Les maladies cardiovasculaires (MCV) sont la principale cause de mortalité dans le monde. Selon la Global Burden of Disease Study qui compile et analyse des données sur la santé de la population dans 204 pays, le nombre de cas de MCV a presque doublé entre 1990 et 2019, passant de 271 millions à 523 millions à l’échelle mondiale.
Parallèlement, la mortalité liée aux MCV a connu une augmentation constante, passant de 12,1 millions de décès à 18,6 millions pour la même période.
Il est primordial, afin de les prévenir et de les traiter, de tenir compte du sexe. Les MCV chez les femmes sont souvent mal diagnostiquées, sous-estimées et sous-traitées. De plus, l’incidence des MCV varie selon le sexe et l’âge: elle est plus élevée chez les hommes adultes, tandis qu’elle augmente chez les femmes après la ménopause.
Or, de récentes recherches suggèrent que le genre a également un effet sur l’incidence d’une MCV, d’où la nécessité de le considérer dans la recherche.
Notre équipe de recherche réunit des chercheurs provenant de plusieurs disciplines, comme la santé et sécurité du travail, l’épidémiologie et la santé des populations. Elle s’attarde notamment aux facteurs individuels et organisationnels qui influencent la santé des travailleurs. Les agences de santé publique (comme l’OMS), les gouvernements, les organismes de financement et les revues scientifiques exigent de plus en plus que la recherche en santé publique et dans d’autres domaines tienne compte du sexe et du genre pour mieux comprendre les inégalités de santé entre les femmes et les hommes.
Les inégalités dans la recherche
On sait déjà depuis plusieurs années que l’incidence des MCV varie selon le sexe et l’âge. Elle est par exemple plus élevée chez les hommes adultes, mais en augmentation chez les femmes après la ménopause.
On observe d’ailleurs des inégalités dans la recherche sur les MCV, laquelle se concentre majoritairement sur les hommes. Les femmes se retrouvent ainsi sous-représentées, ce qui peut compromettre l’efficacité des stratégies de prévention mises en place. Ceci souligne la nécessité d’examiner les différences entre les sexes dans le développement des MCV.
Or, au-delà du sexe, le genre constitue également un critère qui, selon diverses études, pourrait influencer l’efficacité des stratégies de prévention mises en place.
Le sexe et le genre
Le sexe et le genre, même s’ils sont différents, sont étroitement liés et influencent tous deux la santé.
Le sexe, qui réfère à un ensemble d’attributs biologiques, expose les femmes à un risque plus élevé d’accident vasculaire cérébral à différentes périodes de leur vie, par exemple durant la grossesse et la ménopause. Le genre, en revanche, n’est ni inné ni statique. C’est un concept dynamique, lié aux rôles, attentes et comportements sociaux.
Les résultats d’une étude récemment publié par notre équipe de recherche sur l’association entre le genre et l’incidence de MCV suggèrent que le genre influence le risque de MCV de manière différente selon le sexe. En effet, on observe que les hommes ayant des caractéristiques traditionnellement associées aux femmes (ex. niveau d’éducation plus faible, avoir un emploi caractérisé par peu d’exigences physiques) ont une augmentation de 42% du risque de MCV comparativement aux hommes ayant des caractéristiques traditionnellement associées aux hommes. Ce résultat souligne l’importance des stratégies de prévention tenant compte à la fois du sexe et du genre.
Or, il est difficile de considérer le genre lorsqu’on utilise des données déjà existantes, car elles contiennent rarement une mesure directe du genre. Pour pallier ce manque, nous proposons dans notre article une nouvelle mesure du genre pour les études de santé utilisant des données secondaires.
Lacunes des mesures regroupant des variables liées au genre
Des chercheurs ont suggéré par le passé des mesures regroupant des variables liées au genre. Notre équipe constate toutefois qu’elles présentent d’importantes limites, que nous tentons de surmonter dans notre étude. À titre d’exemple, l’une de ces mesures inclue des variables qui ne sont pas habituellement pas mesurées dans les études en santé (telles que le niveau de responsabilité à l’égard des soins et le niveau de la discipline des enfants du ménage).
Cela rend cette mesure plus difficile à généraliser et à réutiliser par d’autres chercheurs. Une autre mesure a quant à elle inclus des variables qui à l’instar du genre, sont susceptibles d’être des facteurs de discrimination, comme l’orientation sexuelle ou la citoyenneté. Or, on estime que l’inclusion de ces variables pourrait entraîner une classification erronée des individus, et donc fausser la mesure et ses associations avec la santé.
Pour répondre à ces enjeux, nous avons développé un indice de genre permettant d’intégrer cette dimension a posteriori dans des bases de données qui n’en tiennent pas compte, tout en contournant les limites précédemment évoquées. Notre étude avait aussi pour but de voir si cet indice est associé au risque de maladies cardiovasculaires, peu importe le sexe.
Notre équipe de recherche propose une méthode en quatre étapes pour créer cet indice.
1. Sélection des variables liées au genre
Pour identifier les variables liées au genre dans notre base de données, nous avons utilisé une définition selon quatre dimensions, comme suggéré par les Instituts de recherche en santé du Canada.
Voici les dimensions ainsi que les variables autodéclarées que nous avons considérées.
1) Les rôles de genre: état civil, heures travaillées par semaine, charge familiale, exigences physiques et psychologiques du travail et latitude décisionnelle du travail.
2) L’identité de genre: les traits de personnalité (colère, cynisme et hostilité).
3) Les relations de genre: soutien social en dehors du travail et au travail.
4) Le genre institutionnalisé (qui fait référence à la manière dont le pouvoir et les ressources sont distribués en fonction du genre): niveau d’éducation et catégorie d’emploi.
Notre posture initiale consistait ainsi à supposer que ces variables sont liées au genre, car elles sont traditionnellement différentes chez les femmes et les hommes.
2. Confirmation d’une liste finale de variables liées au genre
Pour confirmer la pertinence des variables incluses dans notre liste, nous avons conservé uniquement celles qui prédisent le sexe.
La raison est simple: les caractéristiques associées au genre sont influencées par les normes sociales et les attentes. Celles-ci sont généralement attribuées aux hommes et aux femmes de manières très distinctes et changent avec le temps, ainsi que d’une culture à l’autre.
Donc, en appliquant la méthode LASSO dans un modèle de régression logistique, nous avons été en mesure 1) d’exclure les facteurs qui sont moins pertinents et 2) d’augmenter la précision de notre prédiction.
Au terme de cette étape, nous avons exclu la variable d’hostilité. En retirant la variable d’hostilité, notre modèle est devenu plus fiable pour différencier les sexes. Cette variable brouillait les résultats ou n’aidait pas vraiment. Sans elle, le modèle a gagné en précision et en cohérence.
3. Attribution d’un score de genre
Nous avons ensuite calculé un score de genre pour classer les participants. Ce calcul a été fait en fonction des caractéristiques masculines et féminines confirmées à l’étape précédente.
Il indique la probabilité d’être une femme (entre 0 et 1) pour chaque personne interrogée. Les scores les plus bas sont interprétés comme des traits plus masculins alors que les scores plus élevés reflètent un niveau plus élevé de traits féminins.
Autrement dit, cette mesure de genre est vue comme un continuum de la masculinité (scores de genre vers 0) à la féminité (scores de genre vers 1). Les sujets ayant un score proche de la moyenne représentent à cet égard le type de genre androgyne. Cette mesure est divisée en trois groupes (ou terciles), en fonction de seuils prédéterminés. On y regroupe ainsi les individus selon leurs caractéristiques à prédominance masculines (T1), intermédiaires (T2) et féminines (T3).
4. Validation de la mesure de genre
Enfin, pour valider notre mesure nous avons examiné la correspondance entre le genre et le sexe.
Comme prévu, la majorité des hommes se retrouvaient dans le tercile 1, et la plupart des femmes dans le tercile 3. Cependant, une partie des hommes et des femmes n’entrait pas dans ce schéma, ce qui montre que le sexe et le genre ne sont pas totalement liés. Ils sont donc partiellement indépendants, car certaines personnes avaient des scores de genre qui ne correspondaient pas complètement à leur sexe.
L’utilisation de cet indice par différents chercheurs pourrait leur permettre de mettre en évidence des différences liées au genre qui n’auraient pas pu être observées en se basant uniquement sur le sexe.
Vers davantage d’égalité en recherche?
Notre mesure vient combler certaines lacunes en ce qui a trait à la considération du genre dans les études de santé utilisant des données secondaires.
Inclure à la fois le sexe et le genre dans la recherche en santé pourrait rendre les stratégies de prévention plus adaptées à tous et à toutes. Pour y parvenir, les études qui réutilisent des données existantes pourraient s’inspirer de notre méthode pour créer des mesures du genre adaptées à leur culture et à leur contexte.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.