Elle s’appelle Adrienne, mais ses petits-enfants l’appellent grand’mie. Un joli mot-valise inventé accidentellement par Simon-Pierre, son premier petit-fils, et que les autres ont tous adopté. C’est vrai que pour ses sept petits-enfants («presque huit, avec la fille de la nouvelle conjointe de mon fils !»), Adrienne est tout autant une grand-mère qu’une amie. À 72 ans, cette femme séduisante, rayonnante, en pleine forme physique («ça fait 33 ans que je m’entraîne trois fois par semaine avec mon amie Raymonde !»), a toujours voulu que ses petits-enfants, qui sont aujourd’hui des adolescents, se sentent chez elle comme chez eux. Qu’ils sachent qu’ils peuvent compter sur elle en toutes circonstances. Mais qu’ils n’oublient pas, par contre, qu’elle a une vie bien à elle.
Du temps pour soi
«Quand je me suis séparée, après 28 ans de mariage, raconte-t-elle en riant, je suis devenue très importante pour moi!» Grande consommatrice de culture, Adrienne lit beaucoup, visite régulièrement les musées, va au théâtre et au concert le plus souvent possible. «Sur cet aspect de ma vie, souligne-t-elle, je ne fais pas de concession.» Agent d’immeubles à la retraite depuis à peine cinq ans, elle est propriétaire d’un immeuble d’appartements à Québec. Elle habite le rez-de-chaussée. Son fils, qui a deux enfants en garde partagée, habite le premier. Et sa fille aînée – deux enfants aussi en garde partagée –,l’étage au-dessus. Une formule inusitée qui semble faire le bonheur de tout le monde !
Comme on est loin des grands-mères de la génération précédente, qui recevaient le dimanche avec du sucre à la crème et des «paparmanes» roses ! Aujourd’hui, l’image des papys et mamies a pris un coup de jeune. Une tendance qui semble vouloir durer, avec l’arrivée massive des baby-boomers sur le marché de la grand-parentalité!
«En ce moment, il y aurait 10 millions de baby-boomers en Amérique du Nord, nous dit la gérontologue Catherine Geoffroy, qui travaille depuis de nombreuses années sur le bien-vieillir. Sur ce nombre, on estime que un baby-boomer devient grand-parent à toutes les six secondes!»
Comme les membres de la génération du baby-boom (nés entre 1946 et 1964) représentent la première génération à avoir bénéficié des campagnes de promotion de la santé, ils sont beaucoup plus en santé que leurs parents, au même âge. Ils ont connu l’époque où l’on rêvait de la retraite à 55 ans (le fameux «Liberté 55»…). «Mais à 55 ans, remarque Catherine Geoffroy, ils ne sont pas du tout prêts à prendre leur retraite!
Trop occupés pour travailler!
De fait, nombreux sont les papys et mamies boomers qui travaillent encore. Et ceux qui ont pris leur retraite se font une joie de pouvoir enfin donner du temps aux causes qui leur tiennent à cœur. «Depuis qu’ils ne travaillent plus, mes parents n’ont jamais été aussi occupés, raconte la journaliste et chroniqueuse Pascale Navarro, mère adoptive d’un petit garçon de 5 ans né en Thaïlande. Ils prennent des cours à l’Université des aînés, font du bénévolat en alphabétisation, voyagent, s’impliquent en politique, et s’occupent beaucoup de mon fils. En plus, mon père fait de l’exercice trois fois semaine. Ils s’occupent beaucoup de mon fils mais, pour les voir, on n’a pas le choix, il faut s’y prendre à l’avance!»
«Ça peut paraître bizarre de devoir prendre rendez-vous, mais c’est la nouvelle réalité des grands-parents!», soutient Catherine Geoffroy. Pallier le manque de temps serait d’ailleurs le plus grand défi des nouveaux grands-parents, selon elle.
Dans un sondage Crop sur la famille, réalisé pour le compte de Radio-Canada à l’automne 2006, seulement 7% des grands-parents interrogés disaient garder «très souvent» leurs petits-enfants; 43% les gardaient «rarement». Par contre, 50% affirmaient avoir des contacts avec leurs petits-enfants chaque semaine. «Les grands-parents d’aujourd’hui ont plusieurs moyens pour passer du temps avec leurs petits-enfants, commente Mme Geoffroy. Ils peuvent aussi leur parler au téléphone, communiquer par courriel ou chatter. C’est d’ailleurs souvent leur motivation pour apprendre à se servir d’Internet.» Et surtout, savoir communiquer.
Les petits-enfants
«Aussi naturel que paraisse l’amour des grands-parents pour leurs petits-enfants, écrivent Peggy Edwards et Mary-Jane Sterne dans Les Nouveaux Grands-Parents (Éditions de l’Homme), leur rôle est plus complexe que jamais.»
En effet, le modèle de la famille traditionnel n’est plus le seul à avoir cours. Familles recomposées, monoparentalité, conjoints de même sexe, petits-enfants devant composer avec trois, voire quatre paires de grands-parents… «Si nous parachutions les grands-parents de la génération précédente dans la société d’aujourd’hui, remarque Catherine Geoffroy, qui agit comme porte-parole de la traduction française du livre de ses amies Sterne et Edwards, ils seraient complètement perdus…»
Chez les nouveaux grands-parents, on encourage vivement les papys et mamies en herbe à prendre le temps de réfléchir sur leur rôle. Et ce, le plus tôt possible! Idéalement, dès l’annonce d’une grossesse. En se demandant quel genre de grands-parents ils veulent être. Quelles traditions ils aimeraient intégrer dans la vie de leurs petits-enfants et quelles valeurs familiales ils souhaiteraient leur léguer. «Si vos petits-enfants devaient écrire votre éloge funèbre, notent les auteures des Nouveaux Grands-Parents, qu’aimeriez-vous entendre à votre sujet? Une description de ce que vous avez accompli durant votre vie? De ce que vous avez fait pour eux? Les avez-vous inspirés, amusés, divertis, aimés?»
Restez neutre
Ces auteures, qui en sont toutes les deux à leur deuxième mariage et qui ont en tout 17 petits-enfants, suggèrent aussi de demander clairement à ses enfants ce qu’ils attendent d’eux. Garde occasionnelle? Aide financière? Participation à l’éducation ou aux loisirs? Le plus tôt on met cartes sur table, le mieux c’est. Sinon, on risque de se retrouver au cœur d’un conflit. «J’ai connu une grand-maman qui est tombée en amour et qui a décidé de refaire sa vie avec l’homme qu’elle aimait. Ç’aurait dû être le bonheur. Or, ça a été un drame, dans sa famille, raconte la psychologue Monique Lefebvre. Alors qu’avant, elle était très présente, prête à garder les petits sur une base régulière, du jour au lendemain elle n’était plus disponible.» Dans ce cas précis, les choses se sont faites peut-être trop rapidement, selon la psychologue. Idéalement, il aurait fallu que les parents soient avisés un peu à l’avance, le temps de se retourner, de développer leur réseau de gardiennage.
Ce qui ne veut pas dire, précise bien Monique Lefebvre, que les grands-parents doivent faire passer les intérêts des autres avant les leurs, et s’oublier complètement en cours de route ! «Les petits-enfants vont préférer avoir des grands-parents qui ont une vie riche, active et qui entretiennent des relations fécondes avec d’autres adultes.»
Instinctivement, Adrienne a adopté les deux principes de base d’une relation harmonieuse : souplesse et transparence. Sa fille aînée et son fils cadet sont avertis. «Ma porte leur est toujours ouverte, à eux et à leurs enfants. Mais ils doivent frapper avant d’entrer ! Et si j’ai envie de rester seule, si je suis occupée, que j’ai des visiteurs, je le leur dis, tout simplement. Ils comprennent très bien et ne s’en offusquent pas. Nous avons toujours fonctionné de cette façon.»
«Malgré toutes les transformations qu’elle a subies au fil des ans, la famille est toujours le fondement de notre société», rappelle Catherine Geoffroy. Et quand les choses tournent mal, quand un conflit survient et que les parents se séparent, peu importe la situation, il faut toujours, d’abord et avant tout, penser aux petits-enfants. Les grands-parents, s’ils savent rester neutres, s’ils réussissent à ne pas prendre parti pour ou contre l’un des parents, peuvent représenter pour leurs petits-enfants le terrain neutre, l’oasis d’amour et de paix dont ils ont tellement besoin.»
Nos droits
Nos droits
Saviez-vous que la loi prévoit spécifiquement que «les parents ne peuvent, sans motifs graves, faire obstacle aux relations personnelles des enfants avec leurs grands-parents»? C’est ce que l’on peut lire sur le site www.educaloi.qc.ca/loi/aines
«S’il vous est difficile ou impossible de voir vos petits-enfants à cause du refus de leurs parents, écrit-on, vous pouvez présenter une requête à la Cour supérieure du Québec pour obtenir des droits d’accès.» Il est alors possible de demander de les voir à la même fréquence qu’avant que le conflit surgisse. «Toutefois, précise-t-on, vous devez prendre conscience que vous n’êtes pas les parents: normalement, on n’accorde pas aux grands-parents des droits d’accès aussi fréquents que ceux qu’on attribue à un parent séparé, par exemple. […] Le tribunal doit tenir compte, en priorité, de l’intérêt de l’enfant, et non de celui de ses parents ou de ses grands-parents.»
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