Aucun aliment miracle, diète draconienne ou supplément ne tiendra le cancer à distance. Il n’en demeure pas moins que le contenu de notre assiette a un lien indubitable avec la maladie. Explications.
«Ni aliments ni diètes extrêmes n’empêcheront d’avoir un cancer ou permettront d’en guérir, insiste le Dr Gérald Batist, oncologue et directeur du Centre du cancer Segal de l’Hôpital général juif de Montréal. Cela dit, et bien qu’il n’existe pas de formule standard pour tout le monde, notre alimentation est un facteur considérable en ce qui a trait à la prévention de cette maladie et à la façon dont on passera à travers.» Une bonne alimentation favorise notamment un niveau d’énergie plus élevé, un système immunitaire plus fort et le maintien d’un poids santé.
Selon le World Cancer Research Fund, environ 20 % des cancers seraient directement reliés au surpoids, à la consommation d’alcool, à une alimentation déficitaire et à la sédentarité. «Tous les cancers sont multifactoriels, rappelle la nutritionniste Marlène Bouillon, également conseillère scientifique et directrice des opérations chez NutriSimple, des cliniques de nutrition axées sur la prévention et l’apprentissage d’une bonne alimentation. Mais l’alimentation est un facteur modifiable avec un impact, direct et indirect, sur la prévention, ainsi que durant et après un cancer, par des mécanismes divers et complexes selon le cancer dont on parle.»
En prévention
Si aucun aliment ni régime particulier ne peut, en soi, prévenir le développement d’un cancer, une alimentation saine et équilibrée permet de maintenir ou d’atteindre un poids santé. Selon une étude américaine publiée récemment sur JAMA Oncology, jusqu’à 6 % des cancers chez les hommes et 11,4 % chez les femmes sont directement liés à un surpoids. Treize types de cancer seraient concernés, dont ceux du sein, de l’œsophage, du foie et des reins. «Une bonne alimentation pourrait se résumer à une assiette dont un quart serait dédié aux protéines, un autre aux grains entiers et la moitié aux fruits et légumes», illustre Marlène Bouillon. À cette «bonne alimentation», on combine de l’activité physique, notamment de la musculation. «Les muscles non sollicités, qui ne travaillent pas, absorbent moins bien les nutriments», explique le Dr Batist.
Les nutriments dont notre corps a besoin pour diminuer les risques de cancer se retrouvent en grande partie dans les aliments d’origine végétale, soit les fruits et légumes, les grains entiers et les légumineuses. Bourrés de vitamines, d’antioxydants et de fibres, ils possèdent aussi des substances phytochimiques aidant à protéger nos cellules contre les radicaux libres qui les endommagent. Y ajoute-t-on un supplément ou deux pour consolider nos défenses? «Prendre une multivitamine ne peut pas vraiment faire de tort, répond le Dr Batist, mais consommer les nutriments dont on a besoin via notre alimentation est de loin préférable.»
Éviter de prendre des suppléments alimentaires pour prévenir le cancer se retrouve d’ailleurs parmi les 10 recommandations de l’American Institute for Cancer Research, qui précise toutefois que des personnes, sous certaines conditions, peuvent en avoir besoin, mais uniquement sur l’avis d’un médecin. «Les nutriments contenus dans les aliments sont préférables, car une sorte de synergie les rend plus efficaces, mieux absorbés, précise Marlène Bouillon. Les effets d’un nutriment pris de façon isolée ne sont pas garantis. La vitamine D est cependant recommandée parfois, puisque plusieurs personnes sont carencées.» Quelques études établissent même un lien entre un risque accru du cancer de la prostate et une carence en vitamine D, mais des recherches plus poussées seraient nécessaires pour conclure à son existence réelle.
Les moins transformés possible
Parmi la dizaine de recommandations faites par l’American Institute for Cancer Research figure aussi celle de ne pas consommer d’alcool. Ce dernier serait en effet lié à six différents types de cancers, dont ceux de la bouche, du foie et du sein. Si on ne souhaite pas le supprimer complètement au quotidien, on se limite à une consommation par jour pour les femmes et à deux pour les hommes. La modération s’applique également à la viande rouge. Selon le Centre international de recherche sur le cancer, qui est passé à travers quelque 800 études sur le sujet, les viandes rouges seraient probablement cancérigènes: quelques études chez les humains et plusieurs chez les animaux tendent vers cette conclusion.
Non, on ne doit pas mettre pour autant une croix sur la bavette de Ricardo, mais mieux vaudrait limiter notre consommation hebdomadaire de viande à 85 g trois fois par semaine. Quant aux charcuteries, très peu de doutes subsistent: elles sont cancérigènes. Les additifs (nitrites et nitrates) en seraient la principale cause. Pour la viande, la cuisson à haute température et l’hème, une molécule qu’elle contient, entre autres, seraient possiblement responsables.
En fait, les aliments très transformés, composés généralement de beaucoup de sel, de sucre et de gras, ne devraient pas faire partie de notre menu trop souvent: ils sont liés à des risques accrus de cancer. Pourquoi? C’est prouvé, les gens qui consomment beaucoup de ces produits le font souvent au détriment d’aliments santé (ceux censés aider à réduire les risques de cancer), ils souffrent plus souvent de surpoids, ingèrent toutes sortes d’additifs et ont un système immunitaire plus faible.
En période de traitement
Idéalement, on devrait adopter la même alimentation qu’avant la maladie: fruits, légumes, grains entiers, légumineuses, protéines variées, très peu de produits transformés et peu ou pas d’alcool. Mais… «l’alimentation est un défi chez plusieurs personnes atteintes d’un cancer, explique Josée Beaudoin, nutritionniste au CHUM. De 30 à 80 % d’entre elles deviennent malnutries, selon le type de cancer.»
Le manque d’appétit, les effets secondaires des traitements (goût métallique dans la bouche, nausées, sécheresse buccale, répulsion de certaines odeurs, etc.) et une grande fatigue très fréquente font en sorte qu’on ne mange pas tout à fait comme on devrait le faire. «Les traitements occasionnent des effets secondaires qui peuvent vraiment nuire à notre alimentation, confirme Marlène Bouillon. Pendant ceux-ci, le mieux est de s’écouter et de toujours avoir quelque chose de nutritif sous la main.» On essaie néanmoins de manger le mieux possible et, surtout, on ne prend pas de suppléments sans en parler à notre médecin. D’autant que certains d’entre eux pourraient nous nuire, par exemple en interagissant négativement avec notre médication. «Il est très important de toujours communiquer à notre équipe soignante ce qu’on ingère, insiste Marlène Bouillon. Même si on croit que cela n’a pas d’impact.»
Par ailleurs, avoir un poids santé est important, mais perdre trop de poids, trop rapidement, surtout pendant la maladie, ne fait qu’affaiblir le système. Ce qu’on ne veut pas, bien entendu! «Quand on a à perdre du poids, on peut le faire pendant les traitements, mais graduellement et de façon saine», conseille Josée Beaudoin. Si on manque d’idées, qu’on n’a pas l’énergie de cuisiner et à peine de manger ou qu’on craint que notre régime ne soit pas des plus nutritifs, on demande de l’aide. L’équipe soignante pourra probablement nous guider ou nous référer à un nutritionniste spécialisé en oncologie.
Surtout, on évite de succomber à la dernière diète anticancer tendance, de jeûner parce qu’on a lu que c’était bénéfique, de se gaver uniquement de baies d’açai parce qu’elles détruisent prétendument les cellules cancéreuses ou d’écouter notre belle-sœur qui se vante de tout savoir sur le cancer et l’alimentation! «Des gens bien intentionnés veulent souvent nous conseiller sur ce qu’on devrait ou ne devrait pas manger, dit Marlène Bouillon. Tel aliment supposément efficace, telle diète populaire… Mais, on le rappelle, il n’existe aucun aliment ou diète miracle.»
10 astuces gagnantes
1 On garde toujours des fruits et des légumes sous la main.
2 On multiplie les collations nourrissantes (gruau, noix, tapioca, etc.).
3 Les smoothies sont un excellent choix, surtout si les textures nous insupportent et qu’on manque d’appétit: yogourt, fruits, sirop d’érable, poudre protéinée… Une solution pratique et nourrissante!
4 On n’hésite pas à demander à notre entourage de nous préparer des repas que l’on pourra congeler.
5 Si rien ne rentre pour un jour ou deux, on n’insiste pas. On essaie juste de retrouver une alimentation plus équilibrée entre les traitements.
6 On s’hydrate bien. Surtout si on traverse des épisodes de vomissements.
7 Si les odeurs nous répugnent, on privilégie les aliments froids, qui en dégagent peu ou pas.
8 Les ustensiles en plastique sont moins irritants lorsqu’on ressent un goût métallique dans la bouche.
9 Les aliments partent toujours favoris, mais les substituts de repas (de type Ensure) peuvent pallier un passage à vide.
10 On évite les aliments les plus susceptibles de causer des intoxications (sushis, œufs crus, tartares, fromages de lait cru, aliments non pasteurisés, etc.). Et on prend un soin particulier à nettoyer les fruits et légumes. On est affaibli par la maladie, et les traitements de chimiothérapie entraînent souvent une diminution des globules blancs 10 à 14 jours après (neutropénie). On devient alors particulièrement vulnérable à différentes infections.
Pour en savoir plus: on visite le site de la Société canadienne du cancer (cancer.ca), dans les sections «Information sur le cancer» puis «Vivre avec le cancer». On peut aussi se procurer le livre Meilleures recettes pendant une chimiothérapie ou une radiothérapie: 100 recettes santé vraiment délicieuses, de Jose Van Mil et Christine Archer-Mackensie (Guy Saint-Jean éditeur, 24,95 $).
En phase de rémission
Les règles alimentaires en prévention (fruits, légumes, grains entiers, très peu d’aliments transformés, d’alcool, etc.) sont tout aussi adéquates après un cancer. «Une bonne alimentation aide même à prévenir les risques de récidives ou d’un deuxième cancer», affirme Josée Beaudoin. D’autant qu’une personne qui a eu le cancer est plus susceptible d’être touchée par certaines maladies, dont le diabète de type 2, une maladie cardiaque, l’ostéoporose ou un autre cancer. D’où l’importance particulière de retrouver une alimentation et un mode de vie sains. Le hic? Des effets secondaires comme la fatigue, le manque d’appétit, la modification du goût et de l’odorat et la sécheresse buccale peuvent perdurer même une fois les traitements terminés, pour quelque temps seulement ou plus longuement, selon les personnes. C’est notre cas? On en discute avec notre médecin, qui nous fera peut-être des recommandations utiles.
Par ailleurs, il importe de conserver un poids santé. Plusieurs recherches associent en effet un surplus de poids avec une augmentation des risques de récidive. L’activité physique nous aidera aussi grandement à recouvrer la santé. À moins qu’une condition particulière ne nous en empêche, l’American Cancer Society recommande au moins 150 minutes d’activité physique par semaine pour les personnes qui ont eu le cancer, incluant au moins deux séances de musculation.
Mais l’essentiel à retenir, c’est surtout de faire de notre mieux, sans forcer! On vient de traverser une épreuve difficile, et tant notre corps que notre moral ont été largement éprouvés. Retrouver de bonnes habitudes de vie, incluant une assiette saine et équilibrée, ne se fera pas du jour au lendemain. On prend les choses à notre rythme, on essaie de manger le plus santé possible, on demande de l’aide à nos amis, un nutritionniste ou notre équipe soignante, on s’écoute… On va y arriver!
Pour en savoir plus: le livre Bien manger pendant/après un cancer, de Geneviève Nadeau (éd. La Semaine) et le sujet Mythes et réalités à propos de l’alimentation après un cancer sur le site cancer.be.
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