L’actualité fait souvent état de recherches qui établissent une corrélation entre jeûne et meilleure santé, incitant des gens à s’abstenir de manger pendant un certain temps. Est-ce vraiment une bonne idée?
Loin d’être un phénomène de mode, le jeûne date de la nuit des temps et fait partie des traditions de nombreuses religions. Pensons au carême et au ramadan, par exemple. La durée, la fréquence et les modalités diffèrent d’une religion à l’autre, mais dans tous les cas, ces périodes de jeûne sont un moyen de revenir à l’essentiel, de se recentrer sur le spirituel, de «se nettoyer» l’âme et le corps. Encore dans les années 1960-70, les gens observaient chaque jour, naturellement, de courts jeûnes (de 12 à 14 heures de suite), tandis qu’aujourd’hui, en plus de grignoter constamment durant la journée, beaucoup prennent une dernière collation juste avant de se coucher.
Plusieurs études, dont celles de Valter Longo, chercheur et fondateur de l’USC Longevity Institute, en Californie, ou celles du professeur Mark Mattson, chef du laboratoire de neurosciences au National Institute on Aging, dans le Maryland, prêtent de nombreuses vertus au jeûne. Le jeûne intermittent (dont il existe diverses variantes), en particulier, réduirait les maladies inflammatoires et les facteurs de risques liés aux maladies cardiovasculaires, au diabète et au cancer, et améliorerait les fonctions immunitaires et cognitives, en plus d’être un antiâge global.
Au Canada, le Dr Jason Fung, néphrologue à Toronto, cofondateur du programme Intensive Dietary Management (IDM) et auteur du Guide complet du jeûne, croit en cette méthode pour perdre du poids, inverser le diabète de type 2 et diminuer toutes les complications – voire éviter les maladies – liées à l’obésité et au diabète de type 2. Il est toutefois un des rares médecins canadiens à utiliser le jeûne à cet effet.
La majorité des praticiens de la santé ne sont toutefois pas aussi enthousiastes, vu le manque de données scientifiques et d’études suffisamment longues. «Ces théories n’ont jamais été véritablement vérifiées», estime le Dr José Morais, gériatre et nutritionniste, professeur agrégé et directeur de la division médecine gériatrique à l’Université McGill. «On n’a aucune preuve que c’est bénéfique à moyen ou à long terme parce qu’on n’a pas de telles données, renchérit le Dr Dominique Garrel, endocrinologue et professeur affilié au département de nutrition de l’Université de Montréal. Cela dit, on ne le saura [sans doute] jamais, car il est peu probable qu’un nombre suffisant de gens s’astreigne à une telle diète pendant 5 à 10 ans.» Le Dr Mickael Bouin, directeur du Laboratoire de neurogastroentérologie et motricité digestive du CHUM, affiche les mêmes réserves: «De ce qu’on lit dans les articles scientifiques, le jeûne est considéré comme un stress physiologique, donc plutôt néfaste. Même pour les maladies où le tube digestif est malade ou dans les cas de pancréatite, il n’y a pas de bénéfices. Au contraire, on a démontré qu’il fallait éviter de jeûner!»
Je jeûne, donc je maigris?
De façon générale, en Amérique du Nord, nous mangeons plus que nécessaire. Résultat: on grossit et on augmente nos risques d’avoir divers problèmes de santé. «Le jeûne est-il une solution à ces problèmes-là? Ma réponse est non», rétorque le Dr Morais. Logiquement, ne pas se nourrir fait maigrir. Mais est-il sain de se priver durant de longues heures de suite, à répétition? Et est-ce plus efficace que de réduire l’apport calorique à chaque repas? Le Dr Jason Fung le croit: «Si on ne mange rien, notre corps est forcé de changer de source de carburant: il brûlera de la graisse. Et lorsque vous jeûnez régulièrement, votre métabolisme s’habitue et reste relativement stable, tandis que si vous diminuez le nombre de calories à chaque repas, il ralentit et ça devient difficile de perdre du poids.»
Certes, sauf que la raison pour laquelle c’est si difficile, c’est qu’à mesure qu’on perd des kilos (peu importe la méthode), le corps s’ajuste et dépense moins d’énergie, même au repos, explique le Dr Morais. Pour lui, jeûner n’est pas un moyen de vivre en santé: «Ces épisodes de jeûne prolongé provoquent des moments de faim intense. Ça crée de la souffrance et les gens ne sont pas capables de l’endurer à long terme. Ils abandonnent alors cette façon de vivre parce que ce n’est pas normal, et ils refont de l’embonpoint.» Le nutritionniste estime que, pour perdre du poids, il faut plutôt créer un déficit calorique à chacun des trois repas de la journée. «C’est la meilleure méthode, qui préserve toujours une certaine satisfaction et une qualité de vie.»
Bien sûr, on recommande en plus de manger modérément, de ne pas grignoter entre les repas et d’avoir une diversité de produits dans nos assiettes. «Il faut adopter de saines habitudes alimentaires, corrobore le Dr Bouin. Ça, on a pu démontrer que c’est bénéfique. On a des tonnes de preuves! Notamment en mangeant moins de protéines animales, comme le préconise le nouveau Guide alimentaire canadien. Les régimes ou les diètes sont à proscrire. Il ne faut pas se faire du mal et se priver ainsi.»
Diète et diabète
Perdre du poids est souvent recommandé quand on souffre du diabète de type 2. Si on fait, sur une base régulière, un jeûne intermittent (par exemple, 16 heures de suite sans manger, 6 jours par semaine), non seulement on va maigrir, mais notre glycémie va baisser, avance le Dr Fung. La glycémie diminuera en effet si on ne mange pas, reconnaît le Dr Garrel. Cependant, l’endocrinologue précise que c’est le soir qu’il faudrait manger léger, car quand on ne mange pas le matin, cela diminue la production de l’hormone GLP-1 (sécrétée par l’intestin lorsqu’on mange, elle contrôle la production d’insuline), ce qui impacte négativement la tolérance aux repas du midi et du soir. De plus, l’hémoglobine glyquée, soit l’indice de contrôle du diabète, monte.
Ayant quelques patients diabétiques qui font le ramadan et ne mangent rien environ 14 heures chaque jour durant un mois, le Dr Garrel a pu constater que non seulement ils ne perdent pas de poids, mais que «c’est surtout mauvais pour le diabète, parce qu’ils mangent beaucoup dans un court laps de temps et ils le font durant la nuit. Or, lors de repas nocturnes, on assimile moins bien les aliments et le taux de sucre augmente davantage.»
Quant au jeûne alternatif, qui consiste à manger un jour sur deux, quelques données récentes montrent qu’on peut ainsi améliorer le contrôle du diabète pour autant qu’on fasse attention à ce qu’on mange le jour où on ne jeûne pas. Le Dr Garrel doute toutefois qu’on puisse tenir le coup à long terme. «Les gens finissent par abandonner toutes ces diètes aberrantes.» En fait, d’après la littérature scientifique, «le seul élément qu’on a trouvé, c’est que consommer des graisses végétales plutôt qu’animales a un effet protecteur de l’ordre de 20 à 30 % sur l’occurrence du diabète chez les gens prédisposés. Et chez ceux dont le diabète est diagnostiqué, la diète méditerranéenne est bénéfique pour prévenir les complications cardiovasculaires.»
Garder des réserves
Selon Mark Mattson, le jeûne réduit l’inflammation et le stress de l’oxydation. De plus, lorsqu’on prive les rats de nourriture un jour sur deux en laboratoire, cela aiderait au maintien de leurs fonctions cognitives, les protégerait contre l’alzheimer, le Parkinson, les AVC, et prolongerait leur vie. «La relation entre nourriture et cognition est complexe, déclare le Dr Morais. Quand on a faim, une décharge adrénergique nous oriente vers la recherche de nourriture, ce qui nous rend beaucoup plus attentif. Mais je ne pense pas que la maladie d’Alzheimer puisse être traitée par le jeûne. Au contraire, quand on est sous-alimenté, au bout d’un certain temps, le phénomène inverse se produit: l’attention diminue et on manque d’énergie.»
Pour le Dr Jason Fung, le processus d’autophagie, activé lorsqu’on est privé de nourriture, confère au jeûne certaines propriétés antiâge. Cette sorte de «nettoyage du printemps», explique-t-il, fait en sorte que le corps décompose les protéines déficientes et nous en débarrasse, puis, quand on recommence à manger, les remplace par ce dont il a besoin. L’autophagie est effectivement un mécanisme de régénération des tissus, reconnaît le Dr Garrel, «mais ça se fait de toute façon», dit-il. «Ce processus de recyclage est toujours en train de se produire, confirme le Dr Morais. C’est un cycle qui se répète trois fois par jour si on mange trois repas par jour.»
Notre corps est en effet une merveilleuse machine: durant les repas, on remplit nos cellules. Dans l’état à jeun qui suit, on cherche ce qu’on est allé déposer pour le remettre en circulation. «Mais il faut penser au maintien de l’intégrité du corps et à la capacité de fonctionnement de tous les organes, poursuit le gériatre. Durant de plus grandes périodes de jeûne, à un moment donné, on n’a plus de réserves et on commence à détruire des cellules et d’importantes composantes associées à la bonne santé.»
Pas de jeûne si…
On a le diabète de type 1, des troubles du comportement alimentaire, qu’on est très malade, maigre, enceinte ou qu’on allaite, qu’on est un enfant ou une personne très âgée. Le jeûne doit aussi être évité quand on se prépare à un traitement difficile, comme une chimiothérapie. «Ça affaiblit, explique le Dr Mickael Bouin. On se met en état de catabolisme en puisant dans nos réserves. Or, il ne s’agit pas uniquement de réserves de graisse, mais aussi de protéines et de glucides, et elles sont vite épuisées.»
On est en bonne santé? Dans ce cas, les Drs Dominique Garrel, José Morais et Mickael Bouin reconnaissent qu’on peut sans danger passer 24 heures sans manger, mais ils n’en voient pas l’intérêt. Selon eux, c’est un stress inutile pour l’organisme et ce n’est pas une façon de vivre en santé. «Par contre, il faut être conscient que, bien souvent, nous mangeons plus qu’il ne le faut, souligne le Dr Morais. Mieux vaut donc modérer nos apports alimentaires. La meilleure façon de vieillir en santé, c’est de consommer une nourriture saine, variée, régulière, et d’éviter de manger entre les repas. Cette approche est beaucoup plus saine que de jeûner.»
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