J’écris la vie de mes ancêtres

J’écris la vie de mes ancêtres

Par Maurice Gagnon

Crédit photo: Collaboration spéciale

Ces trois auteurs passionnés d’histoire ont sorti leur plume pour raconter le récit palpitant de leurs ascendants.

Sergine Desjardins: Réparer les injustices

Sergine Desjardins, de Rimouski, est aujourd’hui une romancière et essayiste à succès qui compte plusieurs ouvrages à son actif, dont une biographie en deux tomes consacrée à la première femme journaliste du Canada français, Robertine Barry. Toutefois, le livre qui a concrétisé son rêve d’enfance de devenir écrivaine est basé sur la vie de son ancêtre Marie Major.

«Si une tragédie n’avait pas été au cœur de la vie de mes ancêtres, je ne serais probablement pas devenue romancière. Dès l’enfance, j’ai été touchée par le destin de Marie Major, une Fille du roi dont l’époux, Antoine Roy dit Desjardins, a été assassiné dans le lit de sa maîtresse. Alors que l’assassin s’en est très bien tiré, Marie a été jugée coupable des écarts de conduite de son conjoint. Elle a subi beaucoup de rejet et d’injustices. Tous ses biens, y compris sa maison, ont été saisis. Elle a aussi perdu ce qui était à l’époque, selon les historiens, le bien le plus précieux: son honneur.

«Tout au long de ma vie, il m’arrivait de penser à Marie. Plus je vieillissais, plus son destin tragique me touchait. Je voulais en apprendre plus sur elle. Au début de la cinquantaine, ma décision d’écrire un roman inspiré de sa vie s’est peut-être aussi basée inconsciemment en partie sur mon désir de réparer en quelque sorte les injustices et le rejet dont elle a été l’objet. J’aime aussi comprendre et montrer à quel point nos jugements sont tributaires de la mentalité ambiante.

«Comme dans tous les romans, on retrouve une part de fiction. De grands pans de la vie de Marie Major étant inconnus, l’imaginaire a très souvent dû se substituer aux faits vérifiables. Ce que j’ai imaginé est toutefois vraisemblable, car j’étais motivée par le désir de connaître ce qu’elle a pu vivre. J’ai donc tenu compte des réalités de l’époque. Par exemple, je ne peux prouver qu’elle a été enfermée à la Salpêtrière [à Paris], mais des recherches alimentent cette idée, dont celle de l’historien Yves Landry. Il a écrit qu’en 1668, année où Marie est arrivée en Nouvelle-France, plusieurs filles provenaient de la Salpêtrière. Par ailleurs, même si Marie n’a pas vécu tout ce que j’ai décrit, d’autres femmes, à la même époque, l’ont expérimenté. Ainsi, c’est autour du personnage de Marie que se cristallisent différents aspects de la vie des femmes au XVIIe siècle.

«Indirectement, mon plus récent roman, Un souvenir, mille remords, où il est question de la Seconde Guerre mondiale, tant au Québec qu’en France, m’a appris des choses sur ma famille. Mon père pensait souvent à l’un de ses frères, qui, revenu depuis des années de la Guerre de Corée, n’avait jamais repris contact avec sa famille, qu’il chérissait pourtant beaucoup avant son départ. J’ai appris il y a quelques années qu’il a vécu à Montréal jusqu’à sa mort, s’était marié et avait eu un fils. Non seulement a-t-il porté toute sa vie les séquelles de ce qu’il a vu à la guerre, mais il craignait les questions de sa famille: il ne voulait sans doute pas leur révéler ce que cette guerre l’avait forcé à faire et dont il avait honte.»

Daniel Dupuis: Le prof d’histoire qui fait l’histoire

Daniel Dupuis a enseigné l’histoire pendant 35 ans dans les écoles secondaires de la région de Charlesbourg, en banlieue de Québec. Lorsqu’il prend sa retraite en juin 2006, il écrit les aventures des familles Hébert et Couillard, dont il est issu, de 1617 à 1688, dans son roman Le Sault-au-Matelot.

«Guillemette Hébert est arrivée à Québec avec ses parents, Louis Hébert et Marie Rollet, en 1617. Débrouillarde et déterminée, celle que certains ont surnommée « la mère d’une nation » en raison de sa nombreuse descendance a su manœuvrer avec son mari, Guillaume Couillard, pour atteindre un statut social enviable au Sault-au-Matelot au tout début de la ville de Québec et de l’implantation de la Nouvelle-France.

«J’ai voulu faire revivre la vie de mes premiers ancêtres dans un récit historique romancé pour mes enfants et les autres membres de ma famille. Tous les faits racontés sont réels et documentés. J’ai choisi le roman plutôt que l’essai pour qu’ils aient le goût de le lire. Un essai aurait intéressé peu de gens. J’aime le roman historique parce qu’il nous colle au cœur d’une époque et met en scène des personnages réels ou imaginaires dans des situations très probables.

«Mon intérêt pour l’histoire de ma famille est né d’une anecdote de quand j’avais douze ans. J’habitais dans le quartier Limoilou et je fréquentais le collège Saint-Charles. Une fois par mois, nous allions à l’église pour nous confesser et nous passions devant la maison de mon grand-père. Il avait apposé une plaque à la porte où c’était écrit Z.C. Dupuis. Les élèves se moquaient de son nom en l’appelant Zizim Crotté. Je savais que mon grand-père s’appelait Zoël et non Zizim, mais j’ai voulu savoir ce que signifiait le C. C’est ainsi qu’il m’a appris que nous étions des descendants de Guillaume Couillard. Beaucoup plus tard, j’ai commencé à effectuer des recherches généalogiques sur ma famille et j’ai accumulé des tas de documents qui ont conduit le transmetteur de culture que je suis à écrire l’histoire de mes ancêtres.

«Ces recherches qui m’ont mené à l’écriture de mon roman m’ont permis de découvrir la persévérance et le courage que mes lointains parents ont déployés pour faire face aux difficultés de l’époque et combattre les éléments de la nature. J’ai choisi de m’intéresser à leur implantation en Nouvelle-France au XVIIe siècle parce que c’est à cette époque que l’on retrouve le plus de traces de leur passage.

«Cette histoire, rappelons-le, raconte les débuts de la ville de Québec, où il importait en premier lieu de survivre. Au cours de leur vie de survivance et de dangers, ces personnages ont travaillé très fort, ont connu des difficultés, des préoccupations et des inquiétudes très différentes des nôtres. Ils ont connu des joies et des peines, et j’ai essayé de les faire vivre en tenant compte des idées, de la religion, de la politique et du confort de l’époque.

«Des gens me demandent s’il y aura une suite à Le Sault-au-Matelot, mais je ne crois pas que je vais en écrire une, car le vécu de leurs descendants, même s’ils ont fait preuve eux aussi de beaucoup de courage et de persévérance, a été plutôt banal.»

Jean-Claude Gagnon: Passion généalogie

Citoyen de Trois-Rivières, Jean-Claude Gagnon consacre de 40 à 60 heures par semaine à la recherche et à l’écriture généalogiques. Pour ce retraité de la compagnie Bell, l’ennui n’existe pas. C’est devant son ordinateur et non avec une bêche qu’il creuse le sol de ses ancêtres pour trouver les racines profondes de leur passage sur terre.

«Je me souviens très bien à quel moment j’ai commencé à m’intéresser à la généalogie. J’habitais alors dans la région de Gatineau et j’étais allé aux funérailles de mon oncle Gérald Gagnon au Saguenay. Rendu sur place, j’ai réalisé à quel point il y avait là des cousins que je ne connaissais pas. Je suis allé voir les plus vieux de chaque famille et je les ai invités à déjeuner le lendemain afin de leur proposer d’organiser une grande rencontre familiale ici au Saguenay. Je leur ai alors promis d’écrire un livre sur la généalogie de la famille en vue de cette rencontre. C’est comme ça que tout a commencé.

«J’ai écrit au fil des ans une dizaine de livres, tous sur l’histoire et la généalogie. Parmi ceux-ci, j’en ai consacré un à la famille Girouard, ce qui m’a amené à faire un répertoire des prêtres du diocèse d’Ottawa et de Gatineau-Hull; un aux Belzile, qui sont des descendants des Gagnon; un à la petite Aurore Gagnon, mieux connue sous le nom d’Aurore l’enfant martyre et, plus récemment, à la noblesse de la famille Gagnon, en collaboration avec Jean-Paul Gagnon, et aux Gagnon de Rivière-Ouelle à l’occasion des fêtes du 350e anniversaire de cette paroisse. De tous mes livres, celui qui m’a le plus ému est celui que j’ai écrit sur la petite Aurore. C’était bouleversant et ce qui me chagrine le plus est de constater que de tels drames se produisent encore de nos jours.

«Tous mes livres ont été édités à compte d’auteur, car je fais cela pour mon plaisir. Je collectionne tout ce qui se publie dans les journaux sur la petite histoire de la famille. Je possède des milliers de documents sur mon ordinateur, que je partage sur la page Facebook de notre association. J’ai aussi accumulé des milliers de photos et plus de 12 500 cartes mortuaires. C’est devenu une véritable passion pour moi.

«Je n’ai jamais été tenté par l’écriture romanesque. C’est vraiment la généalogie qui m’intéresse. Je n’ai pas d’autres livres en chantier pour le moment, mais je travaille à constituer une banque de données pour l’automne sur les Innus de Mashteuiatsh, la communauté à laquelle appartenait ma mère, qui était autochtone.

«Mes enfants ne sont pas vraiment intéressés par tout cela. C’est pourquoi je prévois léguer le fruit de mes recherches aux sociétés d’histoire du Saguenay et de Trois-Pistoles.»

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