Au cours des dernières années, les médias et les réseaux sociaux ont mis en lumière la dénonciation croissante de soins obstétricaux et gynécologiques considérés violents, irrespectueux, abusifs ou maltraitants. Ces comportements, paroles, gestes ou omissions sont de plus en plus nommés violences obstétricales et gynécologiques (VOG).
Au-delà de la médecine, les VOG sont ancrées dans les violences fondées sur le genre et dans les biais et stéréotypes véhiculés sur les femmes (biologiques ou de genre) et les mères. Plus encore, elles sont l’expression d’une certaine forme de racisme et de colonialisme médical qui rend les personnes racisées et autochtones plus à risque de les subir.
Nous sommes un groupe pluridisciplinaire et multi-universitaire oeuvrant dans les secteurs du droit, de la médecine et de la sociologie, et nous intéressons aux enjeux médicaux, éthiques et juridiques de la violence obstétricale et gynécologique.
Nommer la violence obstétricale et gynécologique
Des travaux canadiens ont identifié des caractéristiques qui nous permettent de mieux définir les VOG:
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des soins entrepris sans le consentement libre et éclairé de la personne
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des pratiques professionnelles ou organisationnelles qui privent la personne de son autonomie reproductive
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une appréciation subjective de l’expérience de soin par la personne patiente.
Les facteurs systémiques sont également centraux dans la survenance de VOG, qui se combinent à ceux relevant de la sphère interpersonnelle entre femmes et membres du personnel de soins. En d’autres termes, il ne s’agit pas que de personnes incompétentes ou malintentionnées. Il s’agit surtout de pratiques professionnelles et organisationnelles, comme les facteurs économiques, la culture professionnelle, et les rapports d’autorité et de hiérarchie entre les membres du personnel et soignant, et entre soignants et patientes. On peut aussi ajouter que les stéréotypes, les préjugés et biais de genre à propos des fonctions reproductives des femmes expliquent, en partie, pourquoi les VOG survienennt.
L’utilisation du terme violence est critiquée, principalement parce qu’il laisse à penser qu’il y a une intention de blesser ou de faire du mal. Certains affirment également que l’utilisation de ce terme peut être considérée comme une forme de violence à l’encontre du personnel soignant.
Néanmoins, il est de plus en plus admis que son utilisation est nécessaire pour permettre de nommer une réalité qui, autrement, est passée sous silence en raison des injustices épistémiques qui affectent souvent les expériences des femmes. Les injustices épistémiques signifient que la parole des femmes n’est pas crue ou prise au sérieux, et que leurs expériences de violence sont considérées comme normales, ignorées ou balayées du revers de la main.
D’après les données disponibles, les VOG surviennent assez fréquemment. Une étude réalisée aux États-Unis rapporte que 17,3 pour cent des participantes ont affirmé avoir vécu de la maltraitance obstétricale. Une enquête menée auprès de femmes ayant accouché en Australie a révélé que 11,6 pour cent des 8 546 répondantes ont vécu de la violence obstétricale. Elles ont rapporté que les soins reçus leur ont laissé un sentiment de déshumanisation, de viol et/ou d’impuissance. Les exemples de violence obstétricale dans cette étude incluent des examens vaginaux sans consentement, et des interventions forcées allant de l’utilisation d’étriers à l’induction de l’accouchement et aux césariennes.
Les violences gynécologiques sont moins documentées, mais certains travaux en France indiquent que des actes médicaux aussi banals que la prescription de pilules contraceptives donnent lieu à des gestes et des paroles qui portent atteinte à la dignité des femmes. On note, par exemple, la négation des souffrances, la culpabilisation des patientes, le jugement, des traitements imposés, la rétention d’informations et la désinformation, et le paternalisme médical.
Nous n’avons pas encore de données quantitatives canadiennes qui permettent de déterminer à quelle fréquence et dans quel contexte les VOG surviennent au Canada. Cependant, dans les années à venir, des études à grande échelle vont répertorier les réalités des femmes au Québec et à travers le Canada.
Faire respecter les droits des femmes
Au centre de plusieurs situations identifiées comme des VOG se trouve une absence de consentement, ou un consentement donné alors que l’information pertinente à la prise de décision n’a pas été communiquée.
Le consentement aux soins se rapporte au respect de l’autonomie, de l’intégrité et de la dignité des femmes, dans des contextes de soins qui touchent directement leur intimité et leur vie privée, et les rendent particulièrement vulnérables.
Plusieurs droits peuvent être mobilisés pour permettre aux femmes de mieux comprendre leurs prérogatives en matière de soins de santé reproductive :
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le droit de consentir (et aussi, de refuser ou de changer d’idée)
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d’être informée de son état et de participer aux décisions touchant son plan de traitement
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d’être accompagnée
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de demander un autre avis professionnel
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de choisir son ou sa professionnel·le, et l’établissement de soins, et
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de recevoir des soins adéquats sur les plans scientifique, humain et social
Au Québec, ces droits sont inscrits dans la Charte des droits et libertés de la personne, le Code civil du Québec et la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Des normes similaires existent dans les provinces et les territoires canadiens.
Cependant, connaître ses droits ne suffit pas pour prévenir les VOG. Il faut aller plus loin : les femmes doivent être en mesure d’exprimer leurs droits et de les exercer au moment opportun.
Ensuite, le personnel soignant doit être au fait de ces droits et réceptif à leur revendication par les femmes. Malheureusement, les patientes craignent trop souvent que poser des questions ou affirmer un désaccord nuira à la relation thérapeutique et résultera en de moins bons soins. Craignant d’être étiquetées comme des patientes «difficiles», elles choisissent souvent de se retirer, à regret, du processus décisionnel lié à leurs soins.
Respecter les différences culturelles, sociales et personnelles
Le respect des droits des femmes devrait également se matérialiser dans les guides, protocoles et directives de soins qui touchent directement leur santé reproductive. En pratique, l’application sans nuances des normes et des guides de pratique peut mener à des VOG, dans la mesure où les besoins et les préférences de chaque femme ne sont pas pris en compte adéquatement.
Au-delà des aspects scientifiques et cliniques qui gouvernent les prises de décisions dans l’élaboration de ces documents, la préoccupation de prendre en compte la perspective et les droits des femmes concernées devrait être primordiale. Pour ce faire, leur participation au processus d’adoption des guides cliniques est nécessaire. Cela permet de faire valoir des spécificités culturelles, sociales et interpersonnelles qui peuvent affecter les besoins, les valeurs et les préférences des femmes visées par les guides.
Bien qu’on ignore actuellement dans quelle mesure celles-ci sont effectivement incluses dans les prises de décisions au Canada, des travaux sont en cours pour mieux comprendre la mise en œuvre effective de leurs droits dans les soins obstétricaux et gynécologiques.
Accès à la justice
Lorsque des VOG surviennent, les mesures de réparation et d’accès à la justice doivent permettre aux victimes de reprendre confiance envers le système de santé et le contrôle de leur autonomie reproductive. Des mécanismes d’imputabilité et de responsabilité doivent offrir des opportunités d’amélioration des pratiques professionnelles et des systèmes pour le personnel soignant, les gestionnaires et les directions.
Au Canada, les recours contre le personnel soignant ou les établissements de soins, en matière civile, déontologique ou criminelle sont possibles. Toutefois, ces recours demeurent difficiles d’accès et parsemées d’obstacles pour les victimes. Ces obstacles concernent, par exemple, les coûts élevés associés aux poursuites en responsabilité civile, de longs délais et les risques de revictimisation liés aux procédures judiciaires.
Il est donc important d’étudier les mécanismes d’accès à la justice qui existent, et de les améliorer afin de réparer le tort causé aux victimes, reconnaître les responsabilités tant systémiques qu’individuelles, et engendrer des changements significatifs dans la dispensation et l’organisation des soins.
Les femmes qui reçoivent des soins obstétricaux et gynécologiques doivent être entendues lorsqu’elles les jugent inadéquats. Elles méritent de participer à définir ce qui constitue, pour elles, des soins de qualité, respectueux de leurs choix et de leurs droits.
Nous remercions les professeures Sylvie Lévesque (Département de sexologie, UQAM), Catherine Régis (Faculté de droit, Université de Montréal) et Emmanuelle Bernheim (Section de droit civil, Université d’Ottawa) pour leur contribution à cette recherche.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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