J’ai ouvert ma porte

J’ai ouvert ma porte

Par Christine Fortier

Crédit photo: Collaboration spéciale

S’est-on déjà demandé ce qu’on ferait si quelqu’un dans notre entourage (ou non) avait besoin d’être soutenu? Trois personnes ayant accueilli des gens sous leur toit nous racontent pourquoi elles l’ont fait.

Normand Thérien: Travail d’équipe

Quand la Russie a envahi l’Ukraine le 24 février 2022, Normand Thérien et sa conjointe, Anne-Marie Langelier, ont décidé d’accueillir des Ukrainiennes dans leur maison. C’est par le biais du Service d’accueil et de formation en immigration pour le Roussillon (SAFIR) et du Centre de services scolaires des Grandes-Seigneuries que les retraités de Léry ont été jumelés à Olha, 49 ans, et sa fille Anastasiia, 27 ans, de Kiev. Le couple les a accueillies à l’Aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau le 27 avril 2022.

«En premier lieu, c’est Anne-Marie, que j’appelle « sœur Teresa », qui m’a parlé de réunions organisées pour des gens intéressés à recevoir des réfugiés ukrainiens. On a une grande maison. Olha et Anastasiia y ont chacune leur chambre, qu’on a équipée d’un pupitre pour qu’elles puissent travailler et étudier. On est privilégiés d’avoir l’espace pour ça, car ce sont quand même des gens qu’on ne connaît pas.

«On est aussi chanceux, car on a un petit réseau d’amis qui nous aident à nous occuper d’elles. Une personne vient les chercher le matin pour les conduire à leurs cours de francisation et une autre les ramène en milieu d’après-midi. Je les conduis à la pharmacie et à la Caisse pop quand elles en ont besoin et lors des rendez-vous avec les différents ministères du gouvernement fédéral.

«On découvre au fur et à mesure ce que ça implique d’aider des gens qui repartent à zéro. L’adaptation ne se déroule pas trop mal parce qu’elles sont européennes et on a un minimum de points communs. La langue est le plus gros handicap, mais on utilise de moins en moins le traducteur vocal de Google. Les cours de francisation ont cessé deux mois l’été dernier, ce qui n’était pas très bon, car elles ne pouvaient pas progresser. Durant cette période, Anastasiia s’est installée dans l’appartement que je possède à Montréal pour suivre des cours d’anglais intensifs payés par l’Université McGill. Elle a tellement aimé la ville qu’elle n’est pas revenue sur la Rive-Sud et s’est trouvé un travail pour trois mois. Quand on a appris qu’il y aurait une interruption des cours de français, Anne-Marie a trouvé une enseignante à la retraite pour donner des cours privés à Olha.

«On retire tellement de bénéfices de cette expérience. On s’est fait des amies, on apprend une autre culture et, depuis qu’elle cuisine, Olha nous fait découvrir des mets de chez elle. On n’est pas les seuls à accueillir des réfugiés, mais c’est une première pour nous et je ne pensais jamais vivre ça. On est en bonne santé et on a le temps. On faisait déjà du bénévolat, mais là, c’est un autre genre de service. Et c’est bien agréable!»

Valérie Bédard: Doux refuge 

Il y a une douzaine d’années, Valérie et son conjoint Joël, qui est maintenant décédé, ont ouvert leur porte à une amie, Isabelle, et à ses filles, qui traversaient une période houleuse.

«Après son divorce, suivi de la vente de la maison qui s’était mal passée, Isabelle s’est installée chez son nouveau conjoint avec ses filles, Alexandra et Anabelle, et leur berger australien, Clifford. L’homme, un fermier, avait un garçon âgé de 9 ou 10 ans. Au début, tout semblait beau, mais ça n’a pas duré. Le garçon avait donné des coups de pied à Clifford, puis ce dernier a été abattu par des trafiquants qui avaient semé du cannabis dans un des champs de son conjoint. Le jour où Isabelle m’a appelée pour me raconter ce qui était arrivé à Clifford, je lui ai dit de partir avant qu’il n’arrive quelque chose de pire.

«Dès que j’en ai parlé à Joël, il a eu le même réflexe que moi. Ses parents et les miens avaient été des familles d’accueil et il était hors de question qu’on ne les aide pas. On les a gardées un mois à la maison. Pour moi, ç’a été une période extraordinaire parce que je me suis occupée des petites, que j’aimais beaucoup. On avait deux chiens, dont Argus, qui aimait les filles et qui a été comme un chien de remplacement pour celui qu’elles avaient perdu. J’avais beaucoup de costumes et elles se déguisaient et habillaient Argus. Le soir, j’aidais Alexandra à faire ses devoirs, car elle avait changé d’école et ça n’allait pas bien, tandis qu’Isabelle s’occupait d’Anabelle, qui avait moins de problèmes à l’école, mais qui avait pourtant des comportements agressifs que je n’avais jamais vus chez elle. C’est moi qui les couchais. Le premier soir, je leur ai raconté Hans le balourd, un des contes d’Andersen. Elles ont réclamé cette histoire tous les soirs pendant un mois. J’en ai parlé à une amie travailleuse sociale, qui m’a dit que c’était normal, car elles recherchaient la stabilité. C’est exactement ce qu’elles avaient trouvé chez nous.

«Quand j’ai demandé à Isabelle si je pouvais parler de son histoire, elle m’a écrit ceci: « Le temps passé avec vous a été le calme après la tempête. On a eu du réconfort, de l’accueil et de l’amour. Ça nous a permis de repartir moins poquées. Je réalise maintenant que le divorce m’avait affectée plus que je ne pensais. La transition du divorce avait été difficile. La vente de la maison avait été difficile. L’adaptation avec le nouveau chum n’avait pas fonctionné. Vous avez été d’une générosité sans bornes. »

«Pour Isabelle, cela a été une période très difficile, mais pour moi, ç’a été comme une vie de famille que j’ai adorée, même si je voyais que les filles étaient perturbées. Je n’ai pas eu le temps de me tanner, mais dès que les rénovations urgentes de la maison qu’Isabelle avait achetée ont été terminées, elle a commencé à déménager leurs affaires. On se voit encore tous les ans. Si c’était à refaire, je recommencerais, car j’ai laissé parler mon cœur.»

Pauline Boulet: Mission de vie

Pauline a toujours trouvé normal que sa maison soit accueillante, que sa porte soit ouverte pour celles et ceux qui en avaient besoin. Au fil des années, elle a offert un toit à de nombreux membres de sa famille en plus d’être une famille d’accueil durant quatre ou cinq ans.

«La plupart des adolescents qui ont habité chez nous avaient été rejetés. Au début, on gardait des garçons et des filles, puis on a décidé d’accueillir uniquement des filles, car c’était plus difficile avec les garçons. Il y en a un qui avait essayé de faire des attouchements à une de mes petites-filles et je te dis que ça avait brassé à la maison.
«Je me souviendrai toujours de Roxanne. Elle avait besoin d’être opérée pour un problème au niveau des ovaires, mais elle refusait. J’ai pris le temps de l’écouter et de lui expliquer que c’était nécessaire si elle voulait un jour avoir des enfants. Quand sa travailleuse sociale a appris qu’elle avait changé d’avis, elle m’a demandé ce que j’avais fait et je lui ai répondu que je l’avais simplement écoutée.

«J’ai quatre enfants et ils sont tous différents. Pour moi, c’était le même principe avec les adolescents qu’on prenait en famille d’accueil. Ils arrivaient avec chacun leur caractère, chacun leur bagage. Je les traitais un peu comme mes enfants. Il y avait des règles à suivre. Parmi les choses les plus importantes, il y avait le respect dans la communication et tous devaient collaborer dans la maison. Ghislain, un adolescent qui a habité chez nous, est revenu nous voir plusieurs années après son départ pour nous présenter ses jumelles et nous dire merci. J’ai beaucoup aimé ça.

«Je pense que c’était mon chemin de vie d’ouvrir ma porte aux personnes qui en avaient besoin. C’était tout à fait normal, comme ma décision d’héberger ma mère pendant 12 ans. La seule personne à qui j’en avais parlé avant de l’inviter, c’était mon mari, Paul-André, et il était d’accord. Sans le savoir, ma mère m’a aidée à m’occuper de mon mari bien des années plus tard. Maman était dépendante de moi et Paul-André (qui est décédé en octobre 2020) aussi, à cause de sa maladie. Ç’a été une période difficile, car la démence est une maladie cruelle. C’est faire le deuil d’une personne qui est encore vivante et c’est très dur.

«J’ai aussi gardé les enfants de ma petite-fille Marie-Ève. Elle retournait sur le marché du travail et une de ses petites, qui avait vu des enfants jouer devant une garderie, trouvait que ça avait l’air bien le fun, mais elle n’a pas du tout aimé cela. Elle ne voulait pas y retourner, alors j’ai suggéré à Marie-Ève de m’amener ses filles, que j’ai gardées jusqu’à ce qu’elles commencent l’école. Ensuite, ç’a été au tour de ma petite-fille Audrey, que j’ai gardée de 6 mois à 12 ans et des petits-enfants d’une de mes sœurs. Aujourd’hui, une de mes sœurs habite dans le studio au sous-sol de ma maison.»

Pour Pauline, ouvrir sa porte à son prochain, qu’il soit un membre de la famille ou non, est de toute évidence un geste très naturel!

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