Le cancer demeure une maladie dont il est difficile de parler. Certains types le sont encore davantage, comme ceux liés aux organes génitaux. Des experts lèvent le voile.
Recevoir un diagnostic de cancer est terrible. Quand il s’agit d’un cancer «tabou», c’est encore pire: à la détresse s’ajoute souvent la honte. Afin que d’autres osent aussi en parler, Marcia Cross, l’actrice américaine connue pour son rôle dans la télésérie Desperate Housewives (Beautés désespérées), a révélé être atteinte d’un cancer de l’anus. S’il s’agit d’un pas dans la bonne direction, il reste beaucoup de chemin à parcourir pour briser les tabous.
Le fait que le virus du papillome humain (VPH) – transmis sexuellement – soit régulièrement à la source des cancers touchant les parties intimes (pénis, vagin, vulve, anus), excepté pour le testicule, contribue à les entourer d’une aura de malaise. Le VPH est aussi le grand responsable des cancers ORL (gorge, bouche, etc.) et du col de l’utérus. Se faire vacciner avant d’être actif sexuellement sert à les prévenir. Et comme il existe divers types de VPH, même si on est infecté par l’un d’eux, on peut quand même bénéficier du vaccin pour se protéger d’autres souches du virus, selon Santé Canada. Que faut-il savoir sur ces cancers?
-> Cancer de l’anus
Peu commun (585 cas au Canada en 2016), deux fois plus fréquent chez les femmes, le cancer de l’anus survient en moyenne vers 60 ans et connaît une légère hausse à cause de son lien avec le VPH et les pratiques sexuelles plus variées. Il est parfois engendré par de précédentes radiothérapies dans la même zone, précise le Dr Tarek Hijal, radio-oncologue et chef de service en radio-oncologie au Centre universitaire de santé McGill (CUSM). C’est d’ailleurs le cas de Gwen, sa patiente (voir notre encadré). Cette dernière a eu un cancer de la vessie 35 ans avant celui de l’anus.
Des saignements, une gêne ou de la douleur figurent parmi les symptômes les plus courants, mais un patient sur cinq n’en a aucun. Le traitement consiste en des séances quotidiennes de radiothérapie durant cinq à six semaines, généralement couplées à de la chimiothérapie au début et à la fin. Si le cancer est très limité, une résection chirurgicale est parfois faite.
Étant donné la proximité du canal anal avec la vulve, le vagin/le pénis, les testicules, «les effets secondaires sont importants pendant et après les traitements; la peau de toute la zone devient très sensible à cause de la radiothérapie», explique le Dr Hijal. Traiter ce cancer peut donc engendrer une sténose vaginale (les parois du vagin se collent ensemble) et les relations sexuelles deviennent douloureuses, voire impossibles. «On peut par la suite utiliser des dilatateurs vaginaux pour essayer de corriger le problème.»
-> Cancer de la vulve
Peu fréquent, ce cancer est inclus dans les cancers génitaux féminins. Ceux-ci représentaient au total 1020 cas au Canada en 2016. Pour les mêmes raisons que celui de l’anus, ce cancer est en très légère hausse. Outre le VPH, les facteurs de risque sont un système immunitaire affaibli et le tabac. «On voit des patientes avec ce cancer presque chaque semaine, témoigne le Dr Philippe Sauthier, chef du département d’obstétrique-gynécologie du CHUM. Elles ont en général de 40 à 50 ans. La majorité sont fumeuses: la peau de la vulve est très sensible à l’effet immunosuppresseur du tabac.» Une autre forme, plus rare, liée au lichen scléreux, une maladie de la peau, touche davantage les femmes de 70-80 ans. La douleur est le principal signal d’alarme. En cas de cancer avancé, il peut y avoir des saignements.
La chirurgie est le traitement de base. On enlève un bout de la vulve et les ganglions dans l’aine, ce qui peut causer des œdèmes dans les jambes. «Les techniques ont évolué, mais ça reste des chirurgies mutilantes, difficiles, qui ont des répercussions sur la sexualité (l’acte avec pénétration peut être difficile), sur la fonction vaginale et sur le schéma corporel.» Selon le médecin spécialiste, «c’est important, quel que soit leur âge, que les patientes osent consulter si quelque chose ne va pas et persiste depuis plusieurs semaines.» S’il y a de gros dégâts, on peut envisager une chirurgie reconstructive.
-> Cancer du pénis
Le cancer du pénis est rare (160 cas au Canada en 2016; 60 décès en 2017) et touche davantage les 60 ans et plus. Les principaux facteurs de risque sont le VPH, le rétrécissement du prépuce, la non-circoncision ou une hygiène sous-optimale. «Il y a peu de douleur et, souvent, les gens vont traiter leur lésion avec toutes sortes de crèmes, et cela retarde le diagnostic. S’il y a quelque chose d’anormal, des rougeurs, des nodules, qu’on est incapable de rétracter le prépuce, on n’attend pas et on consulte», insiste le Dr Paul Perrotte, uro-oncologue et directeur du programme de l’enseignement d’urologie au CHUM.
Le traitement initial consiste à retirer la lésion. «Quand c’est possible, on traite localement avec de la brachythérapie, une forme de radiothérapie pour préserver le pénis.» Les hommes sont habituellement capables de garder une fonction érectile normale. «Quand c’est trop avancé et que la lésion est basse, on fait une pénectomie (amputation du pénis) partielle ou complète…» Dans certains cas, il faut aussi enlever les ganglions inguinaux. «C’est un cancer ayant un impact majeur sur la virilité des patients, sur leur identité d’homme. On a besoin d’une approche comprenant des sexologues, des psychologues pour les soutenir.»
-> Cancer du testicule
Le cancer du testicule est environ sept fois plus fréquent, mais hautement guérissable (97 %), grâce à une approche combinant la chirurgie (ablation du testicule) et la radiothérapie ou la chimiothérapie. Il touche davantage les jeunes, mais avec un autre pic autour de 50 ans. Les causes sont inconnues. «C’est important de se faire un auto-examen des testicules une fois par mois sous la douche, et d’aller consulter si on trouve quelque chose de dur ou d’anormal.» Si le second testicule peut être conservé, il n’y a pas d’incidence physiologique ou sur la fonction sexuelle. «Mais il peut y avoir un impact psychologique: 50 % des hommes veulent une prothèse pour ne pas avoir la moitié du scrotum vide.»
Comment en parler?
«Parler de cancer n’est pas facile», reconnaît le Dr Perrotte, car on veut préserver sa vie privée, mais aussi parce que les proches nous appuient moins qu’on ne le pense. «Ils prennent la situation comme un drame, au lieu de l’envisager comme un problème avec des solutions.»
Néanmoins, pour lever les tabous, il faut en parler – au moins avec des professionnels de la santé – insistent les trois médecins spécialistes, afin d’éviter que le cancer ne dégénère, se propage, provoque de grandes souffrances et qu’on n’arrive pas à le soigner. Il faut aussi éduquer. Par exemple, le fait de savoir que jusqu’à 75 % de la population sexuellement active aura au moins une infection au VPH dans la région anogénitale durant sa vie permet «de dédramatiser et de déculpabiliser, parce que le VPH est juste un marqueur de sexualité, point», souligne le Dr Sauthier.
En plus d’avoir des répercussions sur la vie en général (douleurs pour aller aux toilettes), ces cancers ont des conséquences psychologiques. «Toutes sortes de cancers prêtent au jugement et au rire en coin, parce que les gens se disent: « Mais qu’ont-ils fait? »» constate Violaine Dasseville, psychologue et art-thérapeute, dont l’oncologie fait partie du champ d’expertise. «Même un cancer de la gorge, parce qu’il est souvent lié au VPH, peut avoir l’air honteux.» En plus du diagnostic, les patients sont confrontés à des situations gênantes (comme exposer leurs parties intimes au médecin) et se disent: «Qu’est-ce que les autres vont penser?»
Pour toute personne anxieuse socialement ou ayant des difficultés avec l’estime de soi, la psychologue suggère de consulter, d’autant plus si le cancer réveille un traumatisme passé, un abus sexuel notamment. «Ça vient compliquer le rapport au corps que ces patients peuvent avoir.
Appeler un chat un chat… ou pas!
Un cancer, c’est difficile à traverser, poursuit Violaine Dasseville. «Il faudrait en plus que les gens disent la vérité toute crue sur ce qui leur arrive? On n’a pas besoin de tout dire, à moins de savoir qu’on sera accueilli. Sinon, pourquoi se faire du mal? Il faut prendre soin de soi. On ne peut pas mener toutes les guerres!» La psychologue suggère d’essayer de trouver des façons, avec les gens aux prises avec ces types de cancers, de construire un discours autour de leur maladie leur permettant de se sentir à l’aise, de la porter socialement.
«Les thérapies brèves orientées vers les solutions peuvent être très aidantes. Quand il s’agit de cancers mutilants, il y a tout un travail à faire sur l’acceptation, sur l’image corporelle, sur comment réinvestir cette zone autrement dans la sexualité.» Les démarches en art-thérapie peuvent s’avérer bénéfiques. «On travaille l’image du corps et on apprend à le réapprivoiser, à se le réapproprier par le modelage.»
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