Michèle Deslauriers et Caroline Dhavernas: Le talent de mère en fille

Michèle Deslauriers et Caroline Dhavernas: Le talent de mère en fille

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Marjorie Guindon

Conversation avec deux grandes comédiennes à la connivence palpable

Caroline, vous avez vu votre mère jouer depuis que vous êtes petite. Elle vous a impressionnée dans certains rôles ? 

Caroline C’est clair. Les gens me parlent toujours d’elle, et elle est d’une modestie sans nom. Elle fait des imitations incroyables. Même Julie Snyder m’a dit qu’elle l’avait écoutée dans À la semaine prochaine parce que ses propres enfants ont insisté tellement ils la trouvaient pareille. Toute mon enfance, j’ai regardé ce qu’elle faisait: Samedi de rire, CTYVON, Rira bien… et puis Passe-Partout, je veux dire, elle faisait Ti-Brin!  

Michèle Je l’amenais sur les plateaux, elle voyait Pierre Régimbald manipuler les marionnettes. Pour elle, tous les parents étaient à la télévision. À la garderie, elle a demandé à un petit gars: «Toi, ta mère, elle joue dans quoi? Moi, ma mère, c’est Ti-Brin.» Et lui de répondre: «Non, c’est pas ta mère!» La chicane avait pogné! 

Caroline Donc, c’est pour ça que je suis devenue comédienne. Parce que je pensais qu’il n’y avait pas d’autres métiers dans la vie! 

Quand vous avez commencé dans le métier, vous avez vite fait comprendre à votre mère que vous ne vouliez pas de ses conseils! 

Caroline Dans une scène de Marilyn, série dans laquelle on jouait ensemble, je devais avoir de l’argent dans les mains. Et ma mère a vu que je ne le tenais pas assez haut pour qu’il apparaisse dans le cadre, alors elle est venue me dire comment faire. Après, dans la loge, je l’ai chicanée! Je lui ai demandé de ne plus jamais me donner de conseils devant les autres. Je voulais que ce soit le réalisateur qui le fasse. Mais c’était génial de travailler ensemble et de partager une loge. 

Michèle Lorsqu’elle nous a annoncé qu’elle voulait faire ce métier, après son premier film, à 11 ans, je savais qu’il y aurait des moments difficiles. Pour Marilyn, son père et moi étions inquiets, parce que, contrairement à un film, une série peut durer un, deux, trois ans. Elle ne pouvait pas dire tel jour que ça ne lui tentait pas de tourner. Un soir, il est 18h50, on a une scène de discussion animée, et elle doit arriver à la fin et dire une phrase, en pleurs. Quelqu’un se trompe, on reprend. Et là, certains acteurs lancent qu’ils doivent quitter à 19h parce qu’ils jouent au théâtre. La tension monte. Il est 18h56, tout va bien, puis Caroline s’enfarge dans sa réplique. Tout le monde se plaint devant elle. C’est une enfant, mais les adultes s’en foutent! Je la vois ébranlée. On reprend, on finit à temps. Mais dans la loge, elle se met à pleurer. Et je lui dis: «C’est exactement de ce genre de moments que je voulais te protéger.»  

Caroline C’est pour ça que les parents qui poussent leurs jeunes enfants à faire ce métier doivent savoir que ce n’est pas un jeu, c’est du travail. Il faut être bien accompagné parce qu’il y a une réelle pression. Et un autre danger, c’est de prendre l’attention que tu reçois pour de l’amour. Il ne faut pas tout mélanger, parce que tu peux te bâtir une confiance sur un château de cartes. 

Michèle, vous avez travaillé à Paris. Caroline a déménagé très tôt aux États-Unis pour percer. C’était dans votre nature d’explorer d’autres terrains de jeu? 

Michèle Après le Conservatoire, j’ai obtenu des bourses pour aller à Paris. J’y suis restée deux ans, mes affaires allaient bien, j’aurais pu rester.  

Caroline Tu es revenue parce que tu voulais être près de ta famille? 

Michèle Oh mon dieu, oui, ma mère a quasiment fait une dépression. Mon père l’avait même envoyée en Europe pour qu’elle vérifie que je n’étais pas en train de me faire assassiner! Elle a découvert la France, l’Italie. Elle a vu que c’était du monde respectable.  

Caroline Quand je suis partie aux États-Unis, je ne me suis pas exilée. D’abord, j’ai choisi New York et non Los Angeles parce que c’était plus proche de Montréal et que je ne me sentais pas bien à L.A. Je pouvais prendre le bus et retourner chez nous. Je ne me suis jamais vue non plus changer de citoyenneté ni ne plus avoir de liens avec le Québec. Je suis trop attachée à ma langue, à ma culture, à ma famille, à mes amis. Je n’étais pas prête à mettre mon bonheur de côté pour être carriériste. J’avais 21 ans, et découvrir New York à cet âge, c’est très excitant. 

Caroline, vous avez déjà dit, dans les années 2000, que vous n’aviez pas encore eu de rôle qui change une vie, comme Marie-Josée Croze avec Les invasions barbares...  

Caroline Et je n’en ai toujours pas obtenu à ce jour. La série Hannibal a fait qu’on me reconnaît un peu plus dans la culture américaine et canadienne-anglaise qu’avant. Mais ça pas été non plus un change-carrière comme pour Marie-Josée. Après Hannibal, le téléphone n’a pas plus sonné.  

Michèle Oui, mais tu as fait des choses tellement différentes, c’est ce qui m’impressionne dans ta carrière. Pour jouer la nageuse Marilyn Bell, elle s’est entraînée pendant un an. Tu avais des épaules musclées! 

Caroline Pas un an, quatre mois!  

Michèle Reste que tu t’investis tellement dans tes rôles. Quand tu as tourné dans La Baronesse, tu as observé les comportements de notre chien tout l’été, puis tu t’es transformée en bête. C’était hallucinant. Je ne voyais plus ma fille, mais un personnage. Dans la série Dre Mary : mort sur ordonnance, tu incarnes une autre femme ambiguë. Elle aime ce genre de rôle. 

Caroline C’est un personnage complexe, bourré de contradictions. Puis c’est ce qu’on aime jouer, souvent, parce que socialement, les contradictions sont moins bien acceptées. Puis là, tout à coup, tu peux plonger dedans et t’es payée pour le faire!  

Michèle Et puis, le film où tu fais la vendeuse de produits de beauté, là? 

Caroline Ah oui, Easy Living. Côté création, ça a été très cool à faire. On a commencé par une semaine d’improvisation, avec des gens qui avaient donné leur accord pour participer. On a été cogner à des portes dans des banlieues de New York, le caméraman était derrière moi, et quand les gens nous ouvraient, on partait la machine. Ils ne s’attendaient pas à ce que ça se passe comme ça ! Et comme je jouais une paumée, ce n’était pas grave si je ne savais pas ce que je racontais sur le maquillage. Le réalisateur s’en est servi pour ajuster son scénario, et moi, ça m’a permis d’entrer dans mon personnage. Merci de l’avoir regardé, maman. Je pense que c’est un des rôles dont je suis le plus fière. 

Quelle serait la plus grande leçon que vous avez apprise dans votre métier? 

Michèle Toutes les émotions qu’on vit dans nos personnages puis qu’on fait vivre au public, c’est la preuve que les gens ont besoin d’histoires pour oublier leur stress, leurs malheurs. Combien de témoignages j’ai reçus ! Ça me fait réaliser qu’on sert à quelque chose.  

Caroline C’est facile de penser que c’est un métier qui divertit, qu’on ne sauve pas des vies. Et c’est vrai. Mais aux funérailles de mon beau-père [NDLR : l’acteur Michel Côté], à la chapelle ardente, il y a eu des heures et des heures de témoignages du public. Ça m’a quasiment changée, parce que j’ai vu à quel point les gens avaient été profondément touchés par certains films, par l’homme qui incarnait tous ces personnages, parce qu’ils faisaient partie prenante de notre culture, de notre peuple. Et ça va jusque-là, ce métier-là, dans le fond. J’ai vu à quel point des films peuvent changer des vies, rapprocher un fils gay et son père, par exemple, comme l’a fait C.R.A.Z.Y. pour un jeune homme venu nous parler. 

Depuis que vous êtes mère, Caroline, qu’est-ce qui a changé dans votre relation avec Michèle? 

Caroline La maternité nous rapproche beaucoup, c’est sûr. Je réalise maintenant ce que mes parents ont donné, ce qu’on ne peut qu’imaginer avant de devenir parent à son tour. Je sais à quel point ma mère travaillait fort toute notre enfance, donc je sais l’énergie qui a manqué par moments, ce qu’elle a donné malgré ça. Je pense qu’on pardonne certaines choses aussi, parce que tous les enfants ont des reproches envers leurs parents. Puis je sais à quel point c’est impossible d’être parfait, car on est confronté à notre imperfection tous les jours comme parent. 

Michèle, comment diriez-vous que ça a évolué depuis?  

Michèle Ce qu’elle vient de dire, je l’ai ressenti aussi avec mes parents. Puis maintenant que je suis grand-mère, la transmission, la passation, ça me touche. Quand ma mère était très malade, avant de mourir, j’avais cette image en tête d’un bateau en mer, en pleine tempête, et je me sentais comme la femme à la proue. Après son départ, c’était moi qui fendais les eaux, moi qui étais responsable de mes deux filles.  

Caroline Quand mon beau-père est mort, ça m’a confrontée au fait qu’un jour vous ne seriez plus là. Et j’essayais de me mettre dans cet état, et je me disais: ça va être moi qui sera à la barre quand mes parents seront partis.  

Que voyez-vous en Françoise, la fille de Caroline? 

Michèle Cette enfant est l’incarnation de la liberté d’être. Quand elle avait deux ans, elle parlait déjà beaucoup. On était à table et elle dit: «Ok tout le monde, on se donne la main, on lève les bras, puis on dit: la viiiiiiee!» Elle nous a proposé ce jeu-là, d’honorer la vie en criant! Et on l’a gardé. Quand on a des réunions, on dit: «Est-ce qu’on fait la vie?»  

Quel est votre rapport au vieillissement? 

Caroline Comme comédienne, on est confrontées à l’image, au fait de se voir vieillir à l’écran devant tout le monde. Moi, j’ai la chance d’avoir un modèle de mère qui se donne le droit de vieillir naturellement. C’est mon idéal de beauté à moi. J’espère pouvoir continuer dans cette direction-là, mais je ne veux pas me mettre de pression. J’ai envie de pouvoir apprivoiser l’idée de la mort aussi, de ne pas la fuir, la craindre et la repousser à plus tard le plus possible. Aussi, professionnellement, je vis une transition. Je ne suis plus la jeune première. J’entendais une collègue à la radio dire qu’à 75 ans, elle ne voulait pas seulement jouer des femmes confuses à cause de la maladie. J’espère, moi aussi, que j’aurai encore des rôles stimulants rendue là.  

Michèle C’est peut-être ça, le prochain combat à mener. Les personnes plus âgées vivent tout plein de choses, incluant de la sexualité, et elles en ont le droit! 

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