Hélène Gagné rencontre souvent des clients dans la soixantaine dont les parents ont plus de 90 ans. «Ils angoissent et se demandent s’ils auront assez de sous pour vivre décemment jusqu’à cet âge eux-mêmes», observe la gestionnaire de portefeuille et planificatrice financière au sein de Gestion privée Peak. Selon elle, le risque de survivre à son capital est l’un des plus sous-estimés durant la retraite. D’ailleurs, l’espérance de vie de ceux qui atteignent 65 ans aujourd’hui est de près de 86 ans. À 86 ans, ils auront une chance sur deux d’être encore en vie, puisque l’espérance de vie est une durée moyenne. Il faut donc prévoir des économies suffisantes.
Bien sûr, en devançant sa retraite, on augmente les risques d’être un jour à court de revenus. Pour pallier cette éventualité, plusieurs vendront leur résidence principale. Une autre solution sera de reporter, quand c’est pertinent, la rente de la Sécurité de la vieillesse (PSV) ou celle du Régime des rentes du Québec (RRQ). L’achat d’une rente viagère pourrait également être un bon moyen de combler le manque à gagner, puisque celle-ci procure un revenu prévisible et garanti jusqu’à notre décès. Alors qu’on achète une assurance-vie pour protéger ses enfants et son conjoint en cas de décès prématuré, dans le cas de la rente viagère, c’est soi-même qu’on met à l’abri. On gagne en tranquillité d’esprit, et ce capital mobilisé n’est plus soumis aux aléas des marchés financiers.
Reporter sa PSV et sa RRQ
Avant tout, il faut déterminer si on ne pourrait pas reporter de 65 à 70 ans notre RRQ et notre PSV afin de tirer avantage de la bonification annuelle qu’offrent nos gouvernements depuis 2013. Dans le cas de la PSV, on profite d’une rente majorée de 7,2 % pour chaque année différée. Pour le RRQ, c’est une bonification annuelle de 8,4 %. Autre avantage, ces deux prestations sont pleinement indexées, ce qui n’est pas le cas de bien des régimes de pension privés. En gros, le versement est ajusté en fonction du coût de la vie.
Comme l’explique Hélène Gagné dans la dernière édition de son livre Votre retraite crie au secours, si vous aviez 65 ans en 2014 et que vous avez décidé de reporter votre PSV à 70 ans, vous toucherez 36 % de plus, soit environ 9 100 $ par an plutôt que 6 700 $, sans tenir compte de l’indexation. Vous aurez cependant renoncé à 5 années de prestations, soit 33 500 $ de revenus. Est-ce une bonne idée? «Que vous demandiez votre PSV à 65 ou 70 ans, vous aurez obtenu des prestations équivalentes si vous dépassez 82 ans. Et chaque année additionnelle rendra votre report de PSV plus rentable», souligne la planificatrice. Ceux qui sont en bonne santé et dont l’espérance de vie est élevée voudront profiter de ces bonifications, qu’ils pourront difficilement générer avec leur régime enregistré d’épargne-retraite (REER). Si vous travaillez après 65 ans et que vos revenus sont supérieurs à 73 000 $, vos prestations seront réduites et deviendront même nulles si votre revenu atteint 118 000 $. Dans un tel cas, il sera d’autant plus intéressant de reporter la PSV de quelques années et de profiter des bonifications.
Quant au RRQ, «si vous touchez une rente de conjoint survivant, il est aussi souvent mieux d’attendre au moins jusqu’à 65 ans pour toucher votre rente de la RRQ puisque la somme des rentes combinées est soumise à un maximum qui peut réduire la rente du conjoint survivant», rappelle Mme Gagné. Si vous la contactez, la Régie des rentes du Québec pourra vous éclairer en faisant une simulation. Notez toutefois que le calcul de la rente tient compte du revenu moyen durant votre vie active, duquel on soustrait 15 % de vos moins bonnes années de salaire. «En continuant de travailler entre 60 à 65 ans, si vous avez de faibles revenus, cela pourrait donc réduire vos prestations de RRQ futures. Mais si vous avez déjà droit à la rente maximale à 60 ans, le problème ne se pose pas», nuance la spécialiste. Il faut donc bien se renseigner.
Envisager la rente viagère
Un autre moyen de se protéger de notre longévité accrue sera de se procurer une rente viagère, comme mentionné plus haut. Ce produit d’assurance est toutefois peu populaire ces dernières années, car le montant de la rente dépend directement du niveau des taux d’intérêt, qui sont très bas. Le principe? On verse à un assureur un montant de capital en échange de revenus garantis. Attention: cet argent ne sera plus disponible en cas de décès pour le conjoint ou la succession, par exemple. Il faut cependant comparer des pommes avec des pommes. «Les taux sont bas, mais n’oublions pas que le rendement qu’on va générer sur son portefeuille d’obligations (placements à revenu fixe) est aussi faible. On ne peut pas comparer le montant d’une rente avec le rendement d’un portefeuille équilibré ou d’un fonds d’actions, qui sont des titres plus risqués», rappelle Hélène Gagné.
On oublie qu’il est également possible d’annexer des garanties à ces produits financiers, en prenant par exemple une rente réversible à 60 % ou à 70 % au conjoint en cas de décès prématuré. On peut en outre ajouter une garantie jusqu’à l’âge maximum de 90 ans. Ces clauses ne sont pas gratuites et réduiront le montant de la rente. Mais en achetant une rente à 70 ou 75 ans, cela coûtera beaucoup moins cher qu’à 55 ou 60 ans. La compagnie d’assurances risque en effet de verser la rente moins longtemps quand la personne est plus âgée.
«J’ai une cliente de 79 ans qui a transformé son fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) d’environ 50 000 $ en rente viagère. Elle a opté pour une garantie de 11 ans, soit jusqu’à ses 90 ans», illustre Hélène Gagné. Si la dame décède avant la fin de cette période, la rente sera versée à ses bénéficiaires en un ou plusieurs paiements, selon ce qui est prévu au contrat. «Cette rente annuelle de 4 000 $ lui sera donc versée jusqu’à la fin de ses jours. Avec la garantie de 11 ans, elle est certaine de récupérer au moins 44 000 $. Le risque réel est de donc de 6 000 $ avant impôt (50 000 $ moins 44 000 $) ou 3 000 $ après impôt. Si la cliente décède après 91 ans, elle sera gagnante, sans oublier la tranquillité d’esprit que lui procure ce revenu garanti à vie», explique la gestionnaire de portefeuille. Il faut évaluer la stratégie après impôt, car si l’argent demeure dans le FERR, ce montant sera pleinement imposable au décès.
Acheter une rente prescrite
On peut aussi acheter une rente avec de l’argent non enregistré. Cette rente dite prescrite sera imposée seulement sur la portion intérêt, puisque les sommes proviennent de comptes où l’impôt a déjà été payé. «Le niveau d’imposition est nivelé et permet qu’il demeure bas sur l’ensemble de la période», commente Mme Gagné. Sachez que dès janvier 2017, de nouvelles tables de mortalité seront utilisées par les assureurs afin de tenir compte de l’espérance de vie prolongée. Les rentes seront donc plus dispendieuses, et la portion non imposable de la rente diminuera, ce qui augmentera le coût fiscal de son détenteur. «Un de mes clients de 71 ans a récemment acheté une rente prescrite garantie 15 ans d’un montant de 350 000 $. Cela lui procure un revenu mensuel garanti d’environ 2 000 $ ou 24 000 $ par an. Sur ce montant, il paie chaque année à peu près 4 000 $ d’impôt. Sachant que son taux d’impôt marginal est de 50 % présentement, c’est clairement avantageux. Ce flux monétaire net de 20 000 $ (24 000 $ moins l’impôt de 4 000 $) correspond à un rendement de presque 6 % si on le compare au capital investi de 350 000 $. Avec la garantie de 15 ans, le capital investi initial est entièrement couvert et même un peu plus.»
L’ajout d’une rente viagère nécessite une analyse de votre situation financière et dépend d’un ensemble de facteurs, notamment de vos épargnes accumulées jusqu’ici, ou du manque à gagner entre vos sources de revenus à la retraite et vos besoins. Mieux vaut donc consulter un expert comme un planificateur financier, qui vous donnera l’heure juste.
La rente de longévité, une bonne idée?
En 2013, le rapport D’Amours proposait d’instaurer une rente de longévité au Québec. Cette allocation serait versée à vie à partir de 75 ans et garantie cinq ans, soit jusqu’à 80 ans. [MT1] En cas de décès avant cet âge, les bénéficiaires recevraient la valeur actualisée des paiements. Selon la planificatrice financière Hélène Gagné, nos gouvernements ont tout intérêt à dépoussiérer ce rapport en tenant compte de ses recommandations. Une rente de longévité serait moins coûteuse à financer pour le gouvernement, parce que le risque serait réparti sur un plus grand nombre de personnes. «Présentement, les investisseurs qui ont un REER ou un FERR assument seuls le risque du marché (le rendement sur leurs placements), de même que le risque lié à une hausse du coût de la vie (inflation). Une rente-longévité pleinement capitalisée, où tous les citoyens seraient contraints de cotiser, permettrait au gouvernement de gérer le risque de longévité de l’ensemble de la société.»
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