Vous est-il déjà arrivé de répondre à quelqu’un qui s’enquérait de votre emploi du temps: «Ce matin, je paresse!»? Probablement pas, la paresse n’ayant pas bonne presse… Ne dit-on pas que l’oisiveté est la mère de tous les vices?
Une question d’éducation…
La mode est plutôt aux gens occupés, performants, productifs, orientés vers l’action. «Les gens actifs ont l’impression de faire quelque chose de leur vie, d’être importants, déclare Louise Fréchette, psychologue et psychothérapeute en analyse bioénergétique. Ce sentiment est particulièrement fort chez les 55 ans et plus en raison de leur éducation religieuse où la paresse était identifiée comme l’un des sept péchés capitaux… Bien des générations ayant reçu une éducation judéo-chrétienne se sont d’ailleurs définies et valorisées par leur utilité et leur dévouement envers les autres bien plus que par leur propre individualité. Pour elles, ne rien faire est mal vu et, surtout, très culpabilisant.»
À preuve, s’il nous arrive de flâner, on se promet généralement qu’on mettra ensuite les bouchées doubles, comme si l’on n’y avait pas droit.
… et de vocabulaire!
«Si on dit ‘‘je relaxe’’, les gens vont nous approuver, remarque la psychologue Jocelyne Bounader. Mais si on dit ‘‘je paresse’’, ils deviennent soudain moins empathiques, comme si l’oisiveté était une tare.» Louise Fréchette poursuit: «Dans le mot ‘‘relaxer’’, il y a une intention d’agir pour se détendre physiquement et mentalement afin d’éliminer la tension nerveuse. Dans ‘‘paresser’’, il n’y a pas de but spécifique. On a juste envie de ne rien faire de productif ou d’utile, de se la couler douce, de laisser filer le temps en rêvassant.»
Paresse nocive et paresse plaisir
Or, dans une société marquée par la performance et la compétition – avec soi-même ou avec les autres –, il n’est pas toujours facile de se donner cette permission. Au fond, c’est le jugement que l’on porte sur ce comportement qui en fait quelque chose de négatif. Et la culpabilité vient du regard que l’on pense que les autres portent sur nous.
Dans ce contexte, pas surprenant que seulement une minorité succombe à la paresse sans remords! Pourtant, on aurait intérêt à prendre la paresse au sérieux. Il en va de notre équilibre.
Deux types de paresse
Contrairement à ce que l’on croit, ces moments à paresser sont loin d’être une perte de temps. Mais entendons-nous: il existe deux sortes de paresse.
La paresse nocive consiste à toujours remettre au lendemain, à laisser les choses en plan, à éviter systématiquement toute contrainte et à refuser l’effort. Or, selon Louise Fréchette, éviter systématiquement de faire ce que l’on a à faire nous laisse en général insatisfait et draine notre énergie.
En revanche, la paresse plaisir signifie le droit de s’offrir, à certains moments, du temps libre. C’est bien sûr celle-là qu’il faut privilégier. «D’abord, la paresse plaisir offre l’occasion de s’arrêter pour simplement savourer le temps qui passe: une chose de moins en moins possible, même à la retraite, constate Louise Fréchette. Les personnes retraitées sont en effet souvent sollicitées par leur entourage: parents malades et vieillissants dont il faut s’occuper, enfants débordés qu’il faut aider, frères, sœurs, parents et amis qui tiennent pour acquis que l’on a beaucoup de temps à soi…»
On se sent coupable d’avoir du temps à soi alors que bien des proches sont pris par leur travail et leurs responsabilités. Résultat: on compense en aidant les autres.
Les atouts de la paresse
Sauf que, travailleur ou retraité, il est important, tant pour la santé physique que mentale, de «paresser» à certains moments de la semaine, voire de la journée, ne serait-ce que pour faire le vide avant de se lancer de nouveau dans ses activités habituelles. Cette interruption temporaire de l’activité mentale permet de détendre l’intellect et, par le fait même, de nous rendre plus alerte et plus efficace dans nos actions.
Pierre est résolument un adepte de la paresse: «J’adore paresser au lit jusqu’à midi les week-ends et, quand c’est possible, rester en pyjama toute la journée. Attention toutefois: cela ne m’empêche pas de travailler fort et d’avoir une vie sociale active. Mais, en agissant ainsi, j’ai l’impression de voir le temps qui passe.»
Autre atout de la paresse
Elle stimule les sens et la sensualité. Ne dit-on pas que la sensualité naît de la lenteur? Non sans raison. Impossible, en effet, de ressentir ces émotions à fleur de peau en étant continuellement dans l’action. Carole et Luc, deux joyeux retraités, flânent régulièrement dans les rues de leur patelin. «On rêvasse sur une terrasse au soleil ou dans un petit café, raconte Carole. Ou encore, on s’assoit sur un banc de parc pour simplement admirer la nature. On prend plaisir à respirer lentement et à ressentir la chaleur du soleil et la sensation de la brise sur notre peau, en se tenant simplement par la main.»
La rêverie est aussi l’occasion de se retrouver et de se définir en dehors des balises du quotidien et du travail. Quand la vie roule à toute vitesse, on n’a pas le temps de se poser des questions. L’inaction est donc essentielle à la réflexion. D’ailleurs, c’est souvent dans ces moments-là que surgissent les solutions aux problèmes!
Suggestions pour paresser
Le travail a constitué une part importante de la vie de Nicole. Pour elle, qui n’a jamais compté ses heures de travail et d’entraide à sa famille et à ses amis, s’arrêter et ne rien faire s’avéraient une perte de temps… jusqu’à ce qu’elle en découvre les vertus à l’âge de 60 ans!
«C’est mon nouveau conjoint – un adepte de la paresse – qui m’a fait réaliser que je filais à 100 à l’heure et que j’allais tôt ou tard foncer dans un mur, dit-elle. Mon corps m’envoyait d’ailleurs quelques signaux. Naturellement, le changement ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais, aujourd’hui, j’adore flâner – sans culpabiliser – en regardant les oiseaux qui fréquentent les mangeoires de mon jardin ou en écoutant de la musique, en laissant mon esprit vagabonder. Ces précieux instants que je m’octroie quotidiennement me permettent de faire le vide. J’aime me permettre ce luxe de ne rien faire.»
«La paresse plaisir favorise aussi la créativité, assure Jocelyne Bounader. Le fait de s’évader en pensée dans l’imaginaire et la rêverie permet d’éveiller et d’explorer des avenues insoupçonnées.»
QUELQUES SUGGESTIONS
Questionnez-vous. «Demandez-vous pourquoi vous vous refusez ce temps d’arrêt, propose Jocelyne Bounader. Est-ce par crainte d’être jugé ou de déplaire à votre entourage? Parce que cela ne correspond pas à vos valeurs et à votre éducation? Cette réflexion entraînera un travail intérieur et, possiblement, un changement.»
Évaluez votre coefficient de paresse
Pour ce faire, Louise Fréchette suggère de créer sur papier un tableau illustrant les jours de la semaine ainsi que les 24 heures de chaque journée. Ensuite, inscrivez-y le temps passé aux occupations fixes (travail et activités récurrentes prévues à l’horaire). Enfin, notez, à la fin de chaque journée, les tâches auxquelles vous vous êtes consacré (repas, sommeil, exercice physique, télé, ordinateur, temps passé en compagnie de proches ou d’amis, bénévolat, menus travaux, tâches ménagères, flânerie, etc.). Le coefficient de paresse est la portion du temps passé à ne rien faire ou à faire quelque chose considéré comme non rentable ou comme perte de temps. Votre coefficient est plutôt bas ? C’est le temps de revoir votre emploi du temps et d’introduire davantage de périodes de flânerie aux moments de la journée ou de la semaine qui s’y prêtent le mieux. Avec le temps, elles deviendront un automatisme.
Éloge de la paresse… Suggestions (suite et fin)
Apprenez à déculpabiliser
«S’il est important d’introduire des temps de paresse dans son horaire, dit Louise Fréchette, encore faut-il se sentir en paix avec cette décision! La culpabilité viendrait en effet en miner les effets bénéfiques… Il faut donc se déprogrammer des messages condamnant toute forme d’oisiveté et réapprendre à distinguer la paresse plaisir de la paresse nocive.» On se donnera le droit à la paresse plaisir en la considérant comme une forme saine de récupération, de rééquilibrage de nos énergies dans un siècle où tout va trop vite et où l’on a perdu le sens de la contemplation et oublié les bienfaits de la lenteur…
Dédramatisez
Bien des personnes se sentent coupables de paresser pendant que leur conjoint, par exemple, s’active. «Il faut mettre les choses en perspective, déclare Jocelyne Bounader. Lire pendant que son conjoint fait des travaux n’a rien de terrible. Il faut plutôt se dire: ‘‘D’accord, je m’offre un moment de flânerie pendant qu’il travaille. Mais à un autre moment, c’est lui qui regardera les sports à la télé pendant que je serai occupée à mes tâches!’’»
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