Et si je vendais ma voiture?

Et si je vendais ma voiture?

Par Nadine Filion

Crédit photo: iStock Photo

La question se pose pour de plus en plus de gens: pourquoi dépenser des économies durement gagnées dans une voiture privée qui se déprécie fortement, qu’il faut entretenir et réparer, immatriculer et assurer, pourvoir en pneus et en essence, garer et déneiger la moitié de l’année, qui plus est à – 20o? Tout ça pour que ladite voiture demeure stationnée en moyenne 95 % du temps, selon les études menées dans les pays développés. L’automobile est à la fois un des produits de consommation les plus coûteux et les plus sous-utilisés. 

Si, dans notre «jeune temps», la propriété automobile était signe de réussite professionnelle, aujourd’hui, c’est la mobilité qui compte. «Le statut social n’est plus nécessairement dans la possession d’un véhicule, mais dans la mobilité au sens large du terme», affirme l’ingénieur en informatique Marc-Antoine Ducas, qu’un tel constat a poussé à créer la plateforme québécoise Netlift.

C’est aussi à ce changement des mentalités qu’on doit l’explosion de popularité des Uber et Lyft de ce monde. Le cofondateur de cette dernière start-up, John Zimmer, a d’ailleurs comparé la propriété automobile telle qu’on la connaît depuis un siècle à un hôtel aux chambres presque toujours inoccupées: «Le problème, ce n’est pas la voiture, mais comment on l’utilise — ou plutôt, comment on ne l’utilise pas.» Les choses changent rapidement: le bon vieux principe de l’utilisateur-payeur vient de débarquer sur la planète automobile. «De plus en plus, il est question d’utiliser des voitures sans en être forcément propriétaire», avance la professeure Florence Paulhiac-Scherrer, titulaire de la Chaire In.SITU Innovations en stratégies intégrées transport-urbanisme de l’UQAM.

Des formules à la carte

Si l’autopartage est officiellement né en Suisse en 1948, le premier vrai service à avoir pris racine en Amérique du Nord est… québécois! En effet, Communauto propose la voiture en libre-service dans la Belle Province depuis maintenant un quart de siècle, avec aujourd’hui 2500 véhicules répartis dans huit villes — dont la moitié à Montréal. Ces deux dernières années, le phénomène a évolué et s’est scindé, de sorte que quatre types de «mobilité sans propriété» se disputent maintenant la faveur des clients.

Le plus ancien est celui en boucle: on réserve une voiture pour une journée ou un week-end, voiture que l’on récupère et ramène à une station urbaine déterminée. C’est le Communauto des premières années, qui fonctionne encore aujourd’hui sur abonnement.

Le second, en trajet direct, s’est démocratisé depuis la création de Car2go en 2008. Il accorde davantage de flexibilité à la voiture en libre-service: au moment où l’on a besoin d’un véhicule, on le localise avec son cellulaire, on en prend possession dans la demi-heure qui suit et on le conduit jusqu’à destination. C’est là qu’on pourra le laisser, en autant qu’il soit garé en toute légalité dans les zones sélectionnées. Des vignettes universelles facilitent le processus.

Le troisième type de mobilité est littéralement l’Airbnb de l’automobile — et il connaît un essor semblable à celui qu’a connu la plateforme d’hébergement privé: il s’agit de la location de particulier à particulier (peer to peer). Des applications numériques telles que Turo permettent le jumelage de propriétaires de véhicules privés avec des gens désireux de les louer pour une heure, une journée ou une semaine.

Le quatrième n’a rien de nouveau: il s’agit du bon vieux covoiturage, offert pour de grands trajets ponctuels, comme Allo Stop dans le temps et AmigoExpress depuis dix ans. Le mouvement a pris de la vigueur dans la Belle Province avec la version 2.0 du covoiturage conçue par Netlift. 

Un succès croissant

Les offres de voitures partagées s’étoffent et se flexibilisent. De plus en plus de plateformes numériques permettent aux abonnés d’un téléphone intelligent de localiser — et de déverrouiller — le parfait moyen de transport pour leurs besoins du moment, à l’instant et au prix voulus.

Aux propositions que l’on connaît déjà (Communauto, Partageauto, Car2go, AmigoExpress, voire les vélos BIXI) s’ajoutent non seulement les Uber et Lyft cités plus haut, mais également les Turo, ZipCar (en Ontario, toujours pas au Québec), Netlift (uniquement à Montréal pour le moment) et autres programmes de car-sharing qui poussent comme des champignons dans les métropoles internationales. «Les tarifs se situent entre le billet d’autobus et la course en taxi», explique Mme Paulhiac-Scherrer.

Devant l’afflux de ce qui est en train de bouleverser leur gagne-pain plus que centenaire, les constructeurs automobiles sautent eux aussi à pieds joints dans l’aventure de l’autopartage en créant leurs propres programmes de mobilité ou en s’alliant à des joueurs déjà en place, à grand renfort de projets-pilotes et de millions de dollars. Bien que les ReachNow (BMW), GetAround (Mercedes-Benz et Toyota), Maven Drive (GM), Moia (Volkswagen) et Lynk & Co (Geely, le constructeur chinois qui possède Volvo) soient pour le moment confinés à quelques grandes métropoles, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils se démocratisent et se généralisent. Déjà, l’automne dernier, la française PSA Peugeot-Citroën a pris une participation minoritaire dans la québécoise Communauto…

Bientôt dans les résidences? 

Des frais de condo incluant l’utilisation d’une voiture? Des tours d’habitation louant non pas des stationnements mais des véhicules? Des résidences offrant l’auto partagée? Oui! L’auto en «membership» est en train de se propager. Communauto installe déjà des stations libre-service chez des clients corporatifs et immobiliers. Et La Roue est devenue le premier service d’autopartage à s’adresser spécifiquement aux aînés de la Belle Province. Ce service permet en exclusivité aux locataires de la résidence du troisième âge Au Fil de l’Eau, établie à Rivière-des-Prairies, d’utiliser la Fiat 500L ou la Dodge Grand Caravan achetées pour l’occasion. Les deux véhicules sont toujours maintenus propres et remplis d’essence, assurés et bien chaussés, entretenus et réparés.

L’abonnement annuel est de 400 $ par couple, l’utilisation coûte 2 $ l’heure et 0,40 $ du kilomètre. En comparaison, le stationnement intérieur de l’endroit demande 780 $ par année, mais… «tellement de voitures y prennent la poussière!» s’exclame le propriétaire de la résidence et initiateur du projet, Salvatore Migliara. Plusieurs résidents ont déjà adopté le service. «Les gens sont contents. Ils me disent: « Je n’ai plus ma voiture, mais j’ai une voiture! »»

Ça vaut la peine?

Avant de dire définitivement adieu à son véhicule personnel pour se fier uniquement à la voiture en libre-service, on pèse bien sûr le pour et le contre financièrement. L’achat, le fonctionnement, l’entretien et la réparation d’un véhicule représentent des dépenses très importantes, c’est un fait. Pour Éric Brassard, auteur du livre Finance au volant, «ce moyen de transport coûte plus cher que tout autre mode alternatif». Ainsi, Jesse Caron, recherchiste automobile chez CAA-Québec, a calculé que les coûts d’utilisation d’une Honda Civic 2017 sont de 7 728 $ par année. Et Dennis DesRosiers, président de la firme DesRosiers Automotive Consultants, soutient que posséder et utiliser une automobile pendant 15 ans coûte en moyenne… 100 000 $! Ce grand manitou de la statistique automobile au Canada a lui-même été surpris par ce résultat: «Le coût de propriété d’un véhicule, tout au long de sa vie, représente plus de deux fois son coût en capital!» La dépense la plus importante? Ni le carburant, ni l’entretien ou les réparations, mais bien la dépréciation: en moyenne 30 000 $ sur 15 ans, affirme M. DesRosiers.

L’autopartage nouvelle génération est un phénomène jeune et en constante transformation. Même les plus récentes études ne peuvent donc déterminer combien les utilisateurs-payeurs épargnent par rapport à la propriété automobile. D’ailleurs, que doit-on calculer: les prestations pour la voiture en libre-service ou aussi celles du covoiturage? Rajoute-t-on les transports en commun, voire les taxis? Et à quel type de véhicule au privé devrait-on comparer: une sous-compacte achetée neuve à 15 000 $ ou la moyenne d’achat automobile canadienne de 30 000 $? Comment mesurer aussi les économies pour les autopartageurs qui habitent en ville, près de tous les réseaux de transport versus ceux qui résident en banlieue, voire ceux qui ont élu domicile dans des zones où les transports complémentaires sont à peu près inexistants? De même, calcule-t-on les coûts par kilomètre ou par déplacement? Et comment tenir compte du fait que les ménages qui «autopartagent» prennent le volant 25 % moins souvent que ceux qui ont une voiture, selon une étude de Communauto?

En plus, les résultats obtenus une fois ces facteurs pris en compte seraient obsolètes en quelques semaines: concurrence de plus en plus féroce oblige, les tarifs d’autopartage diminuent (jusqu’à un tiers moindres en 2016), les prix des forfaits se réduisent et les coûts d’inscription disparaissent. Ajoutons des variables comme les besoins (une Smart Car2go à deux places suffit-elle ou nous faut-il une berline familiale?), la destination voulue, la formule choisie…

Dans cette situation de cas par cas, on a tout intérêt, avant de faire le grand saut vers la non-propriété automobile, à tenter l’expérience via différentes formules. Les études le démontrent, abandonner sa voiture personnelle au profit de l’autopartage vient le plus souvent au bout d’un processus de décision de plusieurs années. 

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