Il est un des rares humains à avoir pu admirer la boule bleue de là-haut… ce qui ne l’empêche pas d’avoir les deux pieds bien sur terre! Nous avons attrapé David Saint-Jacques au vol alors à Houston, leur ville d’adoption au Texas.
Vous êtes revenu sur terre après une mission de 204 jours en orbite. L’espace vous manque-t-il? Oui et non. Si je ferme les yeux, je me retrouve dans la coupole de la Station spatiale, à regarder la terre. J’y retourne donc facilement en pensée, et ça, c’est une richesse. C’était une expérience extraordinaire, mais qui nous a demandé beaucoup de sacrifices, à ma famille et à moi. J’ai dû me préparer pendant trois ans à plusieurs endroits dans le monde. Alors, nos retrouvailles ont été tellement belles! Au fond, c’est comme demander à un alpiniste s’il retournerait au sommet de l’Everest…
En quoi consiste votre travail maintenant? Les deux premiers mois après mon retour, j’étais comme un rat de laboratoire, un sujet d’expériences médicales, jusqu’à ce que mon organisme revienne à son état normal. J’ai alors arrêté d’être intéressant pour les scientifiques. (rires) J’ai pu prendre des vacances. Ensuite s’est échelonnée une série de rencontres sur plusieurs mois avec les ingénieurs et planificateurs de mission pour leur transmettre mes recommandations. Ils sont des milliers d’ingénieurs, de gestionnaires et de scientifiques à s’occuper de la mission spatiale sans jamais être allés dans l’espace, qui demeure abstrait pour eux. L’expérience pratique des membres de l’équipage est donc cruciale. Aujourd’hui, je suis redevenu un membre du Bureau des astronautes comme les autres. Mes responsabilités ressemblent à celles d’un instructeur. Je travaille au centre de contrôle de mission, je participe à la planification des sorties spatiales, de la robotique, des missions à plus long terme.
Qu’est-ce que cette mission a changé dans votre façon de voir la vie? D’abord, ça a raffermi ma conscience de la fragilité de notre planète. C’est une chose d’en parler en théorie, mais c’en est une autre de voir la terre de ses propres yeux, aussi exposée dans le vide spatial, aussi belle et vivante, alors que tout le reste autour est inhabitable. Ça donne un peu le vertige de constater à quel point on en est dépendant. La terre est notre vaisseau spatial à tous, et ses ressources sont limitées. Par ailleurs, il y a ce côté très positif: le fait d’avoir participé à ce travail d’équipe international m’a convaincu comme père et comme citoyen qu’on est capables de relever tous ces défis devant nous. Il n’y a pas de limites à la capacité de l’esprit humain. Quand on se retrousse les manches et qu’on décide de mettre nos différences de côté – les pays impliqués dans la mission ne sont pas toujours les meilleurs amis sur le plan politique! – pour travailler ensemble, on est capables de faire des choses extrêmement difficiles. On le prouve au quotidien depuis des décennies. Je suis donc revenu sur terre très confiant à l’égard des capacités de l’humanité à relever les défis environnementaux, mais aussi très conscient de l’ampleur de la tâche.
Beaucoup d’enfants rêvent d’être astronautes, mais une infime minorité le deviennent. Vous avez étudié en génie, comme votre père et votre grand-père, puis en astrophysique et en médecine. Le moteur de ce parcours, c’était votre rêve d’enfant? C’est vrai que, quand j’étais petit, j’étais fasciné par l’espace. Pas forcément parce que je voulais devenir astronaute, mais plutôt pour l’incroyable perspective que ça m’a donné quand j’ai vu pour la première fois des photos de la terre, de constater que c’est là que je vis. L’espace est devenu pour moi une obsession, je voulais toujours en apprendre plus sur le monde autour de moi. La carrière d’astronaute est arrivée un peu par hasard, dans le sens où ce n’est pas nécessairement un objectif que je poursuivais. Je me suis trouvé au bon endroit au bon moment, avec la bonne formation. Le jour où j’ai été sélectionné par l’Agence spatiale canadienne, j’ai senti que j’avais de grands souliers à chausser. Il y a là des attentes énormes, de la part de tout le monde. Les astronautes sont tous conscients de ça et on s’entraide, parce qu’on nous en demande beaucoup et que les standards sont élevés.
Si l’appel de l’Agence n’était pas arrivé, vous auriez continué à pratiquer la médecine à Puvirnituq? Oui, j’étais très heureux dans ce rôle, à la fois de scientifique et d’explorateur. Il y a un côté très humain, très pratique, aussi, qui convenait à ma personnalité. Découvrir le Grand Nord québécois a été une aventure fantastique. C’est un autre pays, une autre culture, à l’intérieur de nos frontières.
Pourquoi vouliez-vous pratiquer en région éloignée? On se pose tous ces questions durant notre parcours en médecine: est-ce que je me spécialise ou si je reste généraliste? En ville ou en région? J’y avais beaucoup réfléchi, et ce que je désirais, c’était découvrir une autre culture et faire appel à une portion plus vaste de la médecine, ce qui est le cas en région isolée. On ne peut se permettre d’oublier quoi que ce soit, car on peut voir dans la même journée des enfants et des personnes âgées, un problème psychiatrique ou métabolique, une fracture, un accident… Avec les médecins, les superinfirmières, les interprètes, les premiers répondants, les pilotes de brousse et les ambulanciers, on travaille très étroitement. Ça m’a préparé au travail d’équipe en orbite d’une manière que je n’avais pas anticipée.
Il faut être dans une forme physique irréprochable pour partir en mission. Vous vous êtes entraîné avant et pendant votre mission. Maintenant que vous êtes de retour, vous permettez-vous des écarts? Je m’entraîne encore autant: je suis accro à l’exercice! Je me sens mieux dans ma tête et dans mon corps quand j’en fais. Mais ça m’a pris deux mois avant de me réhabituer à la gravité. Mes jambes étaient gonflées à cause de la circulation sanguine mal rajustée, j’avais des problèmes d’équilibre, je n’étais pas aussi agile. Ça m’a donc pris quelque temps avant de retourner sur un vélo, je trouvais ça trop impressionnant! (rires) Mentalement aussi, ça m’a pris un certain temps avant de me retrouver moi-même. J’étais abasourdi, comme quelqu’un qui sort d’un drôle de rêve et qui peine à revenir à la réalité.
Psychologiquement, qu’est-ce qui était le plus dur dans le fait de passer près de sept mois en orbite? Certaines journées étaient difficiles. On se demande si tous nos efforts et ceux qu’on exige de notre famille en valent la peine. Il faut donc donner un sens à ce qu’on vit. Dans ces moments-là, je m’installais dans la coupole, je regardais la terre et je me rappelais pourquoi j’étais là: la recherche scientifique, la collaboration internationale. Avoir une perspective globale aide à garder un sens. Aussi, je me forçais à rester concentré sur le moment présent, à bien faire ce que j’étais en train de faire en tout temps. Il y a même un graffiti à bord de la station spatiale qui dit: «Il n’y a rien de plus important que ce que tu fais maintenant.»
Un autre gros défi, c’était de se constituer un horaire quand le soleil se lève et se couche 16 fois par jour! Même si on vivait au temps moyen de Greenwich (GMT), c’est un peu abstrait de savoir où on en est rendu dans sa journée. C’est un peu comme en période de confinement: si on passe sa journée en pyjama, ça ne marchera pas. Il faut se donner une structure. On en a besoin comme humain. Aussi, il y a l’interaction avec les gens. Quand on passe tout son temps avec les mêmes personnes, il faut communiquer un peu plus que ce qu’on fait normalement, pour ne pas laisser les accrochages prendre de trop grosses proportions. En même temps, il faut savoir quand se taire, et respecter la bulle des autres. Tout le monde a besoin d’avoir du temps à soi. Quand chacun pense à autrui, ça se passe mieux que si chacun ne pense qu’à soi.
Pendant votre mission, vous vous installiez tous les jours dans la coupole, ce hublot qui donne une vue imprenable sur la planète bleue, pour parler à votre femme. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lorsque vous étiez là-haut? Ça m’a convaincu qu’on appartient à notre communauté, notre ville, l’endroit d’où on vient. Grâce à des prouesses technologiques incroyables, j’étais capable non seulement de survivre en orbite dans une machine, mais d’avoir des contacts avec ma famille et mes amis. C’était tellement nourrissant… et ça amenait du sens dans tout ça. On ne va pas dans l’espace pour soi, mais au nom de tout le monde, pour ensuite ramener l’expérience à la communauté qui nous a construit. C’est paradoxal, mais il faut aller loin pour réaliser à quel point on a besoin d’avoir des racines.
Vous avez 50 ans. Que vous souhaitez-vous pour les 50 prochaines? J’espère continuer d’avoir la chance de contribuer à ma société, à l’exploration spatiale. J’ai le bonheur et le privilège d’avoir une famille qui va bien. Je souhaite que mes trois enfants continuent à s’épanouir et passer le flambeau à la prochaine génération comme père, instructeur, citoyen. Notre avenir est dans la tête des enfants. J’en suis à une étape de ma vie où j’ai surtout envie de contribuer à l’épanouissement de la prochaine génération, pour que la roue continue de tourner.
En mode fusée
Ce qui vous fait rire Mes enfants.
Ce qui vous fait pleurer L’injustice.
Ce qui vous rend le plus fier Ma famille. Le public me connaît comme astronaute, mais je suis aussi un père, un fils, un ami.
Ce qui vous inspire Les gens qui surmontent les obstacles, gardent le moral et réussissent à passer au travers des défis ou des difficultés grâce à leur ténacité.
Ce que vous aimez de Houston Le Centre spatial Lyndon B. Johnson et le fait qu’ici, c’est pas mal toujours l’été. J’adore l’hiver, mais il y a quand même de bons côtés à la chaleur!
Ce qu’on ignore de vous Que je suis rongé par le doute. Je peux donner l’impression du contraire, mais je me remets toujours en question. C’est peut-être ce qui me tient aux aguets, ce qui me motive à me préparer, à étudier, à être le plus prêt possible. Je ne veux pas faire l’erreur d’être trop confiant.
Ce que vous voulez transmettre à vos enfants La joie de vivre, le désir de comprendre le monde autour d’eux. J’adore voir leur regard s’éclairer quand ils viennent de faire un lien, de comprendre quelque chose de la vie, du monde.
Votre plaisir culinaire coupable Le sirop d’érable. J’ai bien de la misère à ne pas en prendre plus que nécessaire. C’est une rareté ici, alors tous mes visiteurs sont obligés de m’en apporter!
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