Plan d’action pour les épargnants retardataires

Plan d’action pour les épargnants retardataires

Par Dominique Lamy

Crédit photo: iStock

Pas facile de commencer à épargner en prévision de la retraite une fois franchi le cap de la cinquantaine. Surtout si REER, CELI et compagnie sont à sec. Mais qu’on se rassure: «Mieux vaut tard que jamais», dit l’adage. Nos solutions.

Afin de démontrer qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire nous avons demandé à une planificatrice financière d’analyser le cas de Jean (prénom fictif à la demande de la personne interviewée), quinquagénaire et machiniste dans une entreprise manufacturière.

Jean dispose d’un salaire annuel de 60 000$ et il n’a pas la chance de cotiser à un régime de retraite. Avec sa conjointe Nathalie (prénom fictif), il a deux enfants, actuellement aux études collégiales. Contrairement à sa douce moitié, son bas de laine est vide, exception faite d’un régime enregistré d’épargne-retraite (REER), ouvert il y a bien longtemps, et dont le solde est d’environ 10 000$, au gré de l’humeur des marchés. Jean est cependant le seul propriétaire de la maison familiale, dont le solde hypothécaire reste modeste, soit 45 000$, à un taux d’intérêt de 5,3%.

Pour renverser la tendance et se préparer à prendre une retraite un peu plus confortable dès 65 ans, Jean doit compter dès maintenant sur sa capacité d’épargne au cours des 15 prochaines années. La planificatrice financière indépendante Marie-Ève Mc Lean est appelée à la rescousse pour orienter Jean dans son désir de rattraper le temps perdu en matière d’épargne. «Allons-y par étapes», propose-t-elle.

1. Établir le bilan financier et déterminer le coût de vie prévu

C’est un fait que Jean ne semble peut-être pas avoir épargné suffisamment. Mais pour bien amorcer le processus, il faut d’abord dresser la liste de tous ses actifs et de tous ses passifs. «Il n’a pas de dettes autres que son hypothèque, mentionne la planificatrice financière. Ses cartes de crédit sont bien gérées et payées en intégralité, mois après mois, ce qui facilite la mise en place d’un plan d’épargne.»

Une fois le bilan financier établi, la prochaine variable à cibler est le coût de vie actuel, pour permettre d’évaluer le revenu à combler au moment de la retraite. «Le revenu brut de Jean est de 60 000$ par année. Son revenu net, après impôts et autres charges sociales, diminue à 43 000$ annuellement. Ce chiffre correspond probablement à l’ensemble de ses dépenses annuelles», estime l’experte.

Pour estimer le revenu à remplacer en prévision de la retraite, c’est ce 43 000$ qui sert de point de référence. Une fois la retraite entamée à 65 ans, il n’y a plus de chèque de paie à encaisser, alors les déductions à la source s’arrêtent. Et à cette étape de sa vie, l’hypothèque de Jean sera entièrement remboursée. «On peut alors soustraire la totalité des mensualités hypothécaires, soit 10 250$ annuellement, du coût de vie projeté. On soustrait aussi le montant annuel de 5000$ que je lui propose d’épargner de 50 à 65 ans et qu’il n’aura plus à assumer par la suite. Résultat: le coût de vie prévu de Jean à la retraite sera d’environ 27 750$», calcule-t-elle.

2. Concevoir le plan de retraite

La retraite pourrait fort bien s’étirer sur trois décennies. Un pécule conséquent est donc recommandé. «Selon les normes de projection de l’Institut de planification financière, un homme de 50 ans a 25% de chance de vivre jusqu’à 94 ans», explique Marie-Ève Mc Lean. Dans ce cas, d’où proviendront les 27 750$ par année pour permettre à Jean d’avoir une retraite confortable jusqu’à un âge avancé?

La rente du Régime de rentes du Québec (RRQ) Pour profiter d’une pension mensuelle non réduite à partir du 1er juillet de l’année 2024, il faut remplir le formulaire T1213 (OAS), en déclarant les revenus de l’année 2023. La pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) Quant à la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV), les Canadiens âgés de 65 à 74 ans peuvent s’attendre à recevoir 713,34$ par mois, et 784,67$ mensuellement pour les plus de 75 ans. On peut commencer à la percevoir dès 65 ans, mais il est aussi possible de la reporter jusqu’à 70 ans, ce qui permet de bonifier le montant de 0,6% par mois. Le plan de match proposé à Jean prévoit d’obtenir ces deux rentes (RRQ et PSV) dès 65 ans, une planification similaire à celle déjà prévue par sa conjointe. Dans l’équation, Jean prévoit avec justesse ne pas pouvoir compter sur le Supplément de revenu garanti (SRG) – un paiement mensuel non imposable versé aux prestataires de plus de 65 ans à faible revenu – au moment de la retraite. L’admissibilité à cette rente gouvernementale fédérale est calculée en fonction du revenu combiné du couple. Vu que Jean et Nathalie auront un revenu familial projeté de plus de 28 560$ par année, ni l’un ni l’autre ne pourra en bénéficier.

L’épargne qu’il reste à accumuler Sur la base de ces hypothèses – le REER de 10 000$, l’encaissement des deux rentes gouvernementales à 65 ans, un rendement conservateur de 3,4% et un taux d’inflation de 2,10% –, une somme approximative de 329 000$ doit être accumulée pour lui permettre de maintenir son coût de vie actuel de 65 à 94 ans. Poursuivons...

3. Réviser le budget actuel

Précédemment, Marie-Ève Mc Lean expliquait qu’un montant de 5000$ devait être épargné annuellement, de 50 à 65 ans, pour tenter d’accumuler, en partie, le manque à gagner de 329 000$. Question: comment dénicher 5000$ sans trop de complications? «Pour espérer être un peu plus libre financièrement à la retraite, on doit faire des concessions dès maintenant, dit-elle. Il faut donc réviser son budget et revoir certaines dépenses à la baisse. Pour y arriver, je propose de jeter un coup d’œil à la publication de l’Autorité des marchés financiers (AMF) intitulée 99 trucs pour économiser sans trop se priver. On y présente plusieurs pistes de solution concrètes pour atteindre cet objectif.»

Le but de la manœuvre, pour Jean, sera donc d’allouer les économies réalisées à son épargne. Et au lieu d’attendre à la fin de l’année pour investir un montant forfaitaire, mieux vaut adopter l’épargne périodique. Épargner systématiquement, sans trop y penser, finalement! «Jean doit se payer en premier, dès que sa paie est déposée, et rediriger l’argent le plus tôt possible vers le produit d’épargne choisi.»

4. Choisir le régime d’épargne le plus approprié

Jean s’apprête à remanier son budget pour être en mesure d’épargner 5000$ par année. Quel serait le meilleur moyen de faire profiter cette jolie somme? «Ce n’est pas parce que le taux hypothécaire est supérieur à celui du terme précédent qu’on doit forcément augmenter la cadence de remboursement du prêt. Il ne reste que cinq ans avant que sa maison soit libre d’hypothèque», explique Marie-Ève Mc Lean. Dans ce cas précis, mieux vaudrait investir de façon périodique directement dans un REER, pour un cumul annuel de 5000$, et prévoir y déposer ensuite le remboursement d’impôt ainsi obtenu.

C’est aussi le moment idéal pour réviser son profil d’investisseur. En ce qui concerne Jean, le fait de considérer les fonds de travailleurs (Fonds de solidarité FTQ ou Fondaction) lui permettrait d’accélérer sa cadence d’épargne. Un crédit d’impôt de 15% s’applique au provincial et au fédéral, jusqu’à concurrence d’un dépôt de 5000$, justement, lorsqu’on investit dans ce type de fonds. « Cette économie d’impôt de 30%, soit 1500$, conjuguée à la déduction REER de 1806$, totalise 3306$. Jean doit donc s’assurer d’économiser ce remboursement d’impôt annuel et de le verser dans un REER», dit l’experte. Ce faisant, son épargne annuelle atteint ainsi 8306$. Qui l’aurait cru?

5. Accélérer la cadence une fois l’hypothèque payée

Le plan de match n’est pas terminé, par contre. Tel qu’indiqué précédemment, le prêt hypothécaire sera intégralement remboursé dans cinq ans. Les sommes qui servaient auparavant à rembourser les mensualités hypothécaires devront désormais être dirigées vers l’épargne. «L’habitude du déboursé était déjà bien ancrée: il suffit alors d’effectuer les mêmes paiements, mais en bonifiant le REER de Jean de 55 à 65 ans», explique la planificatrice financière.

Le fait d’être propriétaire est aussi un avantage considérable dans son cas. La valeur nette de la maison ne se traduit pas en argent liquide, soit, mais ce pécule – à défaut d’être investi pour la retraite – demeure néanmoins éventuellement accessible en cas de besoin! «Jean et Nathalie pourraient choisir de vendre la maison à 80 ans et dégager ainsi 400 000$, à titre d’exemple, pour assumer la location d’un appartement et bonifier leur portefeuille d’investissement.»

Un rappel, en terminant. Dans le cas des gens qui vivent en couple, comme Jean et Nathalie, il ne faut pas envisager de faire les choses séparément. «Un plan de décaissement optimal à la retraite s’assure d’équilibrer le niveau d’imposition au fil du temps et entre les deux conjoints. Plusieurs stratégies fiscales sont offertes pour fractionner le revenu au moment de la retraite», précise la planificatrice financière.

Le résultat prévu

Récapitulons. Avant de se lancer en mode épargne, Jean avait un déficit de 329 000$ à combler pour être en mesure de soutenir son coût de vie annuel prévu de 27 750$ à la retraite. Avec le plan de match échafaudé par Marie-Ève Mc Lean, l’homme de 50 ans aspire désormais à une retraite plus confortable.

«En suivant ces recommandations, Jean pourra compter sur des revenus nets de 25 000$ par année.» Et ce, sans tenir compte d’un rendement supérieur de ses placements et sans même prévoir d’accéder à la valeur nette disponible de sa maison. «Cette planification est sécuritaire: elle se veut le “pire scénario” à envisager, en quelque sorte. Les rendements obtenus pourraient bien être supérieurs à ce 3,4%. Soyons positifs et ne doutons pas du plan», résume ainsi Marie-Ève Mc Lean.

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