Deux acteurs à la carrière remarquable. Deux amoureux comme au premier jour. Un couple actif qui vieillit en beauté. Rencontre avec les porte-parole de la Journée internationale des aînés.
Pourquoi avez-vous accepté d’être porte-parole de cet événement, qui a lieu le 1er octobre de chaque année?
Pierre: Parce qu’on se sent concernés. Ce mandat nous a été offert par la Conférence des Tables régionales de concertation des aînés du Québec. On ne connaissait pas cet ensemble d’organismes. Ils prennent le pouls des personnes âgées, des groupes com- munautaires qui s’en occupent et font des recommandations à la ministre responsable des Aînés. Avant d’accepter, j’ai voulu consulter leurs rapports. J’ai trouvé leurs recommandations très sensées, leur travail, efficace. Cette journée est l’occasion de réfléchir à la situation des aînés, qui n’est, bien sûr, pas la même pour tout le monde, et de garder cette question vivante dans l’actualité.
Marie: On parle beaucoup des femmes, de la communauté LGBTQ, des minorités visibles. Mais je pense que les grands oubliés dans notre société, ce sont les personnes âgées. Alors, qu’on les mette en valeur grâce à cette journée, je trouve ça important.
Quels enjeux vous touchent quant à la façon dont sont traités et perçus les aînés dans notre société?
Marie: Je crois qu’il faut redonner une place aux vieux, et surtout aux vieilles, parce que ce sont parmi les personnes les plus défavorisées dans notre société. Même dans mon métier, les vieilles sont absentes. On ne parle pas de la vieillesse des femmes d’une façon très positive. Moi, je voudrais dire que la vieillesse, ce n’est pas une perte. Au contraire, c’est une autre vision de l’humanité, de ce que tu es. J’aimerais qu’on redonne sa beauté à la vieillesse.
Pierre: L’enjeu qui me touche le plus, c’est l’isolement, la solitude des gens âgés. On est dans une société où il n’y a pas beaucoup de temps pour les aînés, pour toutes sortes de bonnes ou de mauvaises raisons. Il y en a qui sont seuls, puis il y en a qui sont seuls dans leur famille, aussi.
Vous qui avez été en politique, si vous étiez ministre responsable des Aînés, quel serait votre cheval de bataille?
Pierre: Ce serait d’abord le logement. Un logement abordable, décent, qui correspond aux revenus, souvent très faibles, des personnes âgées. Beaucoup d’entre elles seraient davantage autonomes si elles avaient accès à un tel toit, où elles pourraient aussi cultiver des liens sociaux. Puis, la solitude, c’est un problème, évidemment, mais une seule personne ne peut le régler.
Marie: Ça passe beaucoup par la communauté. On est venus s’installer à North Hatley et on constate que ça existe, ici. Je me suis blessée à vélo, je suis présentement limitée dans ma mobilité. Les gens viennent me porter des fleurs, un pâté chinois, chercher notre chienne pour la promener. Il y a une vraie vie de village. Si on pouvait transposer ça partout…
Pierre: On dit que ça prend un village pour élever un enfant. Eh bien, ça prend un village pour accompagner les personnes âgées!
Pierre, vous avez déjà dit qu’avant 70 ans, vous n’aviez pas conscience du vieillissement. Vous avez 78 ans, Marie, 75. Qu’est-ce que ça amène comme prise de conscience?
Pierre: Ça nous a amené des changements de vie. Au moment où on est entrés en confinement, en 2020.
Marie: Je pense que c’est là qu’on en a réellement pris conscience. Quand le premier ministre a dit que les personnes de 70 ans et plus devaient s’isoler. On était en pleine répétition pour Lysis au TNM. On était trois personnes âgées dans la distribution: France Castel, Pierre et moi. En chemin vers la maison, on s’est dit: «Heille, on est devenus des vieux.» Ç’a été un gros choc, franchement.
C’est ce qui vous a amenés à North Hatley?
Marie: On avait, entre autres choses, le goût de s’occuper de nous, de vivre autre chose.
Pierre: Marie avait un peu le sentiment d’être isolée, même si on était près de Mont-Saint-Hilaire. Alors, on a décidé de changer de maison. On est tombés sur celle-ci, et tout s’est enchaîné. Notre métier, on n’en a jamais fait le tour. Mais quand même, on le connaît bien, et les conditions de tournage ne se sont pas vraiment améliorées. On a la chance d’être privilégiés financièrement, alors on s’est permis de le délaisser tranquillement. De refuser des rôles.
Marie: Quand on t’offre une fois de jouer un personnage atteint d’Alzheimer, c’est intéressant. Mais quand c’est à peu près le seul genre de personnage qu’on te propose, ça le devient moins. D’incarner la vieillesse toujours de la même manière…
Pierre: Et quand tu te mets à refuser, tu te retrouves sur une voie parallèle. Tu n’es plus aussi hot que quelqu’un qui tourne beaucoup, qui a été du dernier succès, qui est toujours en vue. On en était conscients, et on l’accepte.
Vous savourez votre liberté.
Marie: Tout à fait. Ça fait du bien de ne pas être toujours en mode performance. Il m’arrive de ne pas bien dormir par- fois, pour diverses raisons. Le lendemain d’une mauvaise nuit, je paniquais parce que je savais que j’allais devoir performer en étant fatiguée. C’était ça qui m’angoissait tout le temps, de pas être à la hauteur. C’est formidable quand on a l’énergie, mais à un moment donné, ça commence à peser de vivre avec ce stress. Maintenant, mon temps m’appartient.
Comme votre carrière, votre couple est un exemple de constance. Dans le livre Les forces de l’âge, Pierre, vous attribuez le secret de votre longévité au jeu et à votre cellule familiale. Dix ans plus tard, vous avez toujours la même lecture?
Pierre: Oui, toujours. On a joué à être horticulteurs. On a joué beaucoup au tennis, et on joue encore quand on peut. On a toujours fait beaucoup d’activités ensemble.
Marie: On a les mêmes goûts. On aime le sport, la pêche. On a un côté ludique très fort. Mais on est aussi des solitaires, des solitaires ensemble. Chacun a sa liberté, on n’est pas prisonnier de l’autre. Tout ça fait qu’on est bien ensemble.
Les valeurs qui sous-tendent votre couple sont-elles les mêmes qui sont à la base de votre famille?
Marie: Oui, et notre famille, c’est notre grande réussite.
Pierre: On a suivi le parcours de bien des gens de notre génération: un premier couple, des enfants. Puis on s’est rencontrés, et on a créé une espèce d’unité familiale, qu’on aimait beaucoup et dont on prenait soin, tout en étant très occupés. A posteriori, on se rend compte que nos enfants se sont bien organisés ensemble. Ç’a formé un noyau – deux frères, une sœur – très solide. Et notre maison a toujours été le lieu de rassemblement.
Bien vieillir, pour vous, ça passe par quoi?
Pierre: Par la curiosité, si on la satisfait, bien sûr. On est tous les deux assez curieux. Marie est à suivre des cours d’anglais, j’apprends l’italien. Et le fait d’accepter des mandats comme porte-parole de la Journée internationale des aînés, ça nous amène ailleurs, à la rencontre des autres. Je crois que c’est ce genre d’activité, à la fois intellectuelle, sociale et dans notre cas physique, qui fait que pour le moment on n’est pas touchés par la maladie.
Marie: Je ne suis pas une intellectuelle. Pierre, c’est autre chose. Ce que j’aime, c’est bouger. Mon bonheur, c’est de marcher tous les matins. Ça fait vraiment partie de moi. Ici, il y a des paysages magnifiques, un lac qui change tous les jours. Ça nourrit l’esprit. Et il y a aussi le fait de demeurer à l’affût, de se tenir au courant.
Comment entrevoyez-vous la prochaine décennie?
Pierre: Comme une adaptation. C’est sûr qu’on va avoir d’autres limites. Et celle qui me fait le plus peur, c’est la mobilité. Tant qu’on est mobile, l’âge est relatif. Mais si on le devient moins… On va devoir s’adapter, déménager. Et on ne sera pas tout seuls parce que toute la génération va devoir s’adapter. Et le monde entier va devoir s’adapter aux changements climatiques. Alors, l’adaptation, c’est devenu une nouvelle valeur, je dirais. On ne peut pas rester tel qu’on a toujours été.
Apprivoise-t-on davantage l’idée de la mort quand il nous en reste moins devant, ou on n’y réfléchit pas?
Pierre: Ah, on y réfléchit! Il y a plein de pièges dans la réflexion au sujet de la mort. Un des plus dangereux, je pense, c’est de commencer à avoir des regrets sur ce qu’on aurait dû faire, ou ne pas faire. C’est difficile d’être serein par rapport à cette réflexion; parfois on n’y pense pas, d’autres fois, c’est dramatique. Vivre le moment présent, c’est un lieu commun, mais en même temps, ce n’est pas faux. Parfois, j’avance, d’autres fois, je regarde la nature, ou bien la vie, avec plus de soin, d’attention. Je suis très distrait, alors je peux passer à côté des fleurs sans jamais les voir. Marie, tu es plus spontanément dans la vie.
Marie: Ça vient sans doute du fait que j’ai été immobilisée dans ma petite enfance [à cause d’une dysplasie de la hanche]. Je m’émerveille facilement. Et je ne résiste pas à mon instinct. Je me laisse aller à la vie. Je ne pense pas trop à ce qui va arriver parce que peut-être que j’angoisserais. Mais on a quelque chose de semblable: la joie.
Merci à vous de savoir si bien dire et constater ce que beaucoup d’aînés pense merci 1 000 fois