Au bout d’un certain temps, l’épuisement des proches se fait sentir. Et celui-ci n’est pas à négliger puisqu’une étude a montré qu’une personne âgée qui en aide une autre accroît son risque de mortalité de 63 % durant les 4 premières années à donner des soins.
La tendance veut toutefois que l’on garde la personne atteinte d’Alzheimer à la maison le plus longtemps possible, les fonctionnaires estimant que le coût de l’hébergement est socialement trop élevé! N’en survient pas moins, un jour ou l’autre, la délicate question: doit-on ou non placer la personne atteinte?
«C’est la question la plus difficile qui soit pour les proches qui aident le malade, laquelle déclenche souvent une crise familiale, soutient Jennifer Griffith, ergothérapeute à l’Institut de gériatrie de Sherbrooke, qui participe actuellement à une étude visant à faire la lumière sur la prise de décision liée au placement, sous la direction de l’infirmière Chantal Caron. Nous voulons découvrir pourquoi, quand et comment se prend une telle décision.»
En cette matière, rien n’est simple. Par exemple, selon une étude, même quand l’institutionnalisation devient possible, peu de familles choisissent cette option; elles continuent plutôt de soigner à la maison en éprouvant autant de difficultés que d’autres familles ayant pris la décision contraire. Une autre étude montre que des soignants naturels ayant placé leur bien-aimé en maison de soins éprouvent moins de plaisir à continuer de soigner que d’autres n’ayant pas eu recours à l’institutionnalisation. Bref, on trouve de tout et son contraire. Seule unanimité jusqu’à maintenant chez toutes les personnes qui participent à l’étude de Chantal Caron: les services d’appoint (bain, ménage, popote roulante, infirmière, etc.) sont insuffisants ou inadéquats la majeure partie du temps.
Jusqu’à aujourd’hui, les chercheuses ont interviewé 14 aidants après que les personnes qu’elles soignaient ont été hébergées. Elles sont maintenant en train d’interviewer, aux 6 mois et jusqu’en 2008, 18 proches qui aident encore des personnes atteintes dans leur milieu naturel.
Les facteurs à considérer par les aidants naturels
Qu’ont-elles découvert à ce jour? Qu’il existe des facteurs qui prédisposent au placement. Par exemple, quand l’aidant n’a plus de relation interpersonnelle significative avec la personne atteinte. Quand celui qui aide devient très stressé. Quand la charge de l’aidant augmente considérablement en raison de l’incontinence ou de l’errance du malade. «En fait, plus la prise en charge est longue, plus l’aidant s’épuise, plus devient imminente la décision de placer», précise Jennifer Griffith. Celle-ci arrive encore plus vite quand l’aidant ne connaît pas grand-chose sur la maladie d’Alzheimer et n’arrive pas à établir de routine convenable au quotidien.
Devant ces constats, les chercheuses sont en train d’élaborer un modèle théorique qui recense toutes les considérations importantes dans la décision de placer ou non. Par exemple, chez la personne atteinte, sont analysés son niveau d’autonomie, sa capacité à prendre des décisions, les différentes manifestations de la maladie, la dynamique qu’elle entretient avec les autres membres de la famille. Chez l’aidant, on tient compte de ses autres obligations, de ses émotions, de sa capacité ou non à demander de l’aide, de sa santé, de ce que signifie pour lui son rôle d’aidant, de la perception qu’il a de sa capacité à prendre soin de quelqu’un. On mesure aussi jusqu’à quel point les professionnels de la santé et des services sociaux qui croisent la route de la famille durant l’épreuve de l’Alzheimer peuvent donner un coup de pouce qui stimule et aide vraiment les soignants naturels.
Dans quel but veut-on détailler tout ce qui entre en ligne de compte dans cette décision difficile de placer ou non ? Tout d’abord, c’est bien entendu de découvrir quand se situe, règle générale, le bon moment et les bonnes circonstances pour placer une personne atteinte. C’est important puisque de plus en plus de familles auront à prendre cette décision difficile dans les années à venir. «Nous pensons que le fait de mieux comprendre tout le processus qui mène à la décision pourra nous aider à développer de meilleures stratégies utiles aux professionnels qui ont pour mandat de soutenir les aidants dans ce qui représente pour eux une transition difficile et compliquée», résume Jennifer Griffith.
Les baluchonneuses sont là. Leur travail assidu encourage les aidants naturels. Des médicaments traitent déjà différents aspects de la maladie; d’autres viendront. Entraide, assistance, information peuvent faciliter la tâche de ceux qui prennent soin d’un proche malade. Pour garder courage et espoir, il importe de demander de l’aide…
Quelques bonnes lectures sur la malaide d’Alzheimer
Denis Gauvreau et Marie Gendron, Questions réponses sur la maladie d’Alzheimer, éditions Le jour, 1994. Questions et réponses, conseils et suggestions pour soigner avec dignité et respect au jour le jour et garder une dimension humaine dans les soins.
Christian Bobin, La présence pure, éditions Le temps qu’il fait, 1999. Une magnifique et touchante méditation, en peu de mots, sur la maladie qui efface la mémoire, mais restitue certaines vérités. Il suffit parfois d’un poème comme celui-ci pour voir la maladie d’Alzheimer d’un œil entièrement nouveau…
Bernard Groulx et Jacques Beaulieu, La maladie d’Alzheimer de la tête au cœur, éditions Publistar, 2004. Écrit sous la direction d’un psychiatre, cet ouvrage sensible renseignera avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité aussi bien les familles et les personnes atteintes que le grand public et les soignants. On en retiendra aussi des trucs pratiques pour mieux communiquer avec les personnes atteintes.
Édith Fournier, J’ai commencé mon éternité, éditions de l’Homme, 2007. Réflexion sur l’amour, la maladie, la mort et la société dans laquelle nous vivions par la conjointe du cinéaste Michel Moreau, atteint depuis huit ans de la maladie d’Alzheimer, dont elle s’occupe elle-même. Franchise et lucidité sont au rendez-vous.
Commentaires: