Oublis de rendez-vous, remarques sans logique, comportement bien loin de la femme réservée qu’elle avait toujours connue… et si peu de gens pour s’en rendre compte: Chantal n’a pas eu d’enfants, son conjoint est décédé, elle s’est éloignée de sa famille et son travail ne lui a pas laissé le temps de lier beaucoup d’amitiés. Elle n’a que ma mère. Or, depuis des semaines, Chantal ne répond plus. Courriels et appels rebon- dissent dans le vide, sans que sa seule amie, récemment opérée aux yeux, puisse rouler jusqu’à son condo pour frapper à sa porte. Ce que ma mère fera dès que sa vue sera rétablie. Mais pour la retrouver dans quel état psychologique? Et s’il faut la placer, comment la convaincre, elle qui a toujours été si indépendante?
Depuis que j’ai appris la situation, je me demande quelle est la meilleure solution. Quand on commence à souffrir d’Alzheimer et qu’on n’a pas de famille proche, n’y a-t-il vraiment que le CHSLD? Plus loin dans ces pages, Sophie Thibault se souvient encore de la révolte qu’elle a ressen- tie en voyant sa mère végéter 15 ans là-bas. Lorsqu’on a travaillé dur toute sa vie, qu’on a tant donné à la société et aux autres, est-ce «normal» de finir ses jours à manger des patates en poudre dans un endroit où le personnel subit tellement de compressions qu’il n’a même plus le temps de changer votre couche pleine? Cela révolte, oui. Et cela fait peur aussi: on n’a pas tous la chance d’être entou- rés d’enfants ou d’amis dont le quotidien ou le métier permette de se dévouer comme proches aidants…
J’ai donné tout récemment une conférence sur le magazine dans une magnifique résidence du nord de Montréal. Francine, qui me faisait visiter les innombrables espaces communs (ils donnaient juste envie de déménager là dans la minute!), évoquait au détour du chemin certains locataires qui ne souhaitaient pas se mêler aux activités communes, me parlant aussi de l’étage des résidents à la santé plus fragile. Ces derniers ne peuvent y demeurer que si leur état n’excède pas un certain nombre d’heures de soins par jour. Dans ma tête, les mêmes questions tournaient encore. Et puis? Si on est seul, si on est malade, si on n’a pas les sous, quelle est l’alternative? Ce serait tellement bon de pouvoir rester chez soi!
Si vous êtes dans cette situation ou proche aidant de quelqu’un qui s’y trouve plongé, comment voyez-vous les choses? Et comment pourrait-on vous aider? Comment agir ensemble? Pendant cette conférence à la résidence, plusieurs personnes dans l’assistance m’ont fait part d’idées fort intéressantes tant pour des articles que pour des activités que nous pourrions organiser. Un mon- sieur tout en élégance et en gentillesse a conclu l’échange par cette belle image:
«Nous sommes chanceux d’être ici, on est bien, mais nous vivons en vase clos. En somme, au Bel Âge, vous êtes notre fenêtre sur l’extérieur.» Nous espérons pouvoir l’être aussi, d’une façon ou d’une autre, pour les plus isolés et les oubliés. Déjà, oubliés, vous ne l’êtes pas: on pense fort à vous.
Aline Pinxteren, rédactrice en chef
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