On est toujours trop jeune pour devenir orphelin!
Lorsque son père est mort, Colette, 61 ans, a ressenti une profonde tristesse. Mais il lui restait sa mère. Quand celle-ci s’est éteinte, un an plus tard, elle fut anéantie. «Même si ma mère était malade, je pouvais la toucher, lui parler, la soigner. Je sais que c’est dans l’ordre des choses de voir mourir ses parents, particulièrement à l’âge adulte. Pourtant, je me suis sentie abandonnée. Ils me manquent terriblement.»
Jean-Luc, 66 ans, regrette aussi le départ de ses parents. «Le petit garçon en moi voudrait encore entendre son père raconter ses fameuses histoires de pêche et sa mère rire aux éclats. J’aimerais profiter encore de leur présence et de leur affection.»
De son côté, René, 54 ans, se sent coupable de ne pas avoir fait la paix avec son père. «Peu de temps après le décès de ma mère, je me suis disputé avec mon père. J’ai coupé les ponts. Maintenant qu’il n’est plus là, je me dis que j’aurais dû tenter un rapprochement. En fait, nous étions tous les deux trop orgueilleux pour le faire. Je le regrette.»
Chacun a sa propre histoire, ses propres souvenirs. Mais un fait demeure: nos parents sont irremplaçables, et ce, qu’importe l’âge ou la relation vécue avec eux. «Perdre ses parents, c’est perdre ses racines, soutient Josée Jacques, psychologue et auteure du livre Les saisons du deuil (Éditions Québecor). Ils sont la base de notre identité, nos piliers, les témoins de notre histoire. C’est un pan de notre vie qui disparaît avec eux. Et même s’ils étaient loin ou si la relation était parfois tumultueuse, ils représentaient une sécurité. Il était en effet rassurant de savoir qu’ils étaient là pour nous et qu’il était toujours possible de “rentrer à la maison”, même temporairement, si notre vie s’écroulait. Sans compter que leur mort nous fait prendre conscience de notre propre finalité. On réalise que la prochaine génération à disparaître sera la nôtre.»
Les conséquences du deuil sur la famille
En perdant nos parents, on devient adulte à part entière. Fini, l’enfant en nous. «On n’est plus l’enfant de quelqu’un, rappelle le psychologue Pierre Faubert. On perd nos repères. Et on se questionne immanquablement sur notre place dans la famille. Sans parents, c’est souvent toute la dynamique familiale qui change.» En effet, une fois les parents partis, il n’est pas rare d’assister à l’éclatement de la famille, du moins telle qu’on la connaissait.
La maison familiale était le lieu de rassemblement de la fratrie, et les parents, le lien. Quand ce lieu n’existe plus, souvent les rencontres s’espacent, par manque d’intérêt ou parce qu’il n’y a personne pour prendre le relais. Quand ce ne sont pas les conflits de famille, les jalousies et les non-dits qui remontent à la surface et viennent tout chambouler. Après tout, on n’est plus obligés de bien s’entendre pour faire plaisir aux parents… Selon Josée Jacques, le phénomène est fréquent, surtout au moment de l’ouverture de la succession. Bref, certains se rapprochent, d’autres s’éloignent. La désintégration de la cellule familiale peut cependant ajouter à la peine.
«Quand un membre de la fratrie accepte volontairement de prendre la relève, le clan reste habituellement uni, même si les rencontres sont moins fréquentes, estime Pierre Faubert. En revanche, s’il s’arroge ce pouvoir sans l’accord des autres, si on lui assigne de force ce rôle sous prétexte qu’il est l’aîné ou si, encore, il se sent responsable de perpétuer la tradition, il y aura inévitablement des frustrations ou des confrontations. Ce serait une grave erreur d’imposer sa volonté ou d’accepter ce rôle de rassembleur à contre-coeur.»
Douloureux aussi d’avoir à dire «plus jamais». Plus jamais ils ne nous serreront dans leurs bras et ne nous diront des mots apaisants pour soulager nos peines. Plus jamais ils ne nous conseilleront. Plus jamais on n’aura l’occasion de leur dire «je t’aime» ni de se pardonner mutuellement. On s’attriste aussi de tout ce qu’ils ne verront pas, comme la naissance de nos petits-enfants. Pas étonnant que leur mort nous affecte autant.
Après la perte de ses parents: le processus du deuil
Après avoir vu sa mère décliner, après l’avoir soignée et veillée, Raymonde s’est sentie soulagée. «Elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle ne pouvait plus prendre soin d’elle. Les rôles se sont inversés. Pourtant, même si j’ai pu me préparer à son départ et que je l’ai même souhaité pour atténuer ses souffrances, sa perte m’a causé un immense chagrin. Le deuil a été difficile.»
Chaque personne vit sa peine à sa manière. L’intensité et la durée du deuil varient selon notre personnalité, les liens qui nous unissaient à nos parents, les circonstances entourant le décès, notre réseau de soutien, etc. «Habituellement, plus on a de contacts au quotidien avec ses parents, plus on est complice avec eux, plus la sensation de vide est intense et le deuil douloureux, indique Josée Jacques. La perte peut créer beaucoup d’insécurité, particulièrement chez ceux qui hébergeaient leurs parents ou qui les avaient accompagnés dans la maladie. Ils se sentent soudainement inutiles.»
Le secret: se donner du temps pour vivre le long processus de deuil. Il faut en parler et accepter de connaître une gamme d’émotions parfois difficiles. Car des émotions, il y en aura. À commencer par un sentiment d’abandon qui survient généralement au décès du dernier parent. À cela s’ajoutent la culpabilité, les regrets et les remords, même quand on en a fait beaucoup. Plusieurs vont se répéter en boucle: «J’aurais pu en faire plus pour eux», «J’aurais dû les garder chez moi au lieu de les placer dans une résidence», «Je n’ai pas su leur montrer mon affection », «J’aurais dû aller les voir plus souvent», etc. D’autres s’en voudront d’éprouver du soulagement, et aussi une sensation de liberté, à la mort de leurs parents malades ou terriblement exigeants ou abusifs. Une réaction pourtant normale après avoir tant donné.
Deuil: savoir lâcher prise
Évidemment, vous ne pouvez faire machine arrière. Alors, lâchez prise et remettez les choses en perspective. Si vous en aviez le pouvoir, vous feriez sans doute certaines choses différemment. Mais, dans les circonstances, vous avez fait ce que vous pouviez et ce que vous croyiez être le mieux. Vous aviez une relation tumultueuse? La mort vient vous ravir votre dernière chance de réconciliation. C’est vrai. Mais replacez la relation dans son contexte. Aucune relation n’est parfaite. Chacun a sa part de responsabilité dans l’histoire. «Il est important de faire la paix avec soi-même, faute de pouvoir la faire avec ses parents, confie Josée Jacques. Plus on est en paix avec les personnes décédées, plus il est facile de vivre les étapes normales du deuil et d’avancer. Au contraire, plus il y a d’émotions négatives qui restent enfouies, plus le deuil est compliqué et difficile.»
À moins de vivre une relation fusionnelle avec ses parents ou de les perdre brusquement à la suite d’un accident par exemple, on peut envisager leur départ et s’y préparer, ce qui facilite le deuil même si leur perte nous cause beaucoup de chagrin, explique Pierre Faubert. «Ainsi, on pourra trouver du réconfort en pensant qu’on les a accompagnés et qu’on a eu le temps de partager avec eux de bons moments et de leur dire ce qu’on voulait leur dire. En revanche, une mort subite entraîne souvent un deuil plus long et pénible, surtout s’il reste des choses non réglées, des non-dits ou des questions sans réponse. Mais dans la majorité des cas, les gens ont suffisamment de ressources intérieures et d’activités dans leur propre vie familiale, sociale et professionnelle pour reprendre leur vie en main après le deuil.» Si on n’y arrive pas? Il vaut mieux consulter.
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