je me les répète encore aujourd’hui! [NDLR: 1. Libère ton cœur de la haine. 2. Libère ton esprit des inquiétudes. 3. Vis simplement. 4. Donne plus. 5. Attends moins.]

Vous racontez aussi que vous auriez souhaité devenir acteur, mais que votre victoire à un concours d’art oratoire vous a plutôt fait débuter à la radio. Croyez-vous au destin? Je n’y crois pas… Je fais confiance, au jour le jour, à ce qui m’arrive. Je me rends compte que tout ce qu’on reporte, on ne le fait pas. Je suis souvent passé devant l’École nationale de théâtre, rue Saint-Denis, en pensant m’y inscrire un jour: je ne l’ai jamais fait. Quand j’ai quitté Trois-Rivières et mes études en psychologie pour venir m’installer à Montréal, j’ai pensé les poursuivre plus tard: je n’y suis jamais retourné. Dans la vie, on traverse le pont une fois rendu. Ma mère disait que j’étais né sous une bonne étoile; moi, je dis que je suis un privilégié, parce que chaque occasion a toujours été plus belle que ce à quoi je m’attendais. 

Dans la vingtaine, d’habitude, on commence à bâtir sa carrière. Mais vous, vous avez démarré en lion: marié et animateur à CKAC à 21 ans, premier enfant à 23 ans, chef d’antenne à Télé-Métropole à 24 ans… Ma femme et moi avons eu des parents très âgés. Mon père avait 50 ans quand je suis venu au monde, et ma mère, 46. Le père de Ginette en avait 48 et sa mère, 44. Alors je me suis dit que je n’attendrais pas à 30 ans pour me marier, comme mon père. Côté travail, des gens extrêmement critiques envers eux-mêmes se disent qu’ils vont acquérir de l’expérience avant de se lancer. Moi, je pensais plutôt: «S’ils viennent me chercher, c’est qu’ils me font confiance!»

Avez-vous le sentiment de ne pas avoir eu de jeunesse? Non, ça ne m’a jamais préoccupé. Je suis parti de la maison à 13 ans pour devenir pensionnaire. J’ai eu un fun énorme avec mes camarades. Mais quand les responsabilités sont arrivées, avec les enfants et surtout la maladie de mon fils Charles, là, j’ai bien sûr pris conscience que j’étais passé dans le monde adulte. On était neuf garçons chez nous et ma mère – solide comme un roc – gérait tous les problèmes. J’ai réalisé que, quand on devient parent, on l’est pour toujours. Et puis, j’ai quand même pu faire ce à quoi j’aspirais. J’ai eu droit aux meilleures écoles, parce qu’on apprenait sur le tas, dans les stations de radio. CKAC, c’était le numéro un en information. J’ai eu les meilleurs mentors: Jacques Proulx, Yves Létourneau, Jacques Morency. Quand Télé-Métropole m’a proposé le poste de chef d’antenne, beaucoup étaient sceptiques, car le réseau n’avait pas encore établi sa crédibilité en information. Mais moi, j’y voyais une formidable opportunité! Ma femme me dit toujours que j’ai une grande confiance en moi. Certes, mais je reste humble, en misant sur mon propre talent: durant toute ma carrière, je n’ai jamais tassé personne pour prendre sa place. La porte s’ouvrait, et j’y entrais. 

Quand votre fils Charles a survécu à son premier cancer, vous avez posé un geste rare à l’époque pour un jeune homme de 27 ans en pleine ascension: vous avez informé le grand patron de Télé-Métropole que vous alliez ralentir le rythme parce que votre famille avait besoin de vous, puis vous avez démissionné de CKAC. C’était un choix que je devais faire, ma famille étant ma plus grande responsabilité. Aujourd’hui, les familles qui subissent ce genre d’épreuve reçoivent beaucoup d’aide. À l’époque, on n’avait aucun encadrement, il n’existait aucune association, ni pour elles ni pour les enfants. On ne parlait même pas de cancer, mais de grave ou longue maladie. Alors, je venais quand même au boulot tous les jours, mais je n’avais pas d’énergie pour développer ceci ou cela en plus. Je devais lever le pied de l’accélérateur. Et on m’a écouté. 

Sans la maladie de votre fils, vous dites que vous ne seriez pas devenu l’homme que vous êtes aujourd’hui… J’aurais été plus carriériste et individualiste, sans aucun doute. Mais la maladie m’a rappelé la fragilité de la vie, qui peut faire en sorte que nos enfants partent avant nous, ce qui est un non-sens. Charles a formé ce que je suis devenu. Aussi, tout de suite après son décès, il y a eu la tragédie de Polytechnique. Je ne pouvais pas me dissocier de cet événement tragique, où 14 mères et 14 pères venaient d’apprendre que leur fille avait été tuée pour rien. À travers le deuil de ces gens-là, j’avais l’impression de revivre le mien. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris mon rôle comme animateur de bulletin de nouvelles: celui d’être un filtre entre les événements et les téléspectateurs, un filtre qui permet de montrer que je partage leurs émotions. 

Vous racontez, dans des pages très émouvantes, ce qui a été le fondement de votre engagement social, soit le pacte que vous avez conclu avec Charles lors de sa dernière hospitalisation: faire de la lutte contre le cancer pédiatrique une mission de vie. Continuer à vous battre à sa place. Ce moteur vous a-t-il aidé à ne pas sombrer? C’est vrai que ça m’a permis de canaliser toutes mes pensées négatives et ma douleur. Et de voir dans les yeux des enfants cette même volonté de se battre a agi comme un puissant stimulant. J’aimerais un jour fermer la Fondation Charles-Bruneau parce qu’on aura trouvé comment guérir tous les enfants. Mais il reste encore beaucoup de chemin à faire… Mon engagement demeure prenant, motivant, emballant et, surtout, plein d’espoir. 

Vous parlez aussi de la longue reconstruction que votre fils Jean-Sébastien a dû entreprendre après son traumatisme crânien, et du fait que votre femme a mis sa carrière de côté pour la faire avec lui… En avez-vous voulu à la vie de vous infliger ce nouveau coup dur? On n’a pas tellement eu le temps de réagir; c’est arrivé 13 mois après le décès de Charles. On s’est alors dit que, même si on s’apitoyait sur notre sort, Jean-Sébastien avait besoin de toute notre énergie. Ginette a été remarquable. Elle m’a permis d’accompagner Charles vers la mort, et elle a accompagné Jean-Sébastien dans son retour à la vie. Ça nous a soudés l’un à l’autre. Ne pas chercher de coupables, mais des solutions, a été un leitmotiv dans notre vie.

Vous êtes chef d’antenne à TVA depuis 43 ans. Craignez-vous de perdre tout cet amour du public lorsque vous prendrez votre retraite? D’abord, ce n’est pas pour tout de suite, la retraite! (rires) Et puis non, car la véritable drogue, et il y en a une, c’est ce privilège d’être aux commandes d’un bulletin de nouvelles. Les réactions et témoignages du public me stimulent, évidemment, mais je ne crains pas l’après.

Dans votre livre, vous dévoilez avoir récemment combattu un cancer de la vessie, puis une récidive. Pourquoi n’en avoir jamais parlé avant? J’ai mis ce passage loin dans le livre, et il est très court! Je vivais une rechute, et je me suis dit que, s’il m’arrivait quelque chose, j’aurais l’air fou de ne pas en avoir parlé. Comment peut-on m’estimer crédible si je ne suis pas capable d’aborder mon propre état de santé dans ma biographie? J’ai donc choisi de le faire. Mais c’est un cancer qui se traite bien, même si j’ai eu une récidive. Je suis suivi tous les trois mois en immunothérapie, pour refaire mon système immunitaire. 

Ce n’est pas donné à tout le monde de trouver l’amour de sa vie. Qu’est-ce qui explique votre lien si solide avec Ginette? On a vécu les mêmes situations familiales, on avait les mêmes rêves et on a toujours été très près l’un de l’autre, mais la maladie de Charles nous a encore rapprochés. Quand Jean-Sébastien a eu son accident, on lui a acheté un chien dans un objectif de zoothérapie. Mais qui le promenait? Nous deux! Depuis 1992, on marche ensemble, tous les soirs, pendant deux heures... pluie, neige, verglas, peu importe! C’est le moment où on se raconte nos journées, où on discute de tout. Ensuite, quand on pose la tête sur l’oreiller, tout est réglé. Je lui ai toujours apporté son café le matin, ce n’est jamais devenu machinal. On est vraiment bien ensemble. On n’a pas des goûts coûteux, mais on voyage beaucoup. On investit dans notre relation avant tout. 

Que voulez-vous transmettre à vos cinq petits-enfants? Au lancement de ma biographie, Madeleine, notre aînée, a dit: «Tu nous as transmis comme valeur l’importance du travail bien fait.» J’aimerais aussi leur montrer qu’on ne réussit pas toujours par soi-même, mais avec les autres et pour les autres. Le message que je veux leur laisser, c’est: «Trouve le bonheur, sois toi-même et va au bout de tes rêves.»

Vous avez déjà répondu à une ado malade, inquiète de se voir «oubliée» après son départ: «Lorsqu’on meurt, notre âme éclate en mille parcelles, et lorsque quelqu’un pense à nous, on revient au monde.» C’est magnifique… Je lui avais demandé si elle croyait qu’on a une âme. Elle a répondu oui et je lui ai confié que moi aussi. J’y ai beaucoup pensé quand Charles est mort. Je me disais: «Ce n’est pas vrai qu’on creuse une fosse, qu’on y place la tombe et que ça se termine là.» J’ai essayé de saisir comment Charles revenait en nous, et c’est là que j’ai commencé à réfléchir à l’âme. Ma mère disait souvent, après la mort de mon frère, qu’elle le «sentait». Je sentais Charles et, quand ma mère est partie, je la sentais aussi. Je me demandais pourquoi on ressentait ainsi la présence de nos défunts, pourquoi on pensait à eux à des moments précis… Et c’est là que m’est venue l’idée de cette phrase.

En rafale

Ce qu’on serait surpris d’apprendre à votre sujet et qui ne figure pas dans votre bio (rires) Rien, j’ai tout dit! 

Un plaisir coupable La bouffe.

Un livre qui vous a marqué L’équilibre du monde, de Rohinton Mistry. 

Le plus beau pays que vous avez visité Il y en a de drôlement beaux! J’aime beaucoup l’Italie. Mais l’Inde m’a frappé, dépaysé, fasciné.

Regardez-vous autre chose que les infos à la télé? Pas tellement. (Sourire) Un peu de hockey.

Votre forme d’art préférée Les arts visuels: toiles, sculptures… J’en rapporte de presque tous mes voyages.

Ce qui vous fait rire Les gens qui achètent des billets de loto. On a 13 fois plus de risques de mourir assassiné que de gagner le million!

Ce qui vous enrage Quand les gens sont imbus d’eux-mêmes et que ça entraîne une non-productivité au travail. Toute ma vie, j’ai travaillé fort. Pour réussir, il faut travailler fort, et il faut le faire en équipe. 

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