Au début de la quarantaine, puis à 45 ans, Sylvie Hamel a demandé à son médecin de lui prescrire une analyse sanguine pour déterminer son taux de cholestérol. Chaque fois, son médecin a refusé. «Vous êtes naturellement protégée contre la maladie cardiaque jusqu’à la ménopause, lui a-t-il répondu. Pas d’inquiétude à y avoir, par conséquent, avec votre cholestérol.»
L’attitude du médecin ne surprend pas. Ils sont encore nombreux, dans la profession médicale, à croire que les femmes ne risquent l’infarctus qu’à partir de 60 ans. Pourtant, 9 000 Américaines de moins de 45 ans meurent chaque année d’une crise cardiaque. Les femmes continuent de croire qu’elles sont surtout menacées par le cancer du sein et elles connaissent bien les statistiques voulant que 1 femme sur 8 en soit atteinte au cours de sa vie.
Elles continuent d’ignorer que 1 femme sur 3 mourra pourtant du coeur! Chaque année, 40 000 Canadiennes s’éteignent ainsi, ce qui fait de la maladie cardiaque le tueur numéro un, affirmait le magazine Time l’an dernier. Selon Statistique Canada, les femmes meurent 10 fois plus d’une maladie cardiaque que de toute autre maladie.
L’organisme fédéral prévoit que les décès par maladie cardiaque chez les femmes augmenteront de 28% au cours des prochaines années, alors que ce taux demeurera stable chez les hommes.
Attention aux symptômes!
Mais pourquoi donc les femmes seront-elles emportées plus que les hommes par une histoire de coeur? L’une des explications tient peut-être au manque de connaissances, tant chez les femmes elles-mêmes que chez les professionnels de la santé, en ce qui concerne la maladie cardiaque féminine.
Les symptômes de la maladie, en effet, ne sont pas les mêmes pour la femme et pour l’homme, ceux de l’homme étant largement connus. Douleur au thorax, douleur au bras gauche qui irradie dans le cou et la mâchoire, souffle court, fatigue, sueurs froides: 8 fois sur 10, c’est ce qu’un homme au bord de l’infarctus présente comme symptômes; chez une femme, 2 fois sur 10 seulement. Les symptômes féminins commencent à ressembler à ceux de l’homme à partir de 70 ans seulement, pour des raisons que les médecins ignorent encore. «L’histoire classique du gars de 45 ans qui se remet au hockey pour reprendre la forme et qui meurt subitement d’un infarctus n’existe à peu près pas chez la femme», explique la cardiologue Anique Ducharme, rattachée à l’Institut de cardiologie de Montréal et professeure à la faculté de médecine de l’Université de Montréal.
«Quand une femme parle de ses symptômes au médecin, celui-ci juge souvent que ce sont les nerfs ou de l’hypocondrie. Quand elle arrive à l’urgence devant l’imminence d’un infarctus, elle se fait souvent dire : nous ne savons pas ce que vous avez», ajoute la cardiologue Thao Huynh, qui travaille à l’Hôpital général de Montréal, enseigne à la faculté de médecine de l’Université McGill et s’intéresse de près à la santé cardiovasculaire des femmes depuis 10 ans.
Les symptômes féminins sont atypiques
À 48 ans (elle en a aujourd’hui 55), Christiane Grenier, cadre chez Desjardins, éprouvait des essoufflements depuis 6 mois et entendait son cœur battre à tout rompre au moindre effort. Elle avait parfois une douleur au dos. Un soir, étourdie, très mal en point, elle se fait conduire à l’hôpital. L’électrocardiogramme ne montre strictement rien. En lui donnant congé le lendemain matin, le médecin lui remet une ordonnance «pour les nerfs». Quelques jours plus tard, elle revient à l’hôpital avec des douleurs à la poitrine. Pendant cinq jours, elle reste sous observation, branchée, puis est finalement transférée en cardiologie à l’Hôpital général de Montréal. «Ni moi ni les médecins que j’ai rencontrés n’avons pensé au cœur, raconte-t-elle. Je souffrais pourtant d’angine. Lors de mes crises, dans les urgences, on me demande encore: “Avez-vous mal au bras gauche, au cou, à la mâchoire?” Je n’ai jamais eu mal à ces endroits. Ni ma soeur, d’ailleurs, suivie depuis des mois par un médecin qui n’a jamais soupçonné que son coeur était atteint. Quand elle a fait un infarctus, le cardiologue lui a dit que 25% de son coeur était très abîmé avant son infarctus. Ma mère, qui souffre également de problèmes cardiaques, n’a jamais ressenti un seul des symptômes classiques au bras et à la mâchoire.»
Ordinairement, les symptômes féminins sont donc atypiques. «Douleurs au dos entre les omoplates, douleurs ou brûlures à l’estomac, vomissements, fatigue, essoufflement… L’une de mes patientes éructait beaucoup pendant ses crises d’angine», indique Thao Huynh. Ce qui complique encore ce tableau, c’est que, durant la ménopause, les femmes éprouvent aussi ce genre de symptômes, sans que ce soit de l’angine: pesanteur, irradiations, problèmes gastriques, essoufflement. «Mais on doit rester attentive, conseille Thao Hyunh. J’aime mieux 10 fausses alertes qu’un cas réel raté!»
Cela dit, la cardiologue invite les femmes qui ne fument pas, n’ont ni diabète ni histoire familiale redoutable à se détendre. Elle les invite également à rester attentives aux symptômes d’ordre gastrique: ce sont les plus fréquents indicateurs de maladie cardiaque chez les femmes.
Plaquettes diffuses
Les fameuses plaquettes de graisse qui tapissent les artères diffèrent aussi chez les deux sexes. On sait qu’elles se déposent par endroits localisés chez les hommes et, quand elles se détachent, c’est l’infarctus potentiel. Chez les femmes, les plaquettes ont tendance à se répandre uniformément sur toute la longueur des artères, ce qui pose des problèmes supplémentaires. Par exemple, pendant une angiographie, la caméra qui se promène dans les artères à la recherche de blocages ne trouve pas forcément de plaquettes significativement grosses chez la femme. «Résultat: elle peut ne pas être traitée convenablement, en raison de l’absence de signes évidents, déplore Thao Nuynh. Il est également plus difficile de lui faire un pontage, la maladie étant plus diffuse.»
On appelle angine la fameuse douleur au thorax quand le cœur ne reçoit pas le sang ni l’oxygène dont il a besoin. C’est souvent le premier signe qu’il en arrache. Or, l’angine des femmes est moins bien diagnostiquée. En raison des plaquettes diffuses, ses artères coronariennes éprouvent parfois des spasmes, lesquels expliquent sa douleur. Un spasme n’est pas un blocage, mais le résultat est le même. C’est ce que commencent tout juste à comprendre les médecins.
Un homme atteint d’angine est immédiatement traité, et de façon vigoureuse. On lui prescrit une aspirine par jour dès 50 ans pour prévenir l’infarctus, alors que cette indication n’est même pas encore étudiée pour la femme. Faute de résultats aussi tangibles durant les examens, elle n’est pas traitée aussi systématiquement.
Les risques
Les risques
Les risques, quoique globalement semblables d’une source à l’autre, diffèrent dans leur ordre d’importance selon l’interlocuteur. Pour la cardiologue Thao Huynh, le plus grand risque que courent hommes et femmes réunis, c’est la cigarette. Arrive ensuite le diabète de type I (insulinodépendant). En troisième lieu, l’histoire familiale : un proche parent (père ou mère, frère ou sœur) qui a fait un infarctus avant 60 ans pour les femmes et avant 50 ans pour les hommes. Enfin, il y a l’âge.
La cardiologue Anique Ducharme cite une étude publiée au début de 2005, portant sur 14 000 patients européens, australiens et asiatiques arrivés en trombe à l’urgence en raison d’un infarctus. «L’étude montre que 9 facteurs de risque bien identifiables comptent pour 90% des infarctus, explique-t-elle. Tabagisme et lipides anormaux sont les deux principaux, puis diabète, hypertension, obésité tronculaire, manque d’activité physique, alimentation, consommation d’alcool et autres facteurs psychosociaux comme un stress important.»
Il est très difficile d’isoler les facteurs de risque les uns par rapport aux autres. Par exemple, bien manger et faire de l’exercice ne fait diminuer le risque global que de 10% à 15%, si l’on se confine à ces seuls facteurs de risque. Sauf que bien manger et faire de l’exercice contribue à mieux contrôler la tension artérielle, à abaisser le cholestérol et à tenir à l’écart le diabète chez des patientes susceptibles d’en faire, ou du moins à mieux le contrôler s’il se développe quand même. Une bonne hygiène de vie offre somme toute une protection supplémentaire.
Les femmes qui ne fument pas, ne font pas de cholestérol et ne souffrent pas de diabète ne deviennent pratiquement jamais clientes d’un cardiologue avant la soixantaine. Les hommes, par contre, sans exception, sont à risque dès 50 ans.
Bien s’alimenter
Pour Anique Ducharme, les gras cachés de notre alimentation constituent un important cheval de bataille. «On a facilement bonne conscience en mangeant un muffin au son chez le fabricant de beignes… Mais il faut savoir que cette collation est bourrée de gras!»
Quand elle a commencé sa pratique, il y a 10 ans, tous les médecins de l’hôpital passaient dans la chambre d’un patient ayant fait un infarctus avant 40 ans: c’était un cas rare. «Aujourd’hui, on voit nos patients arriver 10 ans avant leurs parents en cardiologie. C’est la génération McDonald rendue à l’âge adulte…», conclut-elle.
La fameuse cigarette…
Arrêter de fumer diminue le risque de développer une maladie cardiaque de 50%. «En arrêtant, à l’intérieur d’une seule année, votre risque devient égal à celui de la population du même âge qui n’a jamais fumé, explique la Dre Thao Huynh. C’est très rapide si l’on pense que pour diminuer son risque de cancer d’autant, ça prend huit ans.»
Le cholestérol et l’hormonothérapie
Le cholestérol et le Québec
Le Québec est l’un des rares endroits dans le monde où le taux de cholestérol est si élevé, chez les deux sexes. Plus élevé que chez les Américains, pourtant plus sédentaires, et que chez les Canadiens anglais. «C’est en raison d’un gêne de consanguinité qui remonte aux Filles du roi, explique la Dre Thao Huynh. Dans le monde, ce gène est réparti à raison de 1 sur 100 000. Au Saguenay, il touche 1 personne sur 500… Hétérozygote, donc porteur d’allèles (gênes de même fonction, situés au même niveau et portés sur les chromosomes d’une même paire) différents, vous êtes à risque de faire un infarctus à 40 ans. Homozygote, donc porteur d’allèles identiques, vous pouvez faire un infarctus très jeune, soit à 18 ou 20 ans.» En d’autres mots, les Québécois ont intérêt à connaître leur taux de cholestérol et à conserver un taux de HDL (bon cholestérol) haut.
Hormonothérapie: attention!
On a longtemps cru que l’hormonothérapie continuait d’assurer la protection naturelle qu’ont les femmes contre les maladies cardiaques jusqu’à la ménopause. Or, c’est tout faux. «Au contraire, l’hormonothérapie augmente leur risque de maladie cardiaque, confirme la cardiologue Thao Huynh. Nous pensons que c’est la progestérone, qu’il faut combiner avec les œstrogènes dans l’hormonothérapie, qui enlève le bénéfice. Ce qui se traduit par de nouvelles recommandations: si vous prenez des hormones de remplacement durant la ménopause, n’en prenez pas pendant plus de cinq ans.»
Mise à jour: septembre 2007
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